Avis scientifique 2011/037

Évaluation du potentiel de rétablissement de la morue franche (Gadus morhua) de l’unité désignable de Terre-Neuve et du Labrador (div. 2GHJ, 3KLNO de l’OPANO)

Sommaire

• L’UD de morue franche de Terre-Neuve et du Labrador (T.-N.-L.) comprend trois stocks ou unités de gestion : la morue du Labrador (div. 2GH de l’OPANO) et la morue du Nord (div. 2J+3KL) qui se trouve au large du sud du Labrador et de l’est de Terre-Neuve, qui sont toutes deux gérées par le Canada, ainsi que la morue du sud des Grands Bancs (div. 3NO), qui est gérée par l’Organisation des Pêches de l’Atlantique Nord‑Ouest (OPANO). La population de morue du Nord était, de loin, la plus importante dans l’UD de T.-N.-L. et, historiquement, la plus importante dans l’Atlantique Nord-Ouest.
• On a établi des projections à long terme pour les stocks de 2J+3KL et de 3NO ainsi que pour l’ensemble de l’UD en se fondant sur une combinaison de résultats dérivés de ces stocks. Les conditions de productivité futures demeurent très incertaines. En conséquence, ces projections ne doivent pas être interprétées comme étant des prévisions de l’état futur du stock du fait qu’elles reposent sur des hypothèses concernant les données futures relatives à la productivité et à la mortalité par la pêche. La probabilité que les conditions actuelles se maintiennent pendant une longue période demeure inconnue. Ces projections permettent l’examen des conséquences d’hypothèses particulières en matière de productivité.
• Les projections sont illustrées à l’aide de la médiane ainsi que des 2,5e et 97,5e percentiles. L’ensemble de la fourchette d’incertitude doit être pris en considération dans l’interprétation de ces projections.
• Le stade de juvénile benthique (entre 4 et 35 cm de longueur) est la période du cycle biologique pendant laquelle la morue franche est la plus dépendante de l’habitat. La perturbation physique de composants structuraux de l’habitat peut réduire la valeur de ce dernier et accroître la mortalité chez les morues juvéniles. La résolution spatiale des données disponibles ne nous permet pas d’évaluer la superficie de l’habitat approprié qui est disponible pour les morues au stade juvénile benthique ni de déterminer si cette superficie a changé au cours des trois dernières générations, particulièrement au large. Cependant, rien n’indique que la superficie de l’habitat approprié limite actuellement le rétablissement de la morue dans cette UD.

Morue du Labrador (2GH)

• L’information sur le stock de morue du Labrador est limitée, et on ne possède aucune série chronologique de données dérivées de relevés à partir de laquelle on pourrait évaluer les tendances. Les débarquements déclarés de morues prélevées dans ce stock ont décliné à la fin des années 1960, et aucun débarquement n’a été déclaré depuis la fin des années 1980. Ce stock ne montre aucun signe de rétablissement depuis l’imposition du moratoire sur la pêche dirigée en 1993.

Morue du Nord (2J+3KL)

• Le stock de morue du Nord a décliné de plus de 99 % depuis le sommet observé à la fin des années 1960 et de plus de 90 % comparativement aux années 1980. L’effectif est demeuré très faible pendant plusieurs années après le moratoire, mais s’est légèrement amélioré au cours de la période s’échelonnant de 2005 à 2008.
• On a établi un point de référence limite (PRL) pour la conservation de la morue du Nord. La biomasse du stock reproducteur (BSR) estimée s’est établie bien en deçà du PRL depuis le début des années 1990, mais a augmenté depuis 2005-2008 et est actuellement 90 % inférieure au PRL.
• Les taux de mortalité totale de la morue du Nord fondés sur une analyse des cohortes selon les prises des relevés sont demeurés élevés au cours de la majeure partie de la période 1983-2009 pendant laquelle on a observé deux sommets, le premier au début des années 1990 et le deuxième au début des années 2000, lorsque les pêches côtières dirigées ont été rouvertes. Les taux de mortalité totale ont décliné au cours de la période allant de 2003 à 2005, lorsque la pêche côtière était plus restreinte, et les taux de mortalité totale sont demeurés faibles entre 2005 et 2008.
• On ne possède aucune estimation directe de la mortalité naturelle chez la morue du Nord. Cependant, la mortalité totale est demeurée faible entre 2005 et 2008 malgré la réouverture de la pêche côtière, ce qui laisse sous-entendre que les taux de mortalité naturelle ont décliné de façon considérable. Les estimations de la mortalité par la pêche fondées sur le marquage étaient faibles pour la morue des eaux côtières (< 0,1 depuis 2007) et du large (0,06 en 2008), et la BSR s’est améliorée.
• Le recrutement est demeuré faible depuis le début des années 1990. D’autres composants de la productivité, comme la longueur à l’âge, le poids à l’âge et la condition, se sont améliorés depuis les faibles valeurs observées au début des années 1990 et se sont établis près (div. 2J) ou au-dessus de la moyenne (div. 3K et 3L) pendant plusieurs années, mais ont décliné en 2009. L’âge à 50 % de maturité chez les morues femelles a décliné dans les cohortes produites au cours des années 1980 et est demeuré faible (~ 5,0) comparativement aux décennies antérieures (> 6,0).
• Pour le stock de 2J+3KL, lorsqu’on utilise la période 1983-2009 pour établir les conditions de productivité future et à la lumière du taux de mortalité par la pêche actuel (F = 0,06), on constate que les projections indiquent une augmentation initiale de la BSR jusqu’en 2016, suivie par un déclin puis une stabilisation à un niveau inférieur à la BSR actuelle. En 2016, on observe une faible probabilité (environ 10 %) d’atteindre le PRL. Selon une valeur de F = 0, la probabilité d’atteindre le PRL est d’environ 30 % en 2016.
• On a effectué des analyses de la sensibilité supplémentaires au moyen des conditions observées au cours de diverses parties de la période 1983-2009. La plus optimiste des analyses suppose que les faibles taux de mortalité naturelle, semblables à ceux estimés pour 2005-2009, prévaudront au cours des 36 prochaines années. Selon une valeur de F = 0, 65 % des résultats de la projection indiquent que le PRL sera dépassé au cours des 36 prochaines années. Selon une valeur de F = 0,06, 40 % des résultats indiquent que le PRL sera dépassé. Cependant, il est moins vraisemblable que les conditions observées dernièrement persisteront tout au long de la période de projection.

Morue du sud des Grands Bancs (3NO)

• Le stock de morue de 3NO a atteint un sommet dans les années 1960, mais avait décliné à moins de 20 % des valeurs observées dans les années 1960 au milieu des années 1970. L’effectif a augmenté rapidement vers la fin des années 1970, mais a de nouveau décliné fortement vers la fin des années 1980 et est demeuré faible durant toutes les années 1990 jusqu’en 2005 environ. Ces dernières années, le stock a connu une hausse, et le nombre moyen de reproducteurs au cours des trois dernières années (2008-2010) représente 25 % de la moyenne de 1980-1989.
• On a établi un point de référence limite pour la conservation (B_lim) à 60 000 t pour le stock de morue de 3NO en 1999. La BSR estimée se situait bien en deçà du PRL depuis le début des années 1990, mais la BSR a augmenté récemment et est actuellement 79 % inférieure à B_lim.
• Les tendances relatives au taux de mortalité totale chez la morue de 3NO affichent deux sommets, c’est-à-dire que des valeurs plus élevées ont été observées pendant la période 1965-1975 et à la fin des années 1980. Vers la fin des années 1970 et le début des années 1980, les taux de mortalité totale étaient beaucoup plus faibles. Le taux de mortalité totale demeure faible depuis le moratoire, sauf en 2003.
• Bien que la valeur de F pendant la période postmoratoire ait été généralement faible, les prises accessoires récentes effectuées dans la pêche ont entraîné des niveaux élevés de F certaines années, lesquels coïncidaient avec des épisodes de recrutement accru. La mortalité par la pêche attribuable aux prises accessoires a fortement contribué à l’absence de rétablissement depuis le moratoire.
• Le recrutement chez la morue de 3NO est demeuré faible en général pendant plusieurs années depuis le début des années 1990. Cependant, l’effectif des classes d’âges de 2005 et de 2006 était plus élevé, et ces classes n’ont pas été fortement exploitées; elles contribuent donc maintenant de façon importante aux récentes améliorations de la BSR.
• Pour le stock de 3NO, lorsqu’on utilise la période 1974-2009 pour établir les conditions de productivité future et à la lumière du taux de mortalité par la pêche actuel (F = 0,07), on constate une augmentation rapide et soutenue de la BSR, et tous les résultats de la projection laissent sous-entendre que la valeur de B_lim sera dépassée en 2016. Selon le scénario de F = 0, les tendances sont semblables, mais les augmentations sont plus importantes et l’ensemble des résultats des projections semblent indiquer que B_lim sera dépassée en 2015.

UD de T.-N.-L. (2GHJ3KLNO)

• On a estimé l’état projeté de l’UD en combinant les projections de l’effectif du stock reproducteur propres à chaque stock. Selon les niveaux de pêche actuels, l’effectif du stock reproducteur augmentera et atteindra un sommet en 2026. Selon une valeur de F = 0, les tendances générales sont semblables, mais le sommet atteint sera plus élevé. Même si le stock historique de 2J+3KL était beaucoup plus abondant que le stock de 3NO, les présents résultats pour l’ensemble de l’UD sont dominés par la trajectoire bien plus optimiste de 3NO.
• Pour 3NO et 2J+3KL, l’âge à la maturité a décliné et est demeuré faible; on peut donc s’attendre à ce qu’il y ait une augmentation de la mortalité associée au frai à cet âge plus jeune.
• Au nombre des principales menaces pesant sur le rétablissement de la morue de l’UD de T.-N.-L. figurent les hauts niveaux de mortalité naturelle (dans 2J+3KL) et de mortalité par la pêche (dans 2J+3KL et 3NO). La mortalité par la pêche est principalement attribuable à la pêche d’intendance dirigée et à la pêche récréative dans 2J+3KL ainsi qu’aux prises accessoires dans 3NO.
• Si l’on considère que les deux populations ont connu une augmentation récente, il est possible qu’un certain dommage admissible soit permis si les niveaux actuels de productivité demeurent inchangés. Les prises qui ont entraîné les niveaux actuels de mortalité par la pêche (estimée à F = 0,06 pour la morue de 2J+3KL et à F = 0,07 pour la morue de 3NO) ne semblent pas suffisantes pour mettre en péril la survie ou le rétablissement de l’espèce à court terme (3 ans). Cela laisserait suffisamment de temps pour l’élaboration de plans de rétablissement.

Le présent avis scientifique fait suite à une réunion de consultation scientifique zonale du Secrétariat canadien de consultation scientifique de Pêches et Océans Canada, qui a eu lieu du 21 au 25 février 2011 et qui portait sur l’évaluation du potentiel de rétablissement (EPR) de la morue franche (unités désignables de Terre-Neuve et du Labrador, du Nord laurentien, du Sud laurentien et du Sud). D’autres documents découlant de ce processus seront publiés, dès qu’ils seront disponibles, dans le calendrier des avis scientifiques du MPO.

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