Avis scientifique 2013/050
Effets potentiels entourant l'importation de saumons de l'Atlantique d’élevage d’origine européenne sur les populations et les habitats du saumon de l'Atlantique à Terre-Neuve
Sommaire
- Le saumon de l’Atlantique (Salmo salar) présente une grande diversité génétique et une importante variation dans les caractéristiques de son cycle biologique. Les populations européennes et nord-américaines de saumon ont divergé il y a environ 500 000 ans, et la divergence génétique en découlant est considérable, comme le démontrent les différences dans le nombre et la structure de leurs chromosomes. Il existe également une divergence phénotypique et génétique entre le saumon de Terre-Neuve et le saumon des eaux intérieures de l'Amérique du Nord, y compris les populations du fleuve Saint-Jean, qui constitue la principale source de souches utilisées par l'industrie aquacole de Terre-Neuve. En raison de leur sélection et domestication intensives, les saumons d'élevage sont génétiquement distincts des populations sauvages.
- Les populations de saumon indigènes à Terre-Neuve-et-Labrador, généralement petites, sont caractérisées par une grande diversité de phénotypes anadromes et non anadromes qui se sont adaptés aux conditions environnementales uniques des habitats fluviaux (cours d'eau) et lacustres (lacs). De récents examens des tendances relatives au nombre de géniteurs parvenus aux frayères pour les stocks de la côte sud de Terre-Neuve-et-Labrador donnent des estimations moyennes des déclins des populations de 40 % au cours des trois dernières générations (COSEPAC, 2010; MPO, 2012).
- Les souches de saumon de l'Atlantique d'élevage d'origine européenne peuvent se reproduire avec le saumon de l'Atlantique sauvage dans toute l'aire de répartition de ce dernier. On s'attend à ce que les saumons de l'Atlantique d'élevage d'origine européenne qui s'échappent réussissent à se reproduire avec les saumons de l'Atlantique sauvages de Terre-Neuve.
- Cela pourrait avoir des répercussions considérables sur les plans génétique et phénotypique pour les populations indigènes si elles se reproduisaient avec des saumons de l'Atlantique d'élevage d'origine européenne (effets génétiques directs). Même s'il est difficile de prévoir les conséquences génétiques et phénotypiques, le croisement de ces deux populations entraînerait probablement une réduction de la diversité génétique parmi les populations et une diminution de la valeur sélective au sein des populations, ce qui aurait des répercussions sur les caractéristiques, l'abondance et la viabilité des populations indigènes de Terre-Neuve.
- Ces risques seraient proportionnels à la fréquence des évasions et au nombre de fugitifs par rapport à la taille et à l'état des populations indigènes qui seraient susceptibles de se reproduire avec eux. La capacité des fugitifs à survivre et à se reproduire avec succès avec des saumons de l'Atlantique sauvages est fonction du stade du cycle biologique (taille) des fugitifs, de leur genre, du temps passé dans l'environnement d'élevage, de la période de l'année (saison) à laquelle les poissons se sont échappés, de leur maturité et du moment où ils arrivent dans l'eau douce.
- Les conséquences sur la valeur sélective d'un nombre donné de croisements sur plusieurs générations peuvent varier selon que les croisements sont continus ou épisodiques.
- Les effets génétiques indirects (c.-à-d., les changements génétiques qui n'ont pas lieu à cause des croisements, mais plutôt les changements dans l'environnement qui sont ressentis par les organismes) ont été documentés en ce qui concerne les salmonidés. De tels changements environnementaux peuvent se produire suite à l'arrivée de saumons de l'Atlantique d'élevage d'origine européenne dans les cages en filet, que des poissons d'élevage s'échappent ou non. Cet effet peut entraîner une réduction de la diversité génétique adaptative et modifier la survie et la reproduction des populations indigènes, mais il faudrait mieux comprendre la nature et l'ampleur des effets génétiques indirects.
- Les saumons de l'Atlantique d'élevage d'origine européenne qui s'échappent peuvent aussi représenter des menaces écologiques pour les populations indigènes. Il pourrait y avoir une compétition entre les saumons de l'Atlantique juvéniles indigènes et ceux provenant de souches d'élevage dans les habitats d’eau douce en raison des contraintes en matière d'espace ainsi que des caractéristiques associées aux souches d’élevage, comme la croissance rapide, la grande taille selon l'âge et le comportement agressif. Il ne devrait pas y avoir de compétition dans le milieu marin. Une compétition entre ces deux types de poisson pourrait aussi se produire aux lieux de frai. Dans la mesure où ces interactions se produisent, elles devraient entraîner une diminution de la valeur sélective chez les populations indigènes.
- Grâce à des améliorations technologiques et opérationnelles, on a observé une réduction considérable du nombre de saumons de l'Atlantique d'élevage fugitifs étant signalés dans plusieurs régions, comme le Maine et la Norvège, où il faut suivre des normes opérationnelles et mener des vérifications indépendantes des sites et de l'équipement depuis 2006.
- Bien que le nombre de fugitifs ait diminué en Norvège au cours de la dernière décennie, la proportion de fugitifs dans les cours d'eau par rapport aux saumons sauvages en montaison est demeurée relativement constante (Anon 2011). La proportion de saumons de l'Atlantique fugitifs dans les cours d'eau par rapport aux saumons de l'Atlantique en montaison a une incidence sur l'ampleur des conséquences génétiques et écologiques potentielles sur les populations de saumons de l'Atlantique sauvages.
- Malgré les améliorations des procédures technologiques et opérationnelles, les évasions de saumons de l'Atlantique élevés dans des cages en filet en milieu marin sont inévitables. D'après les méthodes actuelles de recapture, les tentatives pour capturer les fugitifs ne sont généralement pas fructueuses.
- Pour évaluer le succès des technologies de confinement physique et des pratiques opérationnelles afin d'atténuer les risques d'évasion, on a besoin d'information sur le nombre et la fréquence de ces événements. Il demeure difficile de détecter les poissons qui s'échappent des cages en filet, surtout en ce qui concerne les petits poissons ou les petits groupes de poissons. Les techniques utilisées par l'industrie pour estimer le nombre de poissons dans une cage en filet à un moment donné ne sont pas infaillibles, de sorte qu'il peut y avoir des écarts entre le stock de poissons, les morts signalées et le nombre de poissons récoltés. Des améliorations des outils et des techniques pour évaluer le nombre de poissons dans les cages en filet durant la croissance permettraient de mieux évaluer les évasions impliquant de petits nombres de poissons. Les évasions sont généralement liées à des dommages structurels aux cages en mer attribuables à des événements météorologiques et à des erreurs opérationnelles. Les normes, les vérifications et les formations, ainsi que l'information propre au site sont pris en compte au sein des systèmes efficaces de confinement physique.
- La seule méthode actuellement disponible pour confiner efficacement les poissons d'élevage à une échelle commerciale lors du frai est la production de femelles triploïdes seulement. L'utilisation de femelles triploïdes stériles dans le cadre de l'aquaculture du saumon de l’Atlantique réduirait considérablement la proportion de fugitifs adultes retournant dans des cours d'eau de même que la possibilité de croisement avec les stocks sauvages. Même si les saumons de l'Atlantique triploïdes peuvent avoir un bon rendement en élevage, il faudrait faire d'autres comparaisons avec des individus diploïdes afin d'évaluer le rendement en mer, la résistance aux agents pathogènes, la transmission des maladies, les effets écologiques, les coûts associés à la surveillance ainsi que les techniques d'élevage afin d'optimiser le rendement en vue d'une utilisation à l'échelle commerciale.
Le présent avis scientifique découle de la réunion de consultation du 26 au 28 mars 2013 portant sur les effets potentiels entourant l'importation du saumon de l’Atlantique d'élevage d'origine européenne sur les populations et les habitats de saumon de l'Atlantique à Terre-Neuve. Toute autre publication découlant de cette réunion sera publiée, lorsqu'elle sera disponible, sur le calendrier des avis scientifiques de Pêches et Océans Canada.
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