Avis scientifique 2014/004
Répercussions de la déviation du trafic maritime dans l'estuaire du Saint-Laurent sur le béluga (Delphinapterus leucas) : le secteur des Sciences à l'appui de la gestion du risque
Sommaire
- La population de bélugas de l'estuaire du Saint-Laurent (ESL) est inscrite en tant qu'espèce menacée en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) du Canada qui vise à empêcher les espèces en péril d'être tuées ou blessées (article 32 et annexe I) et à protéger contre la destruction toute partie de leur Habitat Essentiel (article 58 et annexe I).
- Le trafic maritime peut avoir des répercussions sur le béluga de l'ESL, principalement par le bruit qu'il génère, puisque les risques de collisions avec de grands navires se déplaçant lentement sont considérés faibles pour le béluga compte tenu de sa grande agilité et son ouïe très fine. Selon un examen des études, on prévoit des réactions négatives à des sources de bruit continu à partir d'un seuil de 120 dB re 1 μPa (rms) pour les cétacés comme le béluga, dont l'acuité auditive est plus grande dans les moyennes fréquences.
- Des données sur le volume de trafic maritime, les caractéristiques acoustiques des navires, les conditions locales de propagation du son et les densités estivales de bélugas dans l'ESL provenant de 35 relevés aériens ont été utilisées pour déterminer les zones de concentration des bélugas, la proportion de la population et de son Habitat Essentiel exposés au trafic maritime selon a) les conditions et les voies de trafic actuelles (principalement par le chenal nord (CN)) et b) un scénario Hybride de rechange impliquant une limite de vitesse de 10 noeuds et une augmentation probable de la déviation du tracé vers le chenal sud (CS). L'ampleur des répercussions négatives liées à ces deux scénarios sur la population de bélugas a été évaluée.
- Selon nos simulations, chaque navire commercial transitant par la voie navigable actuelle du CN expose, selon le niveau de la source et la direction du déplacement, entre 15 et 48 % de la population de bélugas à des niveaux sonores risquant de provoquer des réactions comportementales chez une majorité d'individus. La grande majorité (entre 72 et 80 %) des bélugas exposés sont des femelles accompagnées de veaux ou de juvéniles (FVJ).
- Les navires qui dévient actuellement en partie leur course vers le CS augmentent de 7 à 11 % l'exposition du béluga au bruit de cette ampleur à chaque passage par rapport à ceux qui demeurent dans le CN, exposant 16 à 53 % de la population à la navigation, selon le niveau sonore du navire, la direction du déplacement et le trajet précis dans le CS. Les navires utilisant le CS réduisent l'empiétement global sur les zones de concentration du béluga de 2 à 3 %, selon le niveau sonore du navire, mais accroissent de 3 % l'exposition de l'Habitat Essentiel identifié du béluga.
- Pour les navires bruyants demeurant dans le CN, le scénario Hybride proposé réduirait de 10 à 12 % l'exposition de la population de bélugas, et de 7 et 11 % celle de son Habitat Essentiel, simplement en raison de la réduction de vitesse à 10 noeuds.
- Les navires les plus susceptibles de choisir l'autre trajet, et donc de passer le moins de temps dans la zone à vitesse réduite, sont les plus grands, les plus rapides et les plus bruyants (c'est-à-dire ceux ayant une vitesse de croisière >14 kt). En ne tenant compte que de ces navires (principalement des porte-conteneurs), l'exposition au bruit dans le contexte du scénario Hybride transitant dans le CS accroît l'exposition des bélugas de 21 % et celle de leur Habitat Essentiel de 17 % par rapport au trajet avec vites se réduite demeurant dans le CN. Comme pour les autres déviations vers le CS, ce scénario réduit l'exposition des troupeaux de bélugas adultes et de leur habitat, mais accroît celle des FVJ et de l'Habitat Essentiel de la population.
- La navigation commerciale est actuellement concentrée dans le CN de l'ESL alors qu'entre 90 et 94 % des navires y transitent. En raison de ce trafic et de l'industrie d'observation des baleines, il s'agit d'une zone fortement insonifiée. Les îles au centre de l'ESL créent une ombre acoustique pour l'habitat des FVJ situé le long de la rive sud. La déviation d'une partie du trafic marchand vers le CS diminuerait grandement le nombre de zones à l'abri du bruit pour les FVJ.
- Les constatations ci-dessus s'appliquent au passage d'un seul navire et doivent être élargies à l'ensemble du trafic. Environ 18 transits commerciaux de tous types de navires, sont enregistrés quotidiennement, exposant chaque béluga plusieurs fois par jour à un bruit risquant de modifier son comportement. En tenant compte uniquement des navires les plus susceptibles d'utiliser le CS, il existe un potentiel de presque tripler la fréquence d'exposition des FVJ dans cet habitat peu exposé (deux expositions supplémentaires par jour).
- On ignore la proportion des bélugas exposés pour lesquels le bruit risque d'avoir des répercussions négatives au point de compromettre leur reproduction, leur santé ou leur survie. Cependant, les bélugas de l'ESL ne sont pas immunisés contre les perturbations et le déplacement, ayant quitté la baie de Tadoussac quand une marina y a été construite, et ayant modifié leur comportement acoustique en réponse au masquage causé par le bruit des traversiers.
- L'effectif de la population de l'ESL est resté stable pendant plusieurs décennies, mais semble avoir diminué récemment, ce qui suggère que des facteurs naturels ou anthropiques préviennent son rétablissement. Le rôle relatif des pressions naturelles et découlant des activités anthropiques, notamment la dégradation de l'environnement, la contamination, la prolifération des algues toxiques et le trafic maritime, sur la santé, la reproduction et la survie de chaque individu et, par conséquent, sur le potentiel de croissance de la population ne peut être déterminé.
- Le scénario Hybride proposé incluant une déviation du tracé vers le CS risque d'avoir des effets négatifs, ou neutres dans le meilleur des cas, sur le rétablissement du béluga de l'ESL, puisqu'il accroît l'empreinte acoustique des navires dans l'habitat des FVJ et l'Habitat Essentiel du béluga, et qu'il contribue à la dégradation acoustique de certaines zones de concentration qui, auparavant, étaient peu exposées au bruit de la navigation.
- Le maintien ou la concentration la plus grande possible du trafic commercial dans le CN constitue le scénario réduisant au maximum les répercussions sur le béluga de l'ESL et son habitat.
Le présent avis scientifique découle de la réunion annuelle du Comité national d'examen par les pairs sur les mammifères marins (CNEPMM) tenue du 7 au 11 octobre 2013. Toute autre publication découlant de cette réunion (un compte rendu et deux documents de recherche) sera publiée lorsqu'elle sera disponible sur le calendrier des avis scientifiques du secteur des Sciences du MPO.
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