Avis scientifique 2021/024
Répercussions de l’entretien du drain agricole du ruisseau beaver sur le brochet vermiculé (Esox americanus vermiculatus), une espèce en péril.
Sommaire
- Le bassin hydrographique du ruisseau Beaver, situé dans le sud-ouest de l’Ontario, comprend environ 37,3 km2 de terres principalement agricoles et ses eaux s’écoulent dans le ruisseau Black, un affluent de la rivière Niagara. Le ruisseau Beaver est considéré comme un drain municipal et peut donc faire l’objet d’un entretien périodique. Une importante population de brochets vermiculés (Esox americanus vermiculatus), une espèce en péril au Canada, est présente dans le ruisseau Beaver et pourrait être touchée par les travaux d’entretien de drains entrepris dans le bassin hydrographique.
- À l’automne 2011, le bras ouest du ruisseau Beaver a fait l’objet de travaux d’entretien et de reconstruction qui s’appuyaient sur les principes d’aménagement naturel des chenaux. Environ 2,8 ha d’habitat du poisson dans le ruisseau Beaver ont été touchés par ces travaux. L’état naturel du bras est du ruisseau Beaver a été préservé.
- Pour déterminer s’il y avait des répercussions sur la communauté de poissons du ruisseau, et plus particulièrement sur la population de brochets vermiculés, le MPO a effectué un suivi à long terme de la communauté et de l’habitat du ruisseau Beaver de 2009 à 2013 et en 2015.
- À deux occasions, une baisse de la population de brochets vermiculés a été observée dans le ruisseau Beaver au cours de la présente étude. Après la période d’échantillonnage de 2009, une première baisse de l’abondance a été observée lors de l’échantillonnage estival de 2010. La deuxième baisse a été observée lors d’une période de sécheresse importante en 2012. Ces baisses ont été observées dans toute la zone étudiée.
- Selon une étude sur l’âge et la croissance des brochets vermiculés dans le ruisseau Beaver et le ruisseau Jones (situé dans l’est de l’Ontario), on a déterminé que les brochets vermiculés avaient tous entre 0 (jeunes de l’année) et 8 ans, d’après l’examen de leur cleithrum. Selon les estimations fondées sur la longueur selon l’âge, les brochets vermiculés capturés dans le ruisseau Beaver en 2009 présentaient des taux de croissance beaucoup plus faibles que ceux capturés en 2011.
- La comparaison des structures recommandées pour la détermination de l’âge a montré que les écailles n’étaient pas suffisamment fiables pour l’estimation de l’âge des brochets vermiculés, contrairement au cleithrum. Lorsqu’on a déterminé l’âge à partir des écailles, les estimations étaient souvent sous-estimées. Les estimations fondées sur la longueur selon l’âge étaient fiables, et une relation importante entre le rayon du cleithrum et la longueur corporelle a été établie.
- On a réalisé une analyse génétique de la population à l’aide d’échantillons de tissus prélevés dans l’aire de répartition canadienne du brochet vermiculé afin de déterminer la structure de la population de l’espèce au Canada. Les résultats préliminaires ne montrent aucun signe de la structure de cette population. Par conséquent, les conclusions de l’étude menée dans le ruisseau Beaver devraient s’appliquer à l’ensemble de l’aire de répartition de l’espèce au Canada, lorsque les milieux sont semblables.
- Une étude sur les déplacements du brochet vermiculé dans le ruisseau Beaver réalisée à l’aide d’étiquettes à transpondeur passif intégré (TPI) a montré que le brochet vermiculé peut franchir une distance correspondant à celle de la zone de travaux d’entretien du drain (0,5 à 1 km), ce qui indique que l’espèce pourrait recoloniser la zone après les travaux. Toutefois, peu d’individus (13,3 % en 2009 et 5,6 % en 2010) se sont déplacés sur de telles distances.
- Les déplacements sur de longues distances (0,9 à 3,1 km) effectués par des brochets vermiculés dans le ruisseau Beaver étaient irréguliers (non cyclique) et aucun signe de migration n’a été observé au cours de l’étude des déplacements. Les déplacements sur de longues distances ont été effectués la plupart du temps par des poissons de grande taille et en bonne santé.
- On a effectué une modélisation par simulation pour déterminer l’incidence de la quantité d’habitat sur la taille de la population de brochets vermiculés dans le ruisseau Beaver, et pour fournir des de la taille minimale d’une population viable et de la superficie minimale pour assurer la viabilité de la population. Lorsqu’elles étaient disponibles, les données propres au ruisseau Beaver ont été utilisées pour l’estimation des paramètres du modèle. Toutefois, il était nécessaire d’utiliser des données tirées de publications scientifiques pour estimer la fécondité, la mortalité et les besoins en matière de superficie par individu.
- D’après les estimations de la superficie de l’habitat propres au stade du cycle vital, calculées à partir des données sur le niveau de l’eau de 2010-2011 et d’une analyse de la zone inondée basée sur le système d’information géographique (SIG), le modèle de population a prédit que le nombre de brochets vermiculés adultes dans le principal affluent est limité par la quantité d’habitat requise pour les poissons d’âge 1+. L’habitat des jeunes de l’année devient limité lorsque la quantité d’habitat disponible est inférieure à 60 000 m2. L’habitat de fraie n’est pas limité, à moins qu’une grande superficie par femelle soit nécessaire au succès de la fraie ou que la superficie de l’habitat inondé soit inférieure à 100 000 m2 pendant la période de fraie.
- La taille minimale d’une population viable requise pour l’atteinte d’une probabilité de persistance de 99 % sur 100 ans, si la probabilité de catastrophe (soit une réduction ponctuelle de 50 % de la population) est de 15 % par génération, correspond à 1 653 brochets vermiculés d’âge 3+. Pour se maintenir, une population de cette taille nécessite 14 853 m2 d’habitat pour les individus d’âge 1+, 4 921 m2 d’habitat pour les jeunes de l’année et 7 992 m2 d’habitat pour la fraie.
- On a effectué des analyses avant-après-contrôle-impact (BACI) à plusieurs échelles temporelles afin de déterminer l’incidence des travaux d’entretien et de reconstruction du drain sur l’habitat, l’abondance du brochet vermiculé et la communauté de poissons en général. Des effets importants ont été observés sur l’abondance du brochet vermiculé et sur les conditions de l’habitat, notamment concernant la conductivité, la couverture végétale, la température de l’eau et la profondeur de l’eau. C’est dans la section reconstruite que les effets ont été les plus néfastes.
- Après les travaux d’entretien et de reconstruction du drain, la section reconstruite du ruisseau Beaver a été recolonisée par le brochet vermiculé. L’abondance du brochet vermiculé, mesurée par les captures par unité d’effort (CPUE), a augmenté dans la section reconstruite après les travaux d’entretien et de reconstruction. On ne sait pas si cette augmentation des CPUE est due au déplacement d’individus provenant d’autres endroits du ruisseau vers la section reconstruite ou à l’augmentation de la production de brochets vermiculés dans la section reconstruite.
- La création de fosses plus profondes a probablement atténué les effets de la sécheresse de 2012 et a protégé la population de brochets vermiculés présente dans la section reconstruite d’un épisode de mortalité.
- Puisque les brochets vermiculés se déplacent rarement sur de longues distances, les travaux de drainage devraient être effectués à l’extérieur des zones où l’abondance du brochet vermiculé est élevée (de préférence en aval), dans la mesure du possible.
- Les futures activités d’entretien du drain dans les zones fréquentées par le brochet vermiculé devraient s’appuyer sur les principes d’aménagement naturel des chenaux. Les travaux de reconstruction devraient inclure la création de fosses plus profondes afin de fournir un habitat et un refuge où la vitesse du courant est faible, lors de l’abaissement du niveau d’eau, ainsi que des zones peu profondes à faible débit où des macrophytes aquatiques submergés peuvent s’établir. Lors de travaux d’entretien et de reconstruction, on devrait tenter de conserver le caractère complexe des chenaux, un habitat de plaine inondable fonctionnel et des liens entre la plaine inondable et le chenal principal. Ces éléments ont été intégrés au plan de reconstruction du ruisseau Beaver. Toutefois, on ignore quels auraient été les effets sur la population de brochets vermiculés et l’habitat en l’absence de ces éléments d’aménagement naturel des chenaux.
- La présence d’une population source et sa capacité de dispersion lors de la recolonisation d’une zone reconstruite à la suite de travaux menés dans le cours d’eau devraient être prises en compte lors de la planification des travaux d’entretien et de reconstruction futurs.
- Chaque fois que l’occasion se présente, on devrait intégrer aux prochains projets de drainage des activités de suivi menées avant et après les travaux afin d’accroître le nombre d’études de cas disponibles en vue de réduire les incertitudes liées aux effets néfastes de ces activités et de prendre des décisions éclairées concernant les effets de l’entretien de drains sur les espèces de poissons en péril. On devrait mener des activités de suivi le plus longtemps possible avant et après les travaux de drainage afin de détecter les changements relatifs à l’habitat et à l’abondance de l’espèce. La présente étude a démontré que le fait de modifier la durée du suivi peut influencer la capacité de détection des effets néfastes des travaux d’entretien et de reconstruction du drain sur la population de poissons et l’habitat.
- Les projets de suivi devraient inclure des activités d’échantillonnage normalisées aux différents sites, d’une année à l’autre. Également, il faudrait mettre en œuvre un plan d’étude comportant des analyses statistiques rigoureuses.
Le présent avis scientifique découle de l’examen par des pairs régional du 4 au 5 octobre, 2016 sur les Répercussions de l’entretien des drains agricoles sur le brochet vermiculé (Esox americanus vermiculatus), une espèce de poisson en péril, du ruisseau Beaver. Toute autre publication découlant de cette réunion sera publiée, lorsqu’elle sera disponible, sur le calendrier des avis scientifiques de Pêches et Océans Canada (MPO)
Avis d’accessibilité
Ce document est disponible en format PDF. Si le document suivant ne vous est pas accessible, veuillez communiquer avec le Secrétariat pour l’obtenir sous une autre forme (par exemple un imprimé ordinaire, en gros caractères, en braille ou un document audio).
- Date de modification :