Document de recherche 2007/076
Évaluation préliminaire du potentiel de rétablissement des otaries à fourrure du Nord (Callorhinus ursinus) de Colombie-Britannique
Par P.F. Olesiuk
Résumé
L’otarie à fourrure du Nord (Callorhinus ursinus) est le pinnipède le plus abondant et le plus largement dispersé dans tout le Pacifique Nord. L’espèce se reproduit actuellement dans six roqueries et, bien que les deux sexes se montrent très fidèles à leurs lieux d’origine respectifs, les échanges entre ces lieux demeurent suffisants pour éviter la différenciation génétique. Puisque les déplacements des otaries d’une roquerie à l’autre et la colonisation de nouvelles roqueries sont susceptibles d’affecter la dynamique des populations, il importe de reconnaître les otaries à fourrure comme une seule et même population. Les petits constituent le seul segment de population confiné au sol où il est possible d’en faire le recensement. Leur dénombrement sert depuis longtemps d’indice au suivi des tendances de la population. Le taux de natalité global des otaries à fourrure a chuté de 38 % en 30 ans (trois générations) en raison de la baisse dans la principale aire de reproduction des îles Pribilof. Dans les autres roqueries, le taux de natalité est demeuré stable, sinon en hausse, de sorte que la proportion des petits nés dans les îles Pribilof serait passée de 76 % à 53 % au cours des 30 dernières années. L’arrêt de la chasse des mâles préreproducteurs dans les principales roqueries produit des changements dans la structure par sexe et par âge de la population. D’une majorité de femelles, le rapport mâles-femelles de la population des otaries à fourrure est désormais mieux équilibré, entraînant une diminution de la production de petits par individu. L’on estime que la taille totale de la population est passée de 1,67 à 1,22 million otaries à fourrure ces 30 dernières années, ce qui représente un déclin d’environ 27 % de l’abondance de l’espèce et de 23 % du nombre d’individus adultes.
Les prévisions pour la population de l’île Saint-Paul semblent indiquer une diminution chronique du stock des îles Pribilof depuis les années 1950. Les femelles capturées dans le cadre d’un programme de réduction du troupeau et de la recherche expliquent l’important déclin de 70 % constaté entre la fin des années 1950 et le début des années 1960. Les modèles mathématiques ont toutefois indiqué un taux de survie inférieur à l’équilibre chez les juvéniles, qui aurait entraîné une certaine diminution de la population même en l’absence de cette chasse (York et Hartley, 1981; Trites et Larkin, 1989). La faiblesse du rétablissement subséquent et le déclin soutenu de l’espèce demeurent inexpliqués. Des calculs par simulation ont montré qu’une réduction dans la production de petits de cette ampleur pourrait être attribuable à un taux de survie des juvéniles inférieur de 18 % au point d’équilibre, à une réduction de celui des adultes de 8 % ou à une diminution de 12 % du taux de gravidité. Quoique biologiquement réalistes, ces conclusions sont toutefois impossibles à vérifier à partir des données actuellement recueillies. L’on estime que le nombre de mâles adultes aurait connu un essor considérable suivant l’interdiction, en 1984, de la récolte commerciale des mâles immatures, mais ces estimations sont difficiles à valider puisque le dénombrement des mâles vivant au sein des harems et des mâles sans partenaire sexuel ne fournit qu’un indice de leur abondance actuelle. Puisque les mâles ont une plus grande taille que les femelles, les modèles mathématiques indiquent également une augmentation de la masse corporelle moyenne. La biomasse des otaries à fourrure pourrait donc être demeurée sensiblement la même dans la mer de Béring depuis 30 ans.
La population d’otaries à fourrure du Nord hivernant le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord (de la Californie au sud-est de l’Alaska) est surtout composée de femelles adultes (64 %), de quelques juvéniles (36 %) et mâles adultes (0,5 %), qui représentent environ 74 % de la population des femelles adultes et 52 % de la population totale de l’est de l’océan Pacifique. Les otaries rejoignent les côtes en décembre-janvier pour regagner la mer en juin-juillet, passant une moyenne de 4,8 mois en eaux côtières. Dans l’ensemble, l’abondance demeure relativement stable de février à mai où l’on dénombre près de 375 000 otaries à fourrure sur les côtes. En saison hivernale, l’aire de répartition des otaries pélagiques les amène à se déplacer vers le nord, le long des côtes; elles se rassemblent ainsi en Californie en février, dans l’État de Washington en avril, puis en Colombie-Britannique et dans le sud-est de l’Alaska en mai. Au sommet de leur abondance, en mai, près de 123 000 otaries à fourrure fréquentent les eaux canadiennes, la plus forte densité étant observée sur le banc LaPerouse, au large du sud-ouest de l’île de Vancouver. Leurs proies principales sont l’anchois du Pacifique et le merlu dans la partie sud de leur trajet migratoire, ainsi que le hareng, le saumon et le sébaste dans la partie nord, tandis que le calmar constitue une source de nourriture importante dans les eaux hauturières.
Le déclin du taux de reproduction des otaries à fourrure dans les îles Pribilof demeure inexpliqué. Seule une très petite quantité de mâles préreproducteurs est chassée à des fins de subsistance et le nombre de captures accessoires des pêches est relativement minime. Il est donc peu probable que le taux de mortalité directement causé par l’homme puisse être un important facteur de ce déclin. La disponibilité des proies dans la mer de Béring pourrait avoir connu certaines fluctuations, répercussion possible de changements survenus dans le milieu océanique ou des pêches commerciales, comme en témoigne la diminution d’abondance d’autres pinnipèdes du golfe d’Alaska et de la mer de Béring (DeMaster et coll., 2006). Les otaries à fourrure femelles des îles Pribilof pourraient également être victimes d’une concurrence intra ou interspécifique pour les mêmes proies. L’on estime que le nombre relatif et la biomasse des otaries à fourrure mâles dans la mer de Béring aurait connu un essor considérable suivant l’interdiction de la chasse commerciale. L’otarie de Californie et l’otarie de Steller, qui se nourrissent souvent des mêmes proies que l’otarie à fourrure du Nord, ont augmenté en abondance le long de la côte ouest d’Amérique du Nord. Le degré de concurrence entre ces prédateurs du sommet de la chaîne alimentaire justifie une étude plus approfondie.
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