Document de recherche 2008/010
Analyses de la taille à l’équilibre de quatre populations de saumon atlantique (Salmo salar) en Nouvelle-Écosse et dans le sud-ouest du Nouveau-Brunswick dans la perspective de leur rétablissement
Par A.J.F. Gibson, R.A. Jones, et P.G. Amiro
Résumé
Quatre études de cas sont présentées pour illustrer la relation qui existe entre les menaces et le potentiel de rétablissement du saumon dans la sous-région atlantique de la Nouvelle‑Écosse et de la baie de Fundy. On a modélisé la taille à l’équilibre de chaque population afin d’illustrer leur état actuel ainsi que l’effet attendu des mesures de rétablissement prises. Les modèles utilisés divisent le cycle de vie des espèces en au moins deux parties et permettent de déterminer quelle est la taille de la population à laquelle les taux, dans chaque partie du cycle de vie, sont équilibrés de façon que la population ne voit pas son effectif s’accroître ou diminuer. En modifiant les paramètres du cycle biologique afin de représenter la réaction attendue à l’activité humaine et en examinant les changements ainsi obtenus dans la taille à l’équilibre de la population, on peut évaluer les effets qu’a l’activité sur la population d’une manière qui situe la réaction attendue dans le contexte des autres menaces pesant sur la population. Les menaces et les facteurs d’agression dont il est question dans chaque étude de cas sont représentatifs de certaines conditions affectant la viabilité des populations de saumon dans la baie de Fundy et dans les cours d’eau de la côte atlantique de la Nouvelle‑Écosse : acidification, aménagements hydroélectriques, faible productivité des habitats d’eau douce et faible taux de survie en mer.
On a élaboré l’étude de cas sur la rivière LaHave (en amont de Morgans Falls) en utilisant des données propres à la population de ce cours d’eau. Cette étude de cas illustre l’effet d’un faible taux de survie en mer. Une courbe de production en eau douce a été calculée à l’aide d’estimations de la ponte annuelle, du nombre de saumoneaux qui émigrent de ce cours d’eau et de la composition selon l’âge de ces derniers. La production d’œufs sur toute la durée de vie des saumoneaux a été estimée à l’aide des données sur les taux de montaison et la fécondité propre à la population ainsi que d’estimations relatives à la fréquence du frai. Les taux de montaison dans la rivière LaHave se sont établis en moyenne à 2,37 % (fourchette de 1,09 à 4,33 %) pour les saumons unibermarins et à 0,48 % (fourchette de 0,24 à 0,97 %) pour les saumons dibermarins. Actuellement, seul le faible taux de survie en mer a été établi comme représentant une menace pour cette population. Les possibilités d’accroître tant la productivité en eau douce que la capacité des eaux douces sont limitées, mais devraient améliorer le rétablissement de la population. Aux taux de montaison les plus faibles observés, la population atteint une taille à l’équilibre de zéro, tandis qu’aux taux de montaison moyens, la taille à l’équilibre s’établit approximativement à 1,1 million d’œufs, une valeur similaire aux pontes récemment observées. Si le taux de montaison élevé qui a été observé en 1999 se maintenait, la population pourrait croître et atteindre des effectifs supérieurs à la limite propre à assurer la conservation des stocks, à laquelle les pêches pourraient être maintenues.
L’étude de cas portant sur la rivière Big Salmon, considérée comme représentative d’une population en voie de disparition de l’intérieur de la baie de Fundy, a également été fondée sur des données propres à la population. Même si d’autres menaces existent, le principal facteur de perturbation des populations présentes dans cette unité de conservation (UC) est également le faible taux de survie en mer. Ce faible taux de survie, dans le cas de la population de la rivière Big Salmon, se traduit par un changement dans la taille à équilibre de la population, laquelle est passée d’environ quatre fois les besoins en œufs propres à assurer la conservation des stocks à une population non viable (taille à l’équilibre de zéro). En l’absence d’intervention humaine ou d’une amélioration des taux de survie en mer, ces populations devraient disparaître. Par le passé, la taille de la population a été fortement tributaire de la disponibilité de l’habitat. Comme ce n’est plus le cas aujourd’hui, l’augmentation de la disponibilité et de la qualité de l’habitat devrait avoir peu d’effets, voire aucun, sur la taille de la population compte tenu des taux de survie en mer actuels. Une augmentation des taux de survie en mer se traduisant par une hausse des taux de montaison à 4 % pour les saumons unibermarins et à 0,5 % pour les saumons dibermarins entraînerait un changement dans la taille à l’équilibre de la population équivalant à environ deux fois les besoins en œufs propres à assurer la conservation des stocks. L’étude de cas illustre de quelle façon les facteurs qui ont une incidence sur une partie du cycle de vie (dans le cas présent, le taux de survie en mer) peuvent limiter l’efficacité des mesures de rétablissement axées sur d’autres parties de ce même cycle de vie (restauration de l’habitat d’eau douce).
Les deux autres études de cas présentées illustrent les interactions qui existent entre divers facteurs de perturbation. La population de saumon de la rivière Tobique, au N.-B., subit également l’effet d’un faible taux de survie en mer, mais est davantage touchée par la survie réduite des saumoneaux qui, durant leur migration vers l’aval, doivent traverser des installations hydroélectriques et des ouvrages de retenue. La productivité de l’habitat d’eau douce semble également faible d’après des analyses de la survie entre le stade œuf et le stade saumoneau et des données sur l’abondance des juvéniles, lesquelles analyses ont été entreprises dans le cadre de l’étude de cas. Étant donné la production en eau douce et la survie en mer actuelles, la population n’est pas viable, quelle que soit la situation aux passages à poissons, même aux taux de montaison maximaux observés qui ont été utilisés dans la présente analyse. Si la survie en mer augmentait jusqu’à un niveau hypothétique (mais plausible) de 8 % pour les saumons unibermarins et de 3 % pour les saumons dibermarins, la population demeurerait non viable aux taux de survie actuellement observés aux passages. Toutefois, on obtient une faible taille à l’équilibre de la population si la situation est améliorée aux passages à poissons. Si la production en eau douce s’accroissait et que la survie en mer augmentait, la taille à l’équilibre de la population serait supérieure aux besoins propres à assurer la conservation des stocks si la survie aux passages des poissons était accrue à 100 %. Toutefois, cette taille à l’équilibre est inférieure à la moitié de ces besoins aux taux de survie aux passages actuels. La mortalité aux passages des poissons peut, par conséquent, limiter fortement l’efficacité potentielle d’autres initiatives de rétablissement. Par contre, le fait de s’attaquer au problème de la survie aux passages à poissons uniquement ne devrait pas être suffisant pour entraîner la production d’une population viable dans cette rivière.
Un résultat similaire a été observé dans l’étude de cas de la rivière West (Sheet Harbour) (Gibson et al., 2007). Cette rivière est affectée par l’acidification, et sa population affiche un faible taux de survie en mer. On peut obtenir de faibles tailles à l’équilibre de la population en s’attaquant à l’une ou l’autre menace, même si la viabilité de la population dans un environnement fluctuant de façon aléatoire demeure inconnue. Selon les résultats du modèle, il faudra s’attaquer aux problèmes de la survie en mer et de l’acidification si l’on veut améliorer le rétablissement de la population. Ces études de cas illustrent qu’il faut vraisemblablement prendre de multiples mesures pour assurer le rétablissement de la population lorsque de multiples menaces pèsent sur cette dernière.
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