Avis scientifique 2015/051
Aquaculture en cage en eau douce : impacts écosystémiques des déchets de phosphore dissous et sous forme de particules
Sommaire
- Le phosphore (P) a une importance biologique et est d'origine naturelle ainsi qu'anthropique. Le phosphore est naturellement présent à des concentrations faibles, mais variables dans les plans d'eau et tend à limiter la croissance de la production primaire. La concentration de phosphore dans les lacs est étroitement liée aux changements de productivité des lacs et à la qualité de l'eau. La modification anthropique de la charge en polluants phosphorés d'un écosystème lacustre doit par conséquent être prise en compte dans le processus de gestion des activités susceptibles de contribuer à la charge totale en polluants phosphorés.
- Afin de prévoir précisément et de gérer les effets potentiels des apports en phosphore provenant de l'aquaculture dans les écosystèmes lacustres, il est nécessaire de mieux comprendre les facteurs qui influent sur le cycle du phosphore en fonction de chaque écosystème. Des travaux supplémentaires doivent notamment être menés pour comprendre les facteurs qui ont une incidence sur le rejet et la rétention du phosphore, et pour comprendre comment la structure du réseau trophique peut influer sur le cycle du phosphore entre la colonne d'eau et les sédiments.
- L'introduction d'espèces envahissantes et la modification de l'utilisation du paysage sont susceptibles d'avoir des répercussions sur le cycle du phosphore d'un écosystème lacustre. La modification de l'utilisation du paysage peut modifier considérablement non seulement la charge totale en polluants phosphorés, mais également le rapport entre phosphore dissous et phosphore sous forme de particules. Par conséquent, il est impératif de mettre en place dans les écosystèmes gérés pour accueillir des activités aquacoles une surveillance continue de la charge en polluants phosphorés des bassins hydrographiques et de la modification de la structure trophique des plans d'eau, afin de comprendre les charges totales en polluants phosphorés.
- L'excrétion de phosphore par les poissons d'aquaculture est directement liée à la quantité de phosphore dans le régime alimentaire et à sa digestibilité.
- La charge en polluants phosphorés due à l'aquaculture peut être limitée au maximum grâce à l'utilisation d'aliments contenant du phosphore hautement assimilable et en faible quantité.
- La modélisation nutritionnelle des aliments et les données d'élevage fournissent une estimation précise de la contribution du phosphore qui n'est pas quantifiable en échantillonnant l'eau réceptrice, en raison de la dispersion, de la décantation et des transformations rapides des déchets phosphorés une fois introduits dans l'environnement.
- La gestion des effets potentiels des apports en phosphore liés à l'aquaculture dans les écosystèmes lacustres pourrait être améliorée en utilisant la modélisation nutritionnelle pour caractériser la quantité, la forme et le chronométrage de la charge en polluants phosphorés.
- La charge totale en phosphore produite par les élevages ne représente pas une mesure exacte du risque d'eutrophisation potentiel posé par l'apport en phosphore dans un écosystème. Le chronométrage et le devenir de la charge en polluants phosphorés peuvent avoir une influence considérable sur ce risque.
- Des différences de limnologie, de géochimie et de structure trophique propres à un écosystème peuvent modifier le cycle du phosphore. Il est donc nécessaire de mener des recherches scientifiques supplémentaires pour déterminer le devenir du phosphore provenant de l'aquaculture dans les écosystèmes accueillant des activités commerciales d'élevage en cages.
- Le faible niveau de surveillance des apports en phosphore des affluents constitue une source importante d'incertitude au moment d'estimer les charges totales en polluants phosphorés du chenal du Nord du lac Huron. Il est impératif d'améliorer considérablement la surveillance spatiale des sources en phosphore des écosystèmes gérés destinés à accueillir des activités aquacoles. L'estimation précise de la charge en polluants phosphorés est nécessaire pour déterminer les bilans de phosphore.
- La variabilité naturelle des précipitations annuelles peut avoir une incidence considérable sur la charge en polluants phosphorés des bassins versants alimentant les écosystèmes lacustres. Il serait souhaitable de gérer l'ensemble des charges anthropiques en polluants phosphorés de manière à tenir compte de la variation naturelle de la charge des bassins versants, tout en empêchant la détérioration de la qualité de l'eau.
- Bien que l'industrie aquacole contribue actuellement à seulement 5 % environ de la charge en polluants phosphorés du chenal du Nord du lac Huron, l'importance biologique du phosphore pour la productivité lacustre et la nécessité de satisfaire aux charges en polluants phosphorés cibles de la Commission mixte internationale (CMI) laissent entendre que la charge en polluants phosphorés doit être prise en considération dans la gestion de l'expansion prévue de l'industrie ou d'autres activités dont la contribution à la charge en polluants phosphorés est reconnue.
- L'établissement de charges cibles en polluants phosphorés pourrait être amélioré si les réactions sublittorales et extracôtières à ces charges étaient prises en compte, et si le type des charges, c'est-à-dire si elles prennent la forme de particules ou de phosphore dissous, était pris en considération. L'établissement de seuils de charges distincts pour les zones sublittorales et extracôtières, ainsi que pour le phosphore dissous et sous forme de particules permettrait d'améliorer la gestion de l'écosystème du chenal du Nord.
- La mise en place d'une stratégie de gestion des bassins versants qui tiendrait compte non seulement de l'aquaculture, mais également d'autres activités au sein des bassins versants et de leur contribution potentielle aux charges en polluants phosphorés, serait bénéfique pour tous les intervenants.
- Une grande partie des déchets de phosphore (dissous ou sous forme de particules) rejetés dans un lac tempéré par des activités aquacoles est piégée dans les sédiments, comme dans le cas des apports « naturels » en phosphore des affluents. Par conséquent, la charge totale en polluants phosphorés ne constitue pas nécessairement un indicateur précis du potentiel d'eutrophisation de la charge en phosphore. C'est la quantité de phosphore qui reste dans la colonne d'eau et qui est libérée des sédiments qui doit être prise en compte.
- Malgré leur nombre restreint, il existe toutefois des données indiquant que les formes de phosphore présentes dans les sédiments sous les cages à poisson et autour de celles-ci ont des quantités relatives différentes de celles mesurées dans les sédiments de sites de référence.
- La forme du phosphore ainsi que sa quantité doivent être comprises pour caractériser correctement le potentiel de remobilisation et, par conséquent, de développement d'une charge interne. Les charges internes en phosphore libèrent le phosphore qui était piégé dans les sédiments et le rendent biodisponible. Cette libération n'est pas souhaitable, car elle contribue au potentiel d'eutrophisation.
- D'autres échantillonnages du fractionnement du phosphore sur des sites d'aquaculture commerciale en cage et des sites de référence, ainsi que des mesures des rejets de phosphore par les sédiments (le phosphore devient par exemple soluble) permettraient de mieux caractériser le risque d'eutrophisation que pose cette accumulation de phosphore dans les sédiments.
- L'utilisation de modèles européens prenant spécifiquement en compte l'aquaculture dans la prédiction de la réaction de l'ensemble de l'écosystème lacustre aux charges en polluants phosphorés permettrait peut-être d'améliorer la gestion des effets cumulatifs de l'aquaculture en eau douce au Canada.
- Ces modèles doivent être adaptés aux écosystèmes canadiens, car la structure du réseau trophique et la chimie des sédiments peuvent différer.
- La mise en place de stratégies nutritionnelles peut être un moyen direct et efficace de gérer les rejets de phosphore provenant de la pisciculture.
- L'élaboration d'une nourriture plus efficacement utilisée par les poissons pourrait permettre de réduire l'utilisation de l'alimentation et les déchets produits.
- En Ontario, des exigences en matière d'octroi de permis imposant des quotas alimentaires et l'utilisation d'aliments à faible teneur en phosphore se sont avérées efficaces pour atténuer le potentiel d'eutrophisation attribuable aux polluants phosphorés provenant des activités de pisciculture.
- Des exigences relatives à l'installation de cages à des emplacements qui minimisent le potentiel de développement de charges internes en polluants phosphorés (p. ex. les sites où un renouvellement suffisant se produit) et des contrôles environnementaux réguliers sont actuellement utilisés pour atténuer les risques liés à la charge en polluants phosphorés.
- Des critères de sélection des sites supplémentaires, comme la mise en jachère ou l'installation dans des zones extracôtières, devraient être élaborés afin d'atténuer davantage les risques liés à la charge en polluants phosphorés émanant de l'aquaculture dans les régions côtières d'eau douce. Actuellement, l'aquaculture en cage en eau douce ne pratique pas la mise en jachère. Le déplacement des activités vers des zones extracôtières permettrait de bénéficier de charges cibles en polluants phosphorés plus élevées et d'une plus grande dispersion des déchets due à la profondeur plus importante des eaux.
- Compte tenu des niveaux de production industrielle et des pratiques actuelles, la probabilité que les apports en phosphore provenant de l'aquaculture en cage entraînent l'eutrophisation des environnements d'eau douce canadiens peut généralement être caractérisée comme étant « faible ».
- La croissance à venir de l'industrie ou le développement de toute autre activité anthropique contribuant à la charge en polluants phosphorés exige de prêter une attention particulière aux apports en phosphore, quelle qu'en soit la source.
Le présent avis scientifique découle de la réunion régionale d'examen par des pairs qui s'est déroulée du 17 au 19 juin 2014 et intitulée Aquaculture en cage en eau douce : impacts écosystémiques des déchets de phosphore dissous et sous forme de particules. Toute autre publication découlant de cette réunion sera publiée, lorsqu’elle sera disponible, sur le calendrier des avis scientifiques de Pêches et Océans Canada (MPO).
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