Les océans du Canada maintenant : Écosystèmes de l’Arctique, 2019
Sur cette page
- Avant-propos
- 1 État de l’océan Arctique canadien
- 2 Glace de mer
- 3 Habitats et réseaux trophiques
- 4 Caractère saisonnier
- 5 Variabilité des écosystèmes
- 6 Liens avec les environnements avoisinants
- 7 Cogestion
- 8 Conclusion
Information sur le document
Illustrations de Karianne Blank
© Sa majesté la reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Pêches et des océans du canada, 2019
No DE CAT. Fs23-549/1-2019F-PDF
ISBN 978-0-660-33045-7
Avant-propos
Les océans du Canada maintenant : Écosystèmes de l’Arctique
Les rapports Les océans du Canada maintenant sont des résumés de l’état actuel des océans du Canada et des tendances qu’ils affichent. Ces rapports sont produits tous les quatre ans, du fait de l’engagement du gouvernement du Canada d’informer ses citoyens de l’état actuel des océans du Canada.
Le rapport Les océans du Canada maintenant : Écosystèmes de l’Arctique fournit de nouvelles connaissances et fait état des tendances connues à l’égard des zones marines de l’Arctique canadien. Le rapport est fondé sur les connaissances scientifiques et inuites (Barre latérale : Connaissances des Inuits), ainsi que sur les conclusions fournies par Pêches et Océans Canada, Environnement et Changement climatique Canada, et des universitaires, des cogestionnaires et des collaborateurs territoriaux.
Le présent rapport s’appuie sur les principales conclusions du Rapport technique canadien des sciences halieutiques et aquatiques 3344, État des mers arctiques du CanadaNote de bas de page 1. Le rapport scientifique présente les constatations relatives à l’avancement des connaissances de base sur les écosystèmes marins de l’Arctique canadien et aux réponses observées des écosystèmes aux changements liés à la glace de mer. Les connaissances scientifiques et inuites décrivent l’état actuel et les tendances relatives aux habitats marins, aux espèces et aux réseaux trophiques, le cycle saisonnier des événements (saisonnalité), la variabilité dans le temps et l’espace, et les liens entre les zones océaniques, y compris les zones côtières. Il existe d’importantes lacunes dans la compréhension des milieux et des espèces marins de l’Arctique canadien. Ces lacunes sont mises en évidence dans le rapport et devront être comblées afin de garantir une gestion efficace des écosystèmes. Ces renseignements seront mis à jour dans les rapports à venir, ce qui permettra de fournir un portrait continu de l’état des écosystèmes marins de l’Arctique canadien et des tendances qu’ils affichent.
Connaissances des Inuits
Le terme « connaissances des Inuits » est l’un des nombreux termes utilisés pour décrire les connaissances détenues par les peuples inuits de l’Arctique, qui peuvent aussi être appelées « connaissances écologiques traditionnelles (CET) », « connaissances indigènes » et « Inuit Qaujimajatuqangit (IQ) ».
Dans le présent rapport, nous utilisons le terme « connaissances des Inuits », tel qu’il est utilisé par les gouvernements territoriaux et tel qu’il est connu dans toutes les collectivités inuites de l’Arctique canadien.
1 État de l’océan Arctique canadien
L’Arctique canadien possède la plus grande superficie océanique du pays. Il s’étend sur 30 degrés de latitude, de la baie James au plateau polaire, et couvre un large éventail d’environnements océaniques et côtiers ainsi que leurs écosystèmes interreliés (figure 1). La superficie de l’océan Arctique du Canada couvre 41 % de la superficie terrestre du pays, ce qui en fait une vaste région à comprendre et à gérer. Les nombreuses îles et les longues côtes sont des régions où la glace de mer peut geler solidement attachée à la terre, et cet environnement est essentiel à la survie et à la culture des Inuits. Aucune autre région polaire ne comporte autant de glace attachée à la terre. Voir la figure 3 pour obtenir de plus amples renseignements sur l’envergure et les différents types d’habitats de l’Arctique canadien.
Il est difficile d’informer les citoyens canadiens de l’état actuel des eaux de l’Arctique canadien. L’Arctique connaît des changements à l’échelle mondiale, mais le type et la vitesse des changements ne sont pas les mêmes partout. Il est nécessaire de comprendre l’état des écosystèmes de l’Arctique canadien pour expliquer et gérer les conditions actuelles et les changements futurs. L’état d’un écosystème décrit les conditions à un endroit précis – tant les conditions normales que leur évolution dans le temps. Il y a beaucoup à apprendre sur les eaux de l’Arctique canadien et, à de nombreux endroits, il y a peu d’information sur les changements qui touchent les environnements, les réseaux alimentaires et la biodiversité (Barre latérale : Information requise). Les connaissances des Inuits fournissent la plus longue perspective acquise au fil du temps. Ces précieuses connaissances éclairent notre compréhension des zones côtières, surtout là où les Inuits vivent depuis des milliers d’années (figure 2).
Il est plus difficile de déterminer l’état des eaux de l’Arctique canadien que celui des autres océans du Canada. Il y a eu peu de surveillance scientifique soutenue et à long terme des conditions océaniques et des espèces dans l’Arctique canadien. Par conséquent, les preuves scientifiques permettant de déterminer, d’expliquer et de prédire les changements liés aux écosystèmes de l’Arctique canadien sont limitées. Les connaissances des Inuits et la recherche scientifique documentent les conditions variables (fluctuantes) du milieu marin. Les différences d’une année à l’autre sont normales, mais des changements qui s’éloignent de la variation normale surviennent également.
Les changements observés et mesurés dans les eaux de l’Arctique canadien sont directement ou indirectement liés aux changements climatiques (figure 4). Les changements climatiques permettent également à d’autres facteurs de stress d’influer sur les écosystèmes marins (Barre latérale : Stress écosystémique). L’évolution de la glace de mer, qui est surveillée par satellite depuis les années 1970, témoigne clairement de la situation climatique. Les changements liés à la glace de mer ont une incidence sur tous les aspects de l’écosystème.
Les espèces et les environnements ne réagissent pas indépendamment aux changements climatiques ou à tout autre facteur de stress. Il existe une forte interconnexion entre les écosystèmes, les environnements et les espèces qui y vivent. Le présent rapport présente les nouvelles connaissances et les tendances ciblées au cours des cinq dernières années pour les thèmes écosystémiques (figure 5) qui sont tous touchés par l’évolution de la glace de mer. Les conclusions présentées dans ce rapport sont fondées sur les connaissances scientifiques et inuites, qui sont toutes deux nécessaires pour fournir des renseignements liés aux écosystèmes à l’appui de la gestion de l’océan et de ses ressources. La figure 6 fournit des détails sur la cogestion et la nécessité d’obtenir plus d’information pour mieux connaître l’état des milieux marins dans l’Arctique canadien.
Information requise
Certaines zones marines de l’Arctique canadien n’ont jamais été étudiées. Les efforts visant à accroître nos connaissances sur la biodiversité de l’Arctique canadien (p. ex. les poissons hauturiers) ont permis de documenter de nouvelles espèces. Mais ces espèces sont-elles nouvelles dans l’Arctique canadien ou ont-elles seulement été découvertes pour la première fois?
Dans de nombreuses zones, des renseignements sont très rarement recueillis. Par exemple, il peut s’écouler plus de 10 ans entre les relevés des populations de mammifères marins comme le béluga de la mer de Beaufort ou le morse du Haut-Arctique.
Stress écosystémique
Les changements climatiques constituent le plus grand facteur de stress d’origine humaine ayant une incidence sur l’Arctique canadien. Ils influent directement ou indirectement sur d’autres facteurs de stress d’origine humaine dans le milieu marin, y compris la navigation, la présence de microplastiques et de contaminants, le développement des ressources naturelles, ainsi que la pêche commerciale. Il faut détenir des connaissances sur les espèces et leur environnement pour gérer les effets actuels et futurs des changements climatiques et des facteurs de stress connexes dans l’Arctique canadien.
2 Glace de mer
La glace de mer est la caractéristique la plus influente dans les eaux marines de l’Arctique. La glace de mer est une composante des habitats océaniques de l’Arctique qui influe sur les interactions entre les espèces qui y vivent, ainsi que sur la vie quotidienne des collectivités arctiques. Toutes les glaces de mer ne sont pas identiques. Deux catégories importantes sont la glace saisonnière (se forme et fond au cours d’une année) et la glace pluriannuelle ou vieille glace (survit durant au moins deux étés). La glace de mer située à plus de 50 km des côtes se déplace habituellement toute l’année (banquise mobile). Plus près de la rive, la glace de mer s’attache à la terre (banquise côtière) et reste généralement fixée en place. La glace de mer est une importante voie de déplacement dans l’Arctique. Elle est utilisée par les chasseurs des collectivités pour accéder à la lisière de la banquise, la limite de la banquise côtière où la banquise mobile a été emportée par le vent.
La glace de mer influe sur la façon dont l’atmosphère interagit avec l’océan. Par exemple, les vents forts ne créent pas de grosses vagues en présence de la glace de mer. En absence de glace, les vagues peuvent éroder les rives de l’Arctique. La glace est une plate-forme pour les ours polaires et les phoques, et la glace elle-même abrite une vie microscopique diversifiée, y compris des algues de glace. La glace de mer a une incidence sur le mouvement des espèces et le trafic maritime puisqu’elle permet ou empêche la mobilité. Elle contrôle également le moment des événements annuels, comme la croissance du phytoplancton (plantes microscopiques qui vivent dans l’eau), l’alimentation de l’omble chevalier dans l’océan, ou le moment où certaines baleines quittent l’Arctique pour l’hiver. La glace de mer influe sur les cycles de vie, sur la façon dont l’énergie est transférée par les réseaux trophiques océaniques et sur la façon dont les espèces interagissent les unes avec les autres. Lorsque la glace de mer change, les écosystèmes changent aussi.
Les changements de la glace de mer dans l’Arctique canadien ne sont pas les mêmes à tous les endroits, et chaque type de glace change de façons différentes. La glace de mer s’amincit plus rapidement dans les zones d’eau profonde (bassin Canada) que dans les zones d’eau moins profonde (figure 7). Une perte importante de vieille glace pluriannuelle a été observée dans l’océan Arctique. Cependant, comme les vents transportent la vieille glace de l’océan Arctique jusqu’à la frontière nord de l’Arctique canadien, la perte globale de vieille glace est plus faible dans l’Arctique canadien. On trouve de la vieille glace le long du plateau continental polaire au nord et autour des îles du Haut-Arctique canadien. De nouveaux efforts de conservation sont axés sur la frontière nord du Canada, puisqu’il est reconnu qu’il s’agira probablement du dernier endroit dans tout l’Arctique où il sera possible d’observer de la glace de mer pendant l’été.
Principales constatations : Glace de mer
- Lien avec l’atmosphère : Les régimes climatiques naturels et les changements climatiques modifient tous les deux l’atmosphère et l’océan. Ces deux facteurs entraînent des fluctuations et des changements liés aux conditions de la glace de mer.
- Eaux libres : La période d’eaux libres s’allonge à mesure que la glace saisonnière disparaît ou fond plus tôt et se forme plus tard.
- Amincissement de la glace : Des données liées à la glace de mer consignées sur une période de 30 ans indiquent que la glace saisonnière sur les plateaux continentaux réagit différemment aux changements climatiques que la glace pluriannuelle des bassins profonds. La glace du plateau continental de la mer de Beaufort s’amincit de moins de 10 cm par décennie, comparativement à 40 cm par décennie dans le profond bassin Canada.
- Refuge de glace : Les vents empilent le reste de la vieille glace pluriannuelle dans les eaux canadiennes de l’est du bassin Canada et du nord du plateau continental polaire. Cette région est la seule région de l’Arctique où il devrait y avoir de la glace de mer pendant l’été au cours des prochaines décennies. Cette zone pourrait devenir un refuge estival pour les espèces dépendantes de la glace et pour une biodiversité unique.
- Emplacement de la lisière de la banquise : Les connaissances des Inuits de la région de l’île de Baffin indiquent que l’emplacement de la lisière de la banquise subit des changements; la lisière de la banquise semble en effet s’être approchée du rivage au cours des dix dernières années.
3 Habitats et réseaux trophiques
Les habitats des eaux de l’Arctique canadien sont diversifiés et comprennent la glace de mer, les différentes couches d’eau et le fond marin. Ces habitats varient selon les emplacements géographiques. La glace de mer saisonnière et pluriannuelle est importante pour les espèces qui vivent sur la glace, dans la glace et sous la glace (Encadré : Les ours polaires et le déclin de la glace de mer). Certaines espèces vivent également sur les fonds marins et à l’intérieur de ceux-ci. Dans certaines parties de l’Arctique canadien, près de 60 % des espèces qu’on s’attend à trouver sur le plancher océanique n’ont pas encore été découvertes (Barre latérale : Découverte de vers).
Les changements liés à la glace de mer et à l’eau de l’Arctique et des océans environnants ont une incidence sur les habitats et les réseaux trophiques de l’Arctique canadien. L’eau elle-même représente des habitats différents d’est en ouest, de même que des côtes et estuaires peu profonds aux eaux plus profondes du large et des bassins profonds. L’habitat aquatique (la colonne d’eau) n’est pas le même de haut en bas. L’océan est constitué de couches qui ont toutes des conditions et des origines différentes (figure 8). Les vents et les courants océaniques peuvent mélanger les couches et modifier les conditions de l’habitat, parfois pour une courte période (de quelques jours à quelques semaines). À mesure que les couches d’eau changent, l’habitat océanique change, ce qui a une incidence sur les poissons marins et d’autres espèces qui préfèrent des couches et des conditions d’eau particulières.
À l’heure actuelle, les changements connus de l’eau de mer dans l’Arctique canadien sont liés à la chimie et à l’approvisionnement en nutriments. Dans différentes régions de l’Arctique canadien, l’eau de mer est devenue plus acide au cours des 10 à 20 dernières années. Bien que cette eau « acidifiée » ne soit pas nocive pour l’homme, la baisse du pH peut endommager les coquilles de certaines espèces, notamment celle des escargots, et peut créer un environnement plus stressant pour les poissons et les invertébrés. Une plus grande quantité de dioxyde de carbone (CO2) pénètre dans les invertébrés. Une plus grande quantité de dioxyde de carbone (CO2) pénètre dans l’océan Arctique. La présence d’une plus grande quantité de CO2 dans l’eau, combinée aux courants océaniques qui emprisonnent la fonte des glaces et l’eau des rivières, entraîne une acidification plus élevée dans le bassin Canada qu’ailleurs dans l’Arctique canadien.
Les conséquences des changements de l’état des glaces et de l’eau sur les réseaux trophiques ne sont pas bien connues dans les différents habitats. S’il y a plus d’habitats en eau libre, cela signifie que le réseau trophique marin peut être soutenu par une croissance accrue des plantes microscopiques présentes dans l’eau (phytoplancton) et moins par celles qui se trouvent dans la glace de mer (algues de glace). Cependant, les changements liés à la disponibilité des éléments nutritifs, et notamment des nitrates – un élément nutritif essentiel utilisé par le phytoplancton – peuvent soutenir ou limiter les augmentations du phytoplancton. Compte tenu des multiples conditions changeantes, il n’est pas possible de dire que la présence de phytoplancton augmente ou diminue systématiquement ni que tous les emplacements marins de l’Arctique canadien changent de la même façon. Dans la baie de Cumberland, les algues présentes dans la colonne d’eau constituent une source d’énergie de plus en plus importante pour le réseau trophique, les algues de glace fournissant moins d’énergie. Les études sur l’alimentation du béluga, du phoque annelé, du flétan noir et de l’omble chevalier de la baie de Cumberland indiquent également des changements dans l’abondance et les types d’espèces proies disponibles dans le réseau trophique (figure 9).
Les ours polaires et le déclin de la glace de mer
Près de 20 ans de recherche démontrent les effets qu’ont les changements climatiques sur l’ours polaire, le prédateur le plus charismatique de l’Arctique. Les ours polaires de l’ouest et du sud de la baie d’Hudson sont en moins bonne santé en raison du déclin de la glace de mer et de l’accès réduit à la glace de mer et aux phoques.
Découverte de vers
En 2013, des millions de vers tubicoles ont été découverts sur des volcans de boue actifs dans la partie canadienne de la mer de Beaufort (à une profondeur de 280 à 740 mètres). Les volcans, d’une largeur de 600 à 1 100 mètres et d’une hauteur de 30 mètres, crachent de la boue et des gaz chauds, y compris du méthane. Les vers n’ont ni œil ni estomac. Pour survivre, ils utilisent les gaz des volcans comme source d’énergie (chimiosynthèse), probablement en combinaison avec des bactéries qui vivent dans leur corps. Cette découverte concerne la première et la seule communauté chimiosynthétique vivante connue dans les eaux de l’Arctique canadien. La communauté similaire la plus proche se trouve dans l’Arctique norvégien.
Qu’allons-nous découvrir d’autre dans l’Arctique canadien?
Principales constatations : Habitats et réseaux trophiques
Changements dans l’habitat
- La chimie de l’océan : Les eaux de surface du bassin Canada sont plus acides aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Ce changement est lié à une rotation horaire prolongée (>15 ans) des eaux de surface dans la zone balayée par le vent provenant de la direction la plus commune.
- Remontée d’eau profonde : Le mélange d’eau qui transporte les nutriments de l’eau profonde à la couche de surface est appelé « remontée d’eau profonde ». Le nombre de remontées d’eau a doublé sur le plateau du Mackenzie au cours des 25 dernières années. Ce changement est lui aussi attribuable à la rotation horaire prolongée des eaux de surface dans le bassin Canada.
- Nutriments : La couche d’eau de l’océan Pacifique contient la plupart des nutriments nécessaires à la croissance du phytoplancton dans les eaux de l’Arctique canadien. Cette couche se trouve généralement à une profondeur de 150 mètres. Au cours des 15 dernières années, la couche du Pacifique a été repoussée vers le bas dans le centre de la mer de Beaufort et vers le haut sur le plateau continental moins profond de la mer de Beaufort. On observe une plus grande croissance du phytoplancton aux endroits où les nutriments sont plus près de la lumière du soleil.
- Plus d’eaux libres : Bien que les données satellitaires montrent que la croissance sur un an du phytoplancton est plus importante parce qu’il y a plus d’eau libre de glace dans l’Arctique canadien, la croissance du phytoplancton est moindre dans certaines régions en raison du déclin de la disponibilité des éléments nutritifs.
- Disponibilité de la glace de mer : La disponibilité et la stabilité de la glace de mer en tant que plate-forme diminuent. Ce phénomène est lié à la présence d’ours polaires et de phoques annelés plus maigres dans la baie d’Hudson. Par conséquent, les populations d’ours polaires sont en déclin dans la baie d’Hudson. Les changements relatifs à la population n’ont pas encore été évalués avec précision pour le phoque annelé.
- Utilisation de l’habitat : L’habitat préféré des poissons qui vivent dans les eaux hauturières est étroitement lié à la profondeur des couches d’eau de l’Atlantique ou du Pacifique dans la mer de Beaufort et la baie de Baffin. Les principales espèces du réseau trophique, comme la morue arctique, préfèrent les zones de transition entre les couches océaniques. Par conséquent, les changements liés aux couches océaniques sont directement liés aux changements relatifs à l’habitat océanique.
Changements du réseau trophique
- Les régimes : Dans l’est et l’ouest de l’Arctique, les prédateurs marins comme l’omble chevalier, le flétan noir, le phoque et le béluga ont une alimentation flexible. Dans la baie de Cumberland, le régime alimentaire des prédateurs marins a changé pour inclure différentes espèces de poissons, comme le capelan.
- Déplacement des sources d’énergie : En raison de l’augmentation de la période d’eau libre dans la baie de Cumberland, les voies du réseau trophique changent. Différents prédateurs marins mangent maintenant des choses semblables. Une plus grande partie de l’énergie consacrée à la chaîne alimentaire provient désormais du phytoplancton plutôt que des algues qui poussent dans la glace de mer.
4 Caractère saisonnier
L’Arctique canadien subit des changements saisonniers extrêmes – 24 heures d’obscurité et couverture de glace en hiver, et 24 heures de lumière du jour et couverture de glace réduite en été. Les espèces marines et les humains qui vivent dans l’Arctique canadien se sont adaptés au cycle annuel. Les collectivités côtières s’adaptent aux changements saisonniers. Les gens savent comment se rendre sur les territoires de chasse et quand ils peuvent s’attendre à trouver différents poissons et mammifères marins dans leur région (Barre latérale : Inventaire des connaissances). Cependant, le cycle annuel des événements change et les écosystèmes marins ne se comportent pas toujours comme prévu.
La principale raison expliquant les changements saisonniers qui surviennent dans les écosystèmes marins de l’Arctique est le raccourcissement de la période de couverture de glace. La glace de mer se dégage ou fond plus tôt dans l’année. Ce changement influe sur le moment des événements du cycle de vie (p. ex. la mise bas, l’alimentation, la migration). Le prolongement de la période d’eaux libres influe sur les algues de glace et le phytoplancton à la base des réseaux trophiques (Encadré : L’océan en fleurs). Bien que ces changements influent probablement sur l’ensemble du réseau trophique, on ne sait pas très bien comment les individus et les espèces, ainsi que les interactions entre espèces, seront touchés (figure 10).
Le prolongement de la période d’eaux libres peut être bénéfique ou nuisible aux poissons, aux mammifères marins et aux oiseaux, selon leur capacité d’adaptation et leurs interactions avec d’autres espèces. Bon nombre d’entre elles sont des espèces de subsistance importantes pour les peuples autochtones de l’Arctique canadien (figure 11). Des espèces comme l’eider à duvet (canard de mer) peuvent tirer profit d’une adaptation permettant l’éclosion de leurs œufs juste avant les conditions d’eaux libres. Les canetons peuvent alors se nourrir en eaux libres quelques jours seulement après l’éclosion, ce qui augmente leurs chances de survie. Au cours des 20 à 30 dernières années, les mammifères marins étudiés dans la mer de Beaufort ont réagi différemment aux changements liés à l’étendue et à la persistance de la glace de mer. Certaines études indiquent que la santé des jeunes baleines boréales s’est améliorée au fil du temps, mais que la santé du phoque annelé et du béluga pourrait s’être détériorée (Encadré : Phoque annelé de la baie d’Hudson). D’autres recherches sont nécessaires pour surveiller comment les populations de mammifères marins continueront de réagir aux changements relatifs aux saisons arctiques.
Inventaire des connaissances
La relation étroite entre les collectivités côtières du Nunavut et les changements saisonniers qui touchent l’océan se reflète dans les données de l’Inventaire des ressources côtières du Nunavut, un projet dirigé par le gouvernement du Nunavut pour documenter les connaissances des Inuits sur les poissons côtiers et marins, les mammifères marins, les oiseaux, les plantes et les invertébrés. Les collectivités du Nunavut subissent actuellement les conséquences des changements de l’état des glaces de mer.
L’océan en fleurs
Les floraisons phytoplanctoniques de courte durée sont des événements importants dans les eaux de l’Arctique canadien. De nombreuses espèces coordonnent leur reproduction et leur alimentation avec le moment de la floraison. Le moment et l’emplacement des floraisons sont fortement contrôlés par la glace de mer et la couverture de neige. Les floraisons à la lisière des glaces peuvent avoir des effets différents sur les nutriments et le réseau trophique selon que la lisière des glaces est située au-dessus d’un bassin profond ou d’une zone moins profonde (plateau continental).
Les phoques annelés et la fonte de la glace de mer
Le phoque annelé n’est pas en mesure de terminer sa mue (perte et repousse des poils) lorsque la débâcle survient de façon extrêmement précoce. Les températures élevées de l’océan peuvent également faire en sorte que les phoques aient trop chaud et causer un comportement inhabituel qui les expose à un risque accru de prédation. Par exemple, l’année très chaude de 2010 a entraîné des problèmes de santé chez le phoque annelé vivant dans la baie d’Hudson. Les phoques ont subi un stress accru et ont donné naissance à moins de petits au cours des années suivantes.
Principales constatations : Caractère saisonnier
Changements dans l’ensemble du réseau trophique :
- Floraisons précoces : Dans certains endroits, la période de croissance maximale du phytoplancton (floraison) se produit plus tôt. Ces floraisons et la réaction des brouteurs de zooplancton et des larves de poisson, qui dépendent d’une alimentation coordonnée avec les floraisons, n’ont pas été surveillées au fil du temps.
- Nutriments utilisés plus tôt : Des floraisons plus précoces et qui pourraient se produire plus fréquemment sous la glace peuvent réduire la quantité d’éléments nutritifs disponibles pour la croissance du phytoplancton plus tard en été. Cela aura une incidence sur le moment et la façon dont l’énergie est transférée par les réseaux trophiques océaniques.
- Migration de l’omble chevalier : La migration de l’omble chevalier vers les eaux océaniques de l’ouest de l’Arctique canadien a lieu plus tôt dans l’année en raison de la débâcle précoce le long de la côte. Cela permet aux poissons de se nourrir plus longtemps dans l’eau de mer. La croissance de l’omble chevalier s’est améliorée dans certaines régions côtières de la partie canadienne de la mer de Beaufort.
- Mue du phoque : Lorsque la débâcle est extrêmement précoce, les phoques annelés ne sont pas en mesure de terminer leur mue, ce qui les rend plus vulnérables aux maladies et à la prédation.
- Migration des bélugas : Au cours des 25 dernières années, la diminution de la saison des glaces dans le détroit d’Hudson a permis aux bélugas de migrer plus tôt dans la baie d’Hudson et de partir plus tard.
Réponses aux changements saisonniers :
- Décisions individuelles : Les réactions individuelles aux changements liés au moment de la formation de la couverture de glace et de l’eau libre influent sur la façon dont les populations s’adapteront aux changements climatiques. Le taux de survie des canetons de l’eider à duvet est plus élevé si l’éclosion a lieu juste avant que les eaux deviennent libres de glace dans la baie d’Hudson.
- Interactions entre espèces : L’allongement de la saison d’alimentation en eau libre favorise la reproduction de l’eider à duvet dans la baie d’Hudson, y compris l’augmentation du nombre d’œufs pondus. La production d’un plus grand nombre d’œufs aide à compenser la prédation croissante des nids par les ours polaires qui n’ont pas accès aux phoques, leur proie préférée. Cela indique que les changements liés à la glace de mer peuvent avoir des effets multiples sur une espèce et qu’ils sont susceptibles de n’entraîner aucun changement global au sein d’une population.
5 Variabilité des écosystèmes
Les conditions environnementales observées dans l’Arctique canadien diffèrent d’une année à l’autre et d’une décennie à l’autre. Cette variabilité est une caractéristique normale causée par les changements atmosphériques. La configuration des vents et la pression atmosphérique ont des effets directs sur l’océan et la glace de mer. Ces conditions peuvent survenir sur de longs cycles et afficher des températures plus élevées ou plus basses et des vents plus ou moins forts sur une période allant de 2 à 20 ans, par exemple. Il est essentiel de comprendre l’étendue de cette variabilité naturelle pour faire la distinction entre les conditions variables normales de l’Arctique canadien et les nouvelles tendances liées aux changements climatiques.
Les données satellitaires fournissent 40 ans d’information sur la présence de la glace de mer. La température de l’air, les régimes atmosphériques et les conditions du vent ont également été surveillés dans différentes régions de l’Arctique pendant de nombreuses années. Grâce à ces données à long terme, les cycles prévus des courants océaniques sont également connus. Par exemple, les couches d’eau de surface tournent en un grand cercle au-dessus du profond bassin Canada. Cette eau en rotation est appelée le tourbillon de Beaufort. Les cycles atmosphériques font généralement en sorte que la rotation du tourbillon passe du sens horaire au sens antihoraire tous les cinq à dix ans. Cependant, le tourbillon de Beaufort tourne dans le sens horaire depuis les 19 dernières années (en date de 2017). En conséquence, l’eau douce des rivières et de la fonte des glaces s’est accumulée dans le tourbillon. Il y a maintenant environ 33 % d’eau douce de plus dans le tourbillon qu’en 2003. L’eau douce accumulée crée une barrière aux nutriments retenus dans la couche d’eau plus profonde de l’océan Pacifique (figure 8) et les eaux de surface plus douces deviennent naturellement plus acides.
La variabilité naturelle de la vie marine dans les eaux de l’Arctique canadien n’est pas aussi bien connue. On dispose de peu d’information sur les changements qui surviennent au sein des populations au fil du temps, ainsi que sur les changements liés à la répartition des individus ou des groupes d’espèces. Les espèces pêchées commercialement, comme le flétan noir et la crevette, sont étudiées chaque année dans la baie de Baffin et le détroit de Davis afin de comprendre la variabilité de ces espèces particulières. Les populations sont variables, mais globalement stables (figure 12). Des écosystèmes complets, du phytoplancton aux baleines, peuvent être très différents pendant une seule année (Encadré : Une année différente). Il est important de savoir si les années de faible abondance de la morue arctique ou de répartition inattendue des bélugas deviennent plus courantes pour prédire les changements futurs.
Certains habitats importants qui sont utilisés régulièrement par les mammifères marins et d’autres espèces peuvent changer considérablement d’une année à l’autre. C’est le cas notamment de l’emplacement et de la taille des polynies, des zones de glace mince et d’eaux libres où de nombreuses espèces survivent à l’hiver (Encadré : Sanctuaire arctique). La variabilité de l’abondance et de la répartition des espèces est étroitement liée à la variabilité de l’habitat.
La connaissance de la variabilité naturelle est nécessaire pour décrire l’état d’un écosystème. L’information de base sur les écosystèmes marins de l’Arctique canadien augmente, mais les tendances au fil du temps demeurent rares. Comme les données à long terme sur les eaux de l’Arctique canadien sont limitées, l’information nécessaire pour déterminer, expliquer et gérer les changements actuels et futurs des écosystèmes est inférieure à celle qui se rapporte aux autres océans du Canada (figure 13).
Une année différente
Une différence notable a été observée dans l’écosystème de la mer de Beaufort en 2014. Même si les niveaux de phytoplancton observés étaient beaucoup plus élevés que pour les années précédentes, la morue arctique n’a pas été trouvée en grand nombre dans les couches océaniques qu’elle préfère habituellement. Les bélugas étaient également répartis différemment et la communauté d’Ulukhaktok n’avait jamais récolté autant de baleines auparavant. Des études écosystémiques sont nécessaires pour comprendre la variabilité de l’environnement et du réseau trophique.
Sanctuaire arctique
Les eaux du Nord, Pikialasorsuaq (figure 1), sont un endroit spécial dans l’océan Arctique canadien. Elles fournissent des zones d’eau libre vitales pour les oiseaux de mer et de multiples espèces de mammifères marins. Bien que cette polynie soit reconnue depuis de nombreuses années pour ses ressources abondantes et vitales, les conditions environnementales varient énormément d’une année à l’autre. Des données récentes suggèrent qu’il pourrait y avoir une diminution des ressources à la base du réseau trophique. La question est de savoir si ces changements font partie de la variabilité naturelle de la polynie ou s’il s’agit d’une tendance émergente résultant des changements climatiques.
Principales constatations : Variabilité des écosystèmes
Types de variabilité :
- Température : La température de l’eau près du fond marin situé au milieu du plateau du Mackenzie varie depuis 1985. La tendance à long terme montre que cet endroit de l’océan Arctique canadien ne se réchauffe pas.
- Courants océaniques : Les eaux de surface du bassin Canada sont en constante rotation (le tourbillon de Beaufort) et la rotation devrait changer de direction tous les 5 à 10 ans. Cependant, le tourbillon tourne en sens horaire depuis 19 ans (en date de 2017), ce qui entraîne une modification de l’habitat océanique et une diminution de la croissance du phytoplancton dans cette région.
- Habitats : Malgré la grande variabilité de la couverture de glace d’une année à l’autre, les eaux du Nord (aussi connues sous le nom de Pikialasorsuaq) abritent de grandes populations d’oiseaux de mer et de mammifères marins en été comme en hiver.
- Mammifères marins : L’ampleur de la variabilité des populations de mammifères marins demeure largement inconnue dans l’Arctique canadien. À l’heure actuelle, la baleine boréale est la seule baleine résidant dans l’Arctique dont le nombre augmente.
- Espèces commerciales de l’Arctique : Bien que l’abondance des stocks de flétan noir, de crevette nordique et de crevette rayée exploités commercialement varie d’une année à l’autre, les populations sont stables.
- Pêche de subsistance : Les renseignements les plus complets sur les tendances des populations d’omble chevalier et de Dolly Varden pour la pêche de subsistance proviennent des stocks de l’ouest de l’Arctique canadien. Plusieurs de ces stocks ont déjà connu des périodes de déclin. Des évaluations plus récentes indiquent des tendances stables ou à la hausse en ce qui a trait à l’abondance.
Défis de la variabilité et du changement :
- Il est difficile de détecter les changements dans l’environnement et les écosystèmes marins de l’Arctique canadien en raison des grandes différences qui surviennent naturellement d’année en année et de décennie en décennie. La surveillance scientifique à long terme a lieu dans d’autres océans du Canada et du monde, mais pas dans l’Arctique canadien. En l’absence de données recueillies de façon constante sur une période de 20 ans, il est difficile de distinguer les changements réels de la variabilité normale de l’environnement.
6 Liens avec les environnements avoisinants
L’Arctique canadien ne peut être compris si on l’étudie de façon isolée. Les eaux canadiennes sont reliées au grand océan Arctique, et les eaux proviennent des océans Atlantique et Pacifique. La glace de mer dans l’Arctique canadien peut avoir parcouru de grandes distances en provenance d’autres régions de l’Arctique. Cela signifie que les facteurs (forces naturelles) et les stress (d’origine humaine) qui influent sur les écosystèmes de l’Arctique canadien proviennent souvent d’autres océans et d’autres pays.
L’eau de l’océan Pacifique qui se déverse dans l’Arctique canadien transporte les nutriments essentiels qui contrôlent la croissance à la base du réseau trophique. Cette eau du Pacifique fournit également une eau plus acide qu’il y a 20 ans, ce qui contribue à l’acidification des océans dans l’Arctique canadien. Il est nécessaire de surveiller l’état de l’eau qui entre dans l’Arctique canadien et qui en sort pour comprendre comment les habitats océaniques changent et comment les liens océaniques peuvent avoir une incidence sur les pêches de subsistance et les pêches commerciales (figure 14).
Le pistage des migrations permet de cibler les connexions longue distance entre les océans et met en évidence la façon dont les habitats sont utilisés à différentes périodes de l’année (Encadré : Points chauds). On a récemment découvert que les requins du Groenland peuvent migrer du détroit de Jones sur l’île de Baffin vers le nord-ouest du Groenland. On continue de découvrir de nouveaux liens et des détails sur les voies de migration des oiseaux migrateurs, des mammifères marins et des poissons qui dépendent des écosystèmes de l’Arctique canadien. On étudie actuellement les habitudes de déplacement du flétan noir, une importante espèce exploitée commercialement, et de certains poissons de la baie Cumberland qui se déplacent jusqu’aux Grands Bancs et sur la côte ouest de l’Islande.
La migration des mammifères marins peut être interrompue par la glace de mer. Les connaissances des Inuits documentent les conséquences graves qui subissent les mammifères marins qui n’ont pas accès aux connexions nécessaires entre les zones (Barre latérale : Perte de connexion). Par contre, le prolongement de la période d’eaux libres dans l’Arctique canadien permet maintenant l’établissement et l’expansion de connexions. Par exemple, les épaulards pénètrent plus fréquemment dans l’est de l’Arctique, surtout dans la baie d’Hudson. La présence accrue d’épaulards dans l’Arctique canadien modifie le comportement des autres baleines qui tentent d’éviter ces prédateurs agressifs (Encadré : Extension de l’aire de répartition). Il est essentiel de savoir si les nouvelles connexions ou les connexions existantes changeront ou demeureront les mêmes pour gérer les populations de poissons et de mammifères marins (p. ex. les connexions eau douce-océan pour l’omble chevalier).
Perte de connexion
La connectivité est essentielle à la survie de nombreuses espèces marines dans l’Arctique canadien. La perte de connectivité peut être nuisible aux individus et aux populations. L’exemple le plus frappant est le piégeage des baleines dans la glace de mer avant leur départ à la fin de l’été. On ne connaît pas la fréquence des cas de piégeage, mais en 2008 et 2015, deux grands cas du genre ont été mortels pour des centaines de narvals du stock du détroit d’Éclipse. Des cas de piégeages mortels de bélugas et d’épaulards ont également été signalés par les collectivités.
Extension de l’aire de répartition
Des espèces qui étaient autrefois rares dans les écosystèmes marins de l’Arctique canadien ont pris de plus en plus d’importance au cours des dernières années et risquent d’entrer en concurrence avec certaines espèces arctiques pour leurs proies et leur habitat. Bien que le saumon du Pacifique, les épaulards et les phoques du Groenland ne soient pas nouveaux dans l’Arctique, leur nombre et leur emplacement augmentent. Les observations et les recherches communautaires aident à comprendre les effets de l’extension de ces aires de répartition sur d’autres mammifères marins et d’autres espèces locales d’omble.
Points chauds de l’arctique
Le pistage des déplacements des différentes espèces marines révèle la distance incroyable qu’elles parcourent et donne un aperçu de la façon dont elles interagissent avec la glace de mer et d’autres espèces. Les données du pistage des poissons, des mammifères marins et des oiseaux offre un nouveau point de vue sur la façon dont l’Arctique canadien fonctionne en tant qu’ensemble d’environnements liés. Ces renseignements permettent de cibler les points chauds de l’Arctique, c’est-à-dire les endroits qui sont utilisés fréquemment et de façon répétée par de nombreuses espèces. Les points chauds sont d’importants secteurs d’échange d’énergie au sein des réseaux trophiques marins de l’Arctique qui représentent les endroits où l’énergie est transportée dans les eaux de l’Arctique canadien, ou en est retirée.
Principales constatations : Liens avec les environnements avoisinants
Découverte de liens entre les espèces :
- De nouvelles connexions ont été découvertes :
- La migration des requins du Groenland vers le nord-ouest du Groenland.
- Mouvements du flétan noir vers les eaux moins profondes à l’automne.
- En été, l’omble chevalier Dolly Varden se déplace plus au large qu’on ne le croyait auparavant sur le plateau du Mackenzie. Il ne se limite pas aux eaux littorales.
- La connaissance des mouvements des poissons marins sert de base aux stratégies de gestion des espèces récoltées (p. ex. flétan noir, sébaste) et aux stratégies de conservation des espèces rares et des populations en péril (p. ex. loup de mer). Contrairement à d’autres espèces, les mouvements de la plupart des poissons marins de l’Arctique canadien ne sont pas directement touchés par la glace de mer. Au lieu de cela, leurs mouvements réagissent à la température de l’eau et à la répartition d’autres espèces.
Liens modifiés :
- Lien avec l’océan Pacifique : Les eaux du Pacifique qui se déversent dans l’Arctique par le détroit de Béring sont devenues plus acides, mettant ainsi en évidence la connectivité des facteurs de stress entre les océans.
- Liens avec l’habitat : Des études de pistage liées à de nombreux prédateurs marins mobiles ont révélé des points chauds distincts dans l’écosystème en été et en automne, comparativement à l’hiver et au printemps. Ces données révèlent comment les liens entre les habitats peuvent guider les efforts de conservation.
- Extension de l’aire de répartition de l’épaulard : La réduction de la glace de mer permet une plus grande présence des épaulards dans l’est de l’Arctique et dans la baie d’Hudson, où ils s’attaquent à d’autres mammifères marins (p. ex. la baleine boréale, le narval, le béluga, le phoque) et les dérangent.
- Liens communautaires : Les liens avec la glace de mer sont essentiels à la chasse et aux autres activités d’utilisation des terres dans toutes les collectivités côtières de l’Arctique. Cela comprend la pêche commerciale du flétan noir dans la baie de Cumberland. La modification de l’accès à la glace de mer est devenue un grave problème de sécurité, de sécurité alimentaire et de coût pour les peuples autochtones.
- Liens nationaux et internationaux : Le prolongement de la saison sans glace permet d’accroître le trafic maritime dans l’Arctique canadien, notamment pour les navires de croisière et les embarcations de plaisance. L’augmentation de la fréquence et la prolongation de la saison de navigation des navires peuvent accroître le bruit dans le milieu marin à certains endroits.
7 Cogestion
Les eaux côtières de l’Arctique canadien font partie intégrante de la survie et de la culture autochtones. Les collectivités de l’Arctique canadien dépendent des eaux côtières et des régions adjacentes pour leur subsistance et leurs possibilités économiques. La protection des stocks de poissons et de mammifères marins et des habitats qui les soutiennent repose sur des ententes globales de règlement des revendications territoriales qui comprennent des conseils de cogestion pour gérer les pêches et la faune. Les processus de cogestion varient d’une région à l’autre du Canada (région désignée des Inuvialuit, Nunavut, Nunavik et Nunatsiavut), collectivement appelée Inuit Nunangat (figure 2). L’utilisation des connaissances scientifiques et inuites est essentielle pour faire face aux changements liés aux écosystèmes côtiers de l’Arctique canadien (Encadré : Intégration des connaissances).
Dans l’ouest de l’Arctique canadien, l’érosion et l’effondrement du littoral et des zones côtières (delta) en période de dégel interrompent l’accès à la côte tant pour les poissons que pour la population (figure 15). Au cours des 20 à 30 dernières années, les taux d’érosion ont plus que doublé dans de nombreuses régions de la côte de la mer de Beaufort.
Le littoral changeant abrite différents groupes de poissons. Il est important de comprendre les interactions entre les espèces d’eau douce, les espèces marines côtières et les espèces anadromes (poissons qui se déplacent entre les eaux douces pendant l’hiver et les zones côtières pendant la saison des eaux libres) pour protéger et gérer les espèces de subsistance. Cependant, il faut acquérir des connaissances de base sur leur croissance et les habitats qu’ils utilisent tout au long de l’année.
L’information recueillie auprès des pêcheurs communautaires actuels et passés améliore la compréhension des caractéristiques des poissons côtiers et des taux de capture. Les programmes communautaires et les programmes dirigés par les collectivités, ainsi que la collecte de connaissances inuites, fournissent des renseignements nouveaux et historiques sur les régions côtières. Les connaissances des Inuits décrivent la présence accrue de certaines espèces (le capelan et l’épaulard, par exemple), la variabilité des conditions des glaces côtières et l’évolution des tendances saisonnières relatives aux espèces au cours des dernières décennies (Encadré : Surveillance communautaire). Les pêcheurs communautaires, particulièrement dans l’ouest de l’Arctique, surveillent l’augmentation de la présence du saumon du Pacifique. Bien que l’on trouve ces saumons dans les régions côtières de l’ouest de l’Arctique canadien, on ne sait pas encore s’ils peuvent s’y reproduire et coloniser la partie nord de leur aire de répartition.
Surveillance communautaire
Des programmes communautaires et dirigés par les collectivités sont mis en œuvre dans l’ensemble de l’Arctique canadien et permettent la collecte de données et d’échantillons pour une vaste gamme d’espèces, dont le béluga, le phoque, le saumon et les ombles. Les données sont souvent recueillies dans le cadre d’activités traditionnelles de pêche, de récolte et de voyage. Les données sur les récoltes éclairent les évaluations des stocks et reflètent les choix de récolte des membres de la collectivité. Les connaissances des Inuits d’Inuvik, de Tuktoyaktuk et de Paulatuk ont permis d’améliorer les modes de surveillance de la santé des bélugas dans la zone de protection marine de Tarium Niryutait.
Intégration des connaissances
La disponibilité et l’application des connaissances scientifiques et inuites sont essentielles aux décisions de gestion dans l’Arctique canadien. Dans la région désignée des Inuvialuit, cette information a été nécessaire pour prendre des décisions relatives à l’observation des baleines dans la mer de Beaufort et aux activités de pêche menées le long de la nouvelle route Tuktoyaktuk. Le codéveloppement de connaissances qui s’appuient sur un large éventail de connaissances scientifiques et inuites est nécessaire pour appuyer la prise de décisions par les conseils de cogestion.
Principales constatations : Cogestion
- Rivages : À mesure que les glaces fondent et que les conditions environnementales (température de l’air, tempêtes, vents, pluies, etc.) changent, les rivages de l’ouest de l’Arctique canadien s’effondrent et l’érosion côtière s’accélère. Les changements littoraux ont une incidence sur l’habitat migratoire et côtier du poisson et libèrent des nutriments d’origine terrestre qui deviennent une source d’énergie éventuelle pour les réseaux trophiques marins.
- Surveillance des poissons : De nouveaux renseignements émergent de la surveillance communautaire des déplacements et de la répartition des poissons anadromes et côtiers près du rivage. Les collectivités surveillent également l’augmentation de la présence du saumon du Pacifique à l’extrémité nord de leur habitat, dans l’ouest de l’Arctique canadien.
- Surveillance de l’environnement : À l’origine, la surveillance communautaire était axée sur des espèces importantes sur le plan culturel, comme l’omble chevalier et le béluga. Cette surveillance se poursuit et les programmes se sont récemment étendus pour inclure des observations environnementales, comme la température de l’eau, la salinité et l’épaisseur de la glace.
- Indicateurs de surveillance : Les connaissances des Inuits ont permis de cibler les mesures de la santé et de l’état des bélugas qui sont utilisées dans le cadre des programmes de surveillance de la première aire marine protégée de l’Arctique canadien, la zone de protection marine de Tarium Niryutait.
8 Conclusion
État des écosystèmes marins de l’arctique canadien
Les connaissances sur les écosystèmes marins de l’Arctique canadien s’améliorent, mais on ne dispose pas de renseignements de base sur certaines régions. Les connaissances scientifiques et inuites sont nécessaires pour mieux comprendre les différences qui surviennent d’une année à l’autre et les changements au fil du temps. On s’attend à ce que l’ensemble des écosystèmes marins de l’Arctique continuent d’être touchés par la variabilité et les changements liés à la glace de mer. Une approche globale doit être adoptée à l’égard de la surveillance des océans pour qu’on puisse détecter et expliquer les changements, et ainsi appuyer la gestion des écosystèmes marins dans l’Arctique canadien.
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