Centre d’expertise sur les mammifères marins
Rapport sur la recherche scientifique
2015-2017
Table des matières
- Texte Complet
- Introduction
- Utilisation d’images aériennes infrarouges pour dénombrer les phoques annelés sur la glace
- Utilisation de véhicules aériens sans pilote (UAV)
- 2017 : A Marine Mammal Odyssey, Eh!
- Une analyse de marquage-recapture provenant d’une étude à long terme sur l’île de Sable révèle des changements dans les taux démographiques chez le phoque gris de l’Atlantique Nord-Ouest
- Réseau OTN – Utilisation des phoques gris (Halichoerus grypus) comme sondes biologiques pour estimer la biomasse de phytoplancton
- Relevés aériens internationaux de la mégafaune marine du plateau continental dans l’Atlantique Nord-Ouest, du nord du Labrador jusqu’à la baie de Fundy
- Surveillance des déplacements des phoques lors de la mise bas sur la banquise dérivante
- Recherche en génomique sur les mammifères marins dans la région du Centre et de l’Arctique
- Réseau OTN et interactions prédateurs/proies
- Écoute en eaux profondes : Surveillance acoustique passive des baleines au large de la Nouvelle-Écosse
- Le partage des repas maintient la cohésion des familles d’épaulards: l’approvisionnement des membres de la famille maintient le lien social à long terme et aide à transmettre des gènes communs
- Nouveaux progrès dans l’utilisation d’acides gras pour déterminer le régime alimentaire des mammifères marins
- Plus qu'une simple bouchée : Révéler l’historique de quête de nourriture et de reproduction de la baleine boréale à partir du fanon
- Observation du comportement du morse dans les échoueries quasiment en temps réel
- Vers un dénombrement automatisé
- Références
Le partage des repas maintient la cohésion des familles d'épaulards : L'approvisionnement des membres de la famille maintient le lien social à long terme et aide à transmettre des gènes communs
Brianna Wright, Eva Stredulinsky, Graeme Ellis et John Ford
Une étude menée par des chercheurs à la Station biologique du Pacifique (MPO, région du Pacifique) a reçu le prix de l’article scientifique de l’année 2016 du sous-ministre adjoint. Ce prix récompense un article scientifique novateur et inspirant, qui marque une avancée dans un domaine d’étude pertinent pour le mandat du MPO, et qui est publié dans un périodique évalué par les pairs. L’article, intitulé « Kin-directed food sharing promotes lifetime natal philopatry of both sexes in a population of fish-eating killer whales, Orcinas orca », a été publié dans le journal Animal Behaviour. L’étude a révélé que les épaulards résidents du Nord partagent souvent du poisson avec les membres de leurs groupes familiaux (connus sous le nom de matrilignages).
Au cours d’une période de 12 ans (de 2002 à 2014), des chercheurs ont observé des épaulards de cette population attraper 685 saumons et partager plus de 70 % de cette quantité avec d’autres individus. Les animaux de tout âge (à l’exception des très jeunes baleineaux) et des deux sexes ont adopté ce comportement. Lorsqu’une proie était partagée, un épaulard avait habituellement effectué une longue plongée en quête de nourriture, tandis que les autres individus demeuraient à la surface. Une fois l’individu pourvoyeur remonté avec une proie, il transportait le poisson en direction des individus demeurés en surface et était rejoint par eux. Les épaulards parcouraient fréquemment jusqu’à 400 m pour le rejoindre, même si, plus souvent encore, ils se trouvaient à moins de 100 à 200 m lorsque le saumon était remonté à la surface. Des écailles et des morceaux de tissus du poisson étaient habituellement trouvés à la surface de l’eau où les épaulards se rassemblaient, ce qui indique que le poisson avait été rompu pour être partagé. Les chercheurs ont déterminé l’espèce et l’âge des poissons ainsi partagés en recueillant ces « restes ».
Ce comportement de partage d’une proie a également été filmé à l’aide d’une caméra sous-marine fixée sur un mât qui a été abaissé depuis le flanc du navire de recherche.
Les épaulards résidents s’attaquent presque exclusivement au saumon et dépendent en particulier du saumon quinnat (l’espèce de saumon la moins commune dans le nord-ouest du Pacifique) qui représente la majeure partie de son régime alimentaire connu. Malgré l’importance du saumon quinnat pour la survie individuelle des épaulards, ceux-ci choisissent souvent de partager cette ressource essentielle avec les membres de leur famille. Ce comportement est assez remarquable étant donné que tous ces poissons pourraient facilement être consommés en entier par un seul épaulard. Au lieu de cela, ils choisissent de les rompre en morceaux et de les partager. Dans la grande majorité des cas, les saumons ont été partagés entre des parents maternels proches (84 %). Les poissons étaient rarement partagés entre individus appartenant à des matrilignages différents.
Ce type de comportement d’abnégation peut en réalité finir par bénéficier aux épaulards qui cèdent une partie de leur repas. Premièrement, cela limite le niveau de concurrence entre les membres de la famille pour accéder au saumon et deuxièmement, en aidant des parents proches et en veillant à leur santé et à leur survie, cela aide à transmettre des gènes aux générations futures. En d’autres termes, adopter un comportement d’entraide qui favorise le succès de la reproduction de parents proches donne lieu à la prolifération de gènes communs au pourvoyeur et au bénéficiaire. Il s’agit d’une stratégie évolutive connue sous le nom de « sélection de parentèle ». Les comportements de sélection de parentèle offrent le meilleur avantage aux pourvoyeurs qui aident les individus qui leur sont le plus étroitement apparentés et dont le potentiel reproducteur est le plus élevé.
Le partage de la nourriture est un comportement de sélection de parentèle qui contribue à révéler la façon dont la structure sociale exceptionnellement stable de l’épaulard résident pourrait avoir évolué. Habituellement, les mammifères mâles quittent leurs groupes sociaux lorsqu’ils atteignent l’âge de se reproduire, afin de prévenir la consanguinité et pour réduire la concurrence entre les proches parents. Cependant, chez les épaulards résidents, ni les mâles ni les femelles ne quittent le groupe social de leur mère. Ce patron a été documenté chez seulement quelques espèces à l’échelle mondiale. Les épaulards résidents demeurent avec leur mère pendant toute leur vie car le partage de la nourriture avec des parents maternels proches offre d’importants avantages, p. ex., la prolifération de l’ADN en commun. Ces avantages ne sont offerts qu’aux épaulards qui restent avec le groupe dans lequel ils sont nés. Les épaulards résidents sont capables d’éviter la consanguinité sans quitter de façon permanente le groupe de leur mère, car ils ont des dialectes acoustiques complexes qui les aident à reconnaître et à prévenir un accouplement avec un proche.
Bien que les épaulards résidents des deux sexes demeurent avec le groupe de leur mère tout au long de leur vie, l’étude a révélé une différence importante dans la façon dont les mâles et les femelles partagent le poisson avec les membres de leur famille (figure 13).
Les femelles adultes partageaient presque tout le poisson qu’elles attrapaient (91 %) et le plus souvent avec leur progéniture. Contrairement aux femelles, les mâles adultes partageaient le poisson beaucoup moins souvent (25 % du poisson capturé). Ceci pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs. La première explication est le fait que la progéniture d’un mâle est née d’une femelle n’appartenant pas à son matrilignage et, par conséquent, les mâles sont habituellement moins liés aux membres du groupe familial et donc moins susceptibles de partager le poisson avec eux. Les mâles adultes ont aussi des besoins nutritionnels plus importants en raison de leur grande taille et, par conséquent, ils ont probablement besoin de constituer de plus grandes réserves alimentaires pour répondre à ces besoins.
Lorsque les mâles adultes partageaient du poisson, ils le faisaient souvent avec leur mère.
Étant donné que ces femelles étaient habituellement plus âgées, des matriarches ayant dépassé l’âge de procréer (figure 14), ce comportement est surprenant, car aider un individu qui ne peut plus se reproduire ne permet pas de perpétuer des gènes en commun. Cette forme de sélection de parentèle ne présente aucun avantage évident. En revanche, les matriarches ayant dépassé l’âge de procréer favorisaient leurs fils lorsqu’elles partageaient du saumon (figure 14) et d’autres recherches ont montré que les fils adultes dont les mères étaient mortes sont moins susceptibles de survivre eux-mêmes. Les mâles adultes partagent probablement le poisson avec leur mère pour veiller à ce que cette dernière survive et continue à leur fournir de la nourriture.
À l’inverse, l’étude a révélé que les mères cessent de partager les proies avec leurs filles à peu près au moment où celles-ci ont atteint l’âge adulte et ont donné naissance à leurs premiers baleineaux. Cela est probablement dû au fait que les filles se concentrent davantage sur l’approvisionnement de leurs baleineaux que sur le partage de la nourriture avec leurs mères. Les mères pourraient aussi choisir de favoriser leurs fils adultes plutôt que leurs filles, car l’efficacité de reproduction prévue de leurs fils tout au long de leur vie est plus importante (les épaulards femelles donnent naissance à environ cinq à sept baleineaux au cours de leur vie, tandis qu’un mâle dont l’efficacité de reproduction est élevée pourrait se reproduire beaucoup plus). Les mères qui partagent le poisson avec leurs fils pour améliorer leur survie bénéficient de plus grands avantages en retour (en ce qui concerne les gènes communs transmis à la génération future). La diminution du partage de la nourriture avec les filles pourrait aider à expliquer pourquoi des groupes d’épaulards résidents se séparent de leur lignée maternelle : les filles dont la mère ne leur fournit plus de saumon pourraient partir seules avec leur progéniture.
Le document de recherche avec la vidéo montrant des épaulards résidents du Nord partageant un saumon est disponible en ligne, gratuitement, à l’adresse suivante: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0003347216000737.
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