Centre d’expertise sur les mammifères marins
Rapport sur la recherche scientifique
2015-2017
Table des matières
- Texte Complet
- Introduction
- Utilisation d’images aériennes infrarouges pour dénombrer les phoques annelés sur la glace
- Utilisation de véhicules aériens sans pilote (UAV)
- 2017 : A Marine Mammal Odyssey, Eh!
- Une analyse de marquage-recapture provenant d’une étude à long terme sur l’île de Sable révèle des changements dans les taux démographiques chez le phoque gris de l’Atlantique Nord-Ouest
- Réseau OTN – Utilisation des phoques gris (Halichoerus grypus) comme sondes biologiques pour estimer la biomasse de phytoplancton
- Relevés aériens internationaux de la mégafaune marine du plateau continental dans l’Atlantique Nord-Ouest, du nord du Labrador jusqu’à la baie de Fundy
- Surveillance des déplacements des phoques lors de la mise bas sur la banquise dérivante
- Recherche en génomique sur les mammifères marins dans la région du Centre et de l’Arctique
- Réseau OTN et interactions prédateurs/proies
- Écoute en eaux profondes : Surveillance acoustique passive des baleines au large de la Nouvelle-Écosse
- Le partage des repas maintient la cohésion des familles d’épaulards: l’approvisionnement des membres de la famille maintient le lien social à long terme et aide à transmettre des gènes communs
- Nouveaux progrès dans l’utilisation d’acides gras pour déterminer le régime alimentaire des mammifères marins
- Plus qu'une simple bouchée : Révéler l’historique de quête de nourriture et de reproduction de la baleine boréale à partir du fanon
- Observation du comportement du morse dans les échoueries quasiment en temps réel
- Vers un dénombrement automatisé
- Références
Plus qu'une simple bouchée : Révéler l’historique de quête de nourriture et de reproduction de la baleine boréale à partir du fanon
Cory Matthews, Pêches et Océans Canada
Nadine Lysiak, Université du Massachusetts, Boston
Kathleen Hunt, Northern Arizona University
Conny Willing, Pêches et Océans Canada
Claire Hornby, Pêches et Océans Canada
Mads Peter Heide Jørgensen, Institut des ressources naturelles du Groenland
Steve Ferguson, Pêches et Océans Canada
La gestion efficace des populations de mammifères marins nécessite de connaître leur utilisation de l’habitat, par exemple, où se nourrissent-ils et où élèvent-ils leurs petits? Comprendre les taux de reproduction, ce qui permet de prévoir la croissance de la population par rapport aux niveaux actuels, est également important. Les baleines boréales, réparties en deux populations dans l’est et l’ouest de l’Arctique canadien, se rétablissent actuellement de la forte baisse de leur population causée par la chasse commerciale pratiquée durant plusieurs siècles. Bien que les deux populations se portent désormais bien, une bonne compréhension du moment et de l’endroit auxquels les baleines boréales se nourrissent tout au long de l’année, ainsi que les taux de vêlage des femelles matures, peuvent nous aider à comprendre comment les populations de baleines boréales pourraient réagir aux agents de stress liés au changement climatique, comme la réduction de la disponibilité des proies, l’augmentation des activités de navigation et l’exploration pétrolière.
Étudier l’écologie et la reproduction des grandes baleines est difficile, notamment dans le cas des baleines boréales qui migrent sur de longues distances dans une région inaccessible à la recherche durant la majeure partie de l’année. Des études scientifiques récentes ont montré que l’analyse de la composition des fanons, ces structures de kératine (similaire aux ongles) poussant sous forme de longues plaques fines sur la mâchoire supérieure des baleines et rorquals, peut servir à reconstituer l’historique de leur régime alimentaire, de leurs déplacements et de leurs cycles de reproduction. Les fanons, qui sont étroitement regroupés et recouverts de longs poils, permettent aux baleines de filtrer les minuscules organismes zooplanctoniques qui constituent leur régime alimentaire.
Les fanons poussent de manière continue à raison d'environ 20 centimètres par an et peuvent atteindre une longueur de 3 à 4 mètres chez les baleines boréales. Un fanon peut donc représenter jusqu’à 20 ans de croissance!
Une des avancées les plus intéressantes en matière de recherche sur les mammifères marins durant la dernière décennie est la mesure de la composition chimique de structures en croissance permanente, comme les fanons, pour connaître le régime alimentaire et les patrons de migration passés ainsi que l’historique de reproduction. Les fanons se formant directement à partir de métabolites alimentaires, leur composition reflète celle du régime alimentaire de la baleine au moment de leur croissance. La composition en azote et en carbone des tissus de l’animal, et des fanons en particulier, peut révéler ce que l’animal mange et à quel moment, car les rapports des isotopes stables de ces deux éléments varient en fonction du niveau trophique d’un animal et de son habitat. De même, les pics de concentration sanguine en progestérone qui se produisent durant la gestation laissent des traces dans les fanons pendant leur croissance. Les fanons agissent donc comme une archive de l’historique de l’alimentation et de la reproduction d’un animal à laquelle on peut accéder en analysant leur composition en isotopes et en hormones sur toute leur longueur.
Pêches et Océans Canada et l’Institut des ressources naturelles du Groenland ont recueilli les fanons de plus de 20 baleines ayant fait l’objet de chasses de subsistance dans les deux pays au cours des dix à quinze dernières années. Les chercheurs ont foré de petits échantillons de fanon par incrément de 2 cm sur la longueur de chaque fanon, ce qui correspond à une période de croissance d’environ un à deux mois, et y ont effectué des mesures pour connaître les concentrations d’isotopes stables et d’hormones.
Tous les individus ont présenté des cycles de concentration en isotopes stables tous les 20 cm, soit l’équivalent du taux de croissance annuel du fanon. En faisant correspondre les valeurs isotopiques du zooplancton avec les pics d’isotopes dans le fanon, qui survenaient en été, et les creux, qui survenaient en hiver, les chercheurs ont montré que les baleines boréales se nourrissaient tout au long de l’année (figure 15). Bien que l’on sache que les baleines boréales se nourrissent abondamment de zooplancton appelé « copépodes » durant les mois d’été, on a longtemps supposé que les baleines boréales jeûnaient et puisaient dans leurs réserves de graisse durant l’hiver, lorsque la couverture de glace limite la productivité de l’océan.
Cependant, les résultats des recherches sur les isotopes des fanons ont indiqué que les baleines boréales se nourrissent dans une certaine mesure pendant l’hiver, peut-être de copépodes qui hibernent sur le plancher océanique. Ces recherches indiquent donc que les baleines boréales pourraient choisir un habitat hivernal dans des régions qui leur permettent d’atteindre le fond marin pour se nourrir et que cette alimentation en hiver représenterait une partie de leur bilan énergétique annuel qui serait plus importante que ce que l’on croyait auparavant.
Des analyses des hormones dans les fanons sont en cours et les premiers résultats ont montré qu’il s’agit d’une technique prometteuse pour en apprendre davantage sur le comportement reproducteur des femelles et des mâles.
Par exemple, des pics de concentration de progestérone, indicateurs d’une gestation, ont été détectés sur les fanons de dix femelles. La prochaine étape, l’analyse de la position de ces pics par rapport aux cycles isotopiques annuels, permettra aux chercheurs de déterminer l’intervalle entre les mises bas ou la fréquence à laquelle chaque femelle était gestante et donnait naissance (par opposition aux gestations interrompues de manière prématurée).
Une mesure simultanée de l’hormone de stress, la corticostérone, a montré que tous les pics de progestérone étaient associés à un stress élevé qui reflétait probablement les efforts supplémentaires que les femelles devaient déployer en matière d’allocation des ressources pour le fœtus en développement. Les chercheurs ont aussi été en mesure de détecter des pics annuels de testostérone chez les baleines boréales mâles, ce qui indique qu’ils se reproduisent chaque année. En outre, les pics de testostérone étaient compensés par les pics d’isotopes d’azote et de carbone qui survenaient en été, ce qui est conforme aux observations de baleines boréales se reproduisant durant le printemps.
Les longs fanons de la baleine boréale en font une espèce idéale pour appliquer cette nouvelle méthode de reconstitution des historiques alimentaires et de reproduction.
Les recherches ont déjà révélé des patrons de recherche de nourriture qui étaient auparavant inconnus et une analyse plus poussée des données sur les hormones reproductrices permettra aux chercheurs de mettre au point de meilleurs modèles de croissance de la population de baleines boréales. Enfin, les profils d’isotopes et d’hormones dans les fanons individuels, y compris les vestiges de la chasse commerciale à la baleine pratiquée il y a des centaines d’années qui sont actuellement abrités dans des musées, peuvent être combinés pour examiner les changements dans le régime alimentaire et la reproduction au cours de périodes beaucoup plus longues. Par exemple, une baisse nette des valeurs des isotopes stables a été observée au cours des trois décennies représentées par l’échantillon de 20 baleines qui ont été mesurées jusqu’à maintenant. Ceci pourrait être lié à des changements de régime alimentaire. À mesure que le climat dans l’Arctique se modifie, l’analyse future des variations du régime alimentaire et de la variation concomitante des paramètres de reproduction et des niveaux de stress pourrait être utilisée pour détecter des répercussions négatives sur la santé et les tendances des populations.
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