Fiches techniques du Programme coopératif de recherche et développement en aquaculture (PCRDA)
Numéro 11 - Mai, 2012
Résumé
L'aquaculture multitrophique intégrée (AMTI) est une approche de l'aquaculture fondée sur la combinaison d'espèces aquatiques économiquement viables pour faciliter l'interception, l'extraction et l'utilisation des déchets d'une exploitation de poissons à nageoires. L'AMTI vise à créer des systèmes équilibrés assurant l'assainissement de l'environnement, la stabilité économique et l'acceptabilité sociale en vue d'appuyer le développement durable de l'aquaculture. Des études de l'AMTI sont en cours sur les côtes est et ouest du canada pour évaluer la faisabilité commerciale et pour maximiser les avantages écologiques du concept. À Kyuquot SEAfoods Ltd., en Colombie-Britannique, un programme complet de recherche a été lancé pour appliquer ce concept aux activités d'élevage. Ce projet s'est penché sur trois questions techniques distinctes essentielles à la commercialisation de l'AMTI. D'abord, on a observé que l'holothurie limivore (Parastichopus californicus), qui consomme normalement des matières organiques des fonds marins, se nourrit également d'excréments de morue charbonnière et d'aliments non consommés, donc des déchets, tout en affichant des taux de croissance et de survie satisfaisants. Ensuite, l'élaboration et la mise à l'essai d'un système unique de production de mollusques et de crustacés, compatible avec les infrastructures d'élevage de poissons à nageoires, ont permis de démontrer que ce nouveau système d'élevage est une plate-forme stable et hautement efficace pour la production de plusieurs espèces de mollusques et de crustacés. Finalement, la phase de croissance et la productivité globale du varech dans le système d'AMTI ont été accrues grâce à un approvisionnement précoce et contrôlé de semences de varech.
Introduction
L'aquaculture multitrophique intégrée (AMTI) a été présentée comme une option viable pour le développement de l'aquaculture au Canada. Des études sont en cours sur les côtes est et ouest pour mettre à l'essai ce concept à l'échelle commerciale. L'AMTI est une approche aquacole avancée combinant l'élevage d'espèces nécessitant un apport de nourriture (p. ex. le saumon ou la morue charbonnière) avec des espèces absorbant des composés organiques (p. ex. le moule, l'huître ou le pétoncle) et des espèces vivant de composés inorganiques (p. ex. le varech) afin de créer des systèmes équilibrés qui contribuent à un environnement durable, favorisent la stabilité économique et sont socialement acceptables.
La création d'un système d'AMTI efficace exige la sélection et l'adoption d'espèces qui interceptent les déchets particulaires et dissous générés par les exploitations de poissons à nageoires. Les espèces sélectionnées et la conception du système doivent faire en sorte que la consommation des déchets est maximisée. Les grosses particules organiques (restes de nourriture et excréments) se déposant sous les cages sont consommées par des organismes limivores (p. ex. les holothuries), alors que les plus petites particules de déchets en suspension sont extraites de la colonne d'eau par les animaux filtreurs (p. ex. les huîtres, les moules ou les pétoncles) placés à proximité des cages de poissons à nageoires. Les algues sont placées à distance du site d'élevage sur le passage du courant d'eau de façon que les nutriments dissous excédentaires puissent être retirés de l'eau. Il est important que les espèces sélectionnées soient viables sur le plan économique en tant qu'espèces utilisées pour l'aquaculture et que l'on puisse en faire l'élevage à des densités qui maximisent continuellement la consommation et l'utilisation des déchets au cours du cycle de production des poissons à nageoires.
Un certain nombre de problèmes surgissent lorsque l'on tente de satisfaire les exigences de base de l'AMTI dans un système commercial. Kyuquot SEAfoods Ltd., située dans le nord-ouest de l'île de Vancouver, en Colombie Britannique, est en train d'adopter une approche globale pour rendre l'AMTI commercialement viable. Cette étude vise à évaluer:
- la capacité des holothuries à consommer des solides organiques sédimentables sous une exploitation de poissons à nageoires;
- la modification d'un système de cages en filets d'acier afin d'intégrer une composante (extractive) d'échelle commerciale pour mollusques et crustacés;
- la possibilité d'introduire des semences de varech toute l'année pour assurer le fonctionnement annuel de la composante extractive inorganique d'AMTI.
Méthodes
Étude de l'holothurie
Ce projet comprenait une combinaison d'expériences et d'essais en laboratoire et en exploitations aquacoles. La phase initiale du projet a été menée à la Station biologique du Pacifique (Pêches et Océans Canada) à Nanaimo, en Colombie-Britannique, et s'est intéressée à la consommation de matières fécales et aux taux d'alimentation (figure 1).
Des expériences contrôlées ont été menées sur des holothuries (Parastichopus californicus) juvéniles (longueur inférieure à 6 cm) et adultes (longueur supérieure à 6 cm) qui ont été nourries d'excréments frais de morue charbonnière ou de sédiments naturels. Les taux de production fécale des deux classes ont été mesurés à des températures de 4, 8, 12 et 16 °C, soit les variations prévues à la ferme aquacole.
Les résultats de l'expérience en laboratoire ont été utilisés pour réaliser une expérience in situ à l'exploitation d'AMTI de Kyuquot SEAfoods, afin de mesurer le rendement de l'holothurie dans un contexte de production. Un système à charpente en aluminium de 1 sur 15 m a été utilisé pour tenir les plateaux d'holothuries juvéniles (poids humide de 7 à 99 g) et adultes (poids humide de 100 à 565 g) à des densités faible, moyenne et élevée (12,4, 16,8 et 21,2 m-2, respectivement) directement sous les morues charbonnières d'élevage et bien au-dessous des fonds marins (ce qui empêche les holothuries de se nourrir d'éléments organiques naturels du benthos). Les unités d'élevage ont été maintenues pendant un an, et la croissance et la survie des holothuries a été surveillée environ tous les deux mois.
Mise sur pied d'une infrastructure pour mollusques et crustacés
Ce projet s'est penché sur la meilleure façon d'incorporer une composante de mollusques et crustacés dans l'AMTI, au moyen d'un système de cage à poissons à nageoires propre à la côte ouest. L'utilisation de matériaux, l'intégration, la flottaison, le fonctionnement et la rentabilité étaient au nombre des questions soulevées dans la conception. Un prototype de module commercial a été construit et déployé à l'exploitation d'AMTI, pour une évaluation du rendement opérationnel pendant deux ans.
Étude sur le cycle saisonnier du varech
Des frondes matures de varech (Saccharina lattissima) ont été recueillies sur le rivage de l'exploitation au début de l'automne tous les ans. Des spores de varech mature ont été déposées dans des aquariums remplis d'eau de mer stérilisée contenant des bobines de PVC enroulées de ficelle. Les spores, une fois prêtes à se sédimenter, se métamorphosent en petits gamétophytes et s'accrochent à la ficelle. Avec un éclairage à spectre entier (photopériode 16/8), une légère aération de l'eau, un réapprovisionnement en nutriments toutes les deux semaines, une température stable (10 °C) et une période de croissance de 6 à 8 semaines ont permis d'obtenir des semences de varech prêtes à être disséminées sur le terrain pour la poursuite de leur croissance et l'éventuelle récolte.
Pour manipuler et prolonger les intervalles auxquels les semences de varech sont disséminées dans l'exploitation pendant l'année, les aquariums ont été couverts et exposés uniquement à de la lumière rouge au début du stade de gamétophyte, ce qui suspend la croissance des gamétophytes jusqu'au moment où un éclairage à spectre entier est utilisé de nouveau. Différentes gammes commerciales de varech établies au cours de l'année ont été surveillées pour évaluer le rendement de la production.
Résultats
Étude sur l'holothurie
Les résultats de laboratoire ont montré que l'holothurie consomme les excréments de la morue charbonnière. Des taux de production d'excréments nettement plus élevés ont été observés lorsque les holothuries juvéniles ou adultes se nourrissaient de sédiments naturels par rapport à des excréments de morue charbonnière (figure 2). Les holothuries juvéniles ont présenté des taux de production d'excréments beaucoup plus élevés (par unité de masse corporelle) que les adultes, indépendamment de leur formule alimentaire; on a aussi observé qu'une température plus élevée, d'au maximum 12 °C, donnait lieu à une augmentation du taux de production d'excréments.
Lors de l'essai sur le terrain, les holothuries juvéniles ont grandi nettement plus rapidement que les adultes; en effet, l'augmentation de leur poids corporel humide a été de l'ordre de 27 à 56 % sur une période de 12 mois, comparativement aux adultes, dont le poids corporel a augmenté de 10 à 33 % au cours de la même période. On a conclu que les densités d'empoissonnement adulte étaient probablement trop élevées pour produire une croissance nette positive. Les densités d'empoissonnement ont eu une incidence importante sur la croissance des juvéniles et des adultes, dans les cas de faible densité, entraînant des taux de croissance nettement plus élevés. Les holothuries juvéniles élevées sous les parcs en filet ont présenté un taux de survie élevé (99,5 %) et leur consommation a réduit la quantité totale de carbone organique et d'azote liés aux excréments de morue charbonnière d'en moyenne 60 % et 62 % respectivement, ce qui démontre qu'elles peuvent constituer une composante importante de l'AMTI.
Mise sur pied d'une infrastructure pour mollusques et crustacés
Le prototype de la composante pour mollusques et crustacés SEAfood System de Kyuquot SEAfoods comprend un système de passerelle en acier galvanisé de 200 sur 15 m à flottaison supérieure aux systèmes traditionnels d'élevage en parc. Le système facilite l'utilisation d'une plus grande proportion de la colonne d'eau ainsi que l'intégration de multiples espèces en un dispositif d'élevage de mollusques et crustacés à deux paliers. La partie supérieure de cinq mètres de la colonne d'eau sert actuellement aux huîtres alors que la colonne d'eau inférieure (6 à 15 m) sert à l'élevage de pétoncles. Un système SEA-Tram mobile, doté d'un portique chevauchant les parcs (figure 3), a été conçu en vue de faciliter la manipulation verticale et à même le système de mollusques et crustacés. La tour surélevée et les six treuils de cette conception permettent la manipulation de multiples lignes et de couches particulières de production verticale sans avoir à retirer ou à perturber les autres. L'utilisation de ce système entraîne une efficacité accrue par rapport aux autres systèmes traditionnels de radeaux à crustacés et mollusques; à elle seule l'élimination des coûts du carburant pour les bateaux de service représente une économie de 0,23 $/douzaine d'huîtres produites.
Étude sur le cycle saisonnier du varech
Le déploiement par intervalles de semences de varech a été efficace, permettant d'étaler la semence sur trois saisons : hiver, printemps et automne. Au cours de la croissance du varech, trois stades sont discernables : i) la phase de pré-croissance, correspondant à une période au cours de laquelle une faible croissance des limbes survient, marquée par une faible capacité de suppression des nutriments; ii) la phase de croissance, caractérisée par un allongement rapide des limbes du varech et une capacité maximale de suppression des nutriments; et iii) la phase de récolte, au cours de laquelle les limbes du varech grandissent, bien que la suppression de nutriments soit réduite en raison de l'érosion simultanée des limbes. La durée de chacune de ces phases de croissance par saison de dissémination de semences est illustrée à la figure 4.
La libération naturelle des spores, la sédimentation et la préparation de lignes de varech ensemencées dans un contexte d'aquaculture ont lieu habituellement en hiver. La phase de croissance est déclenchée au printemps par une combinaison de la photopériode et des nutriments appropriés, et dure au moins trois mois. Dans cette étude, la libération contrôlée des spores et l'ensemencement des lignes en automne ont engendré une phase de croissance prolongée, commençant au début de février, et ont donné lieu à deux autres mois de croissance. Lorsque les semences ont été disséminées au printemps, la croissance du varech a été considérablement réduite, probablement en réaction à l'absence de lumière.
Conclusion
Étude sur l'holothurie
Cette recherche a démontré que les holothuries sont de bonnes consommatrices de déchets de morue charbonnière. Lorsque les holothuries juvéniles se nourrissaient exclusivement des excréments de morue charbonnière (et des aliments non consommés), elles ont affiché d'excellents taux de croissance et de survie, et étaient en mesure de diminuer la quantité totale de carbone organique et d'azote dans les déchets. La valeur marchande accrue et le rendement fonctionnel démontré de cet organisme limivore en font une excellente espèce à ajouter au modèle plurispécifique de production de l'AMTI.
Mise sur pied d'une infrastructure pour mollusques et crustacés
La composante pour mollusques et crustacés de l'unique SEAfood System fournit une plate-forme stable et hautement efficace pour la production de multiples espèces de mollusques et de crustacés. Les coûts d'immobilisation accrus pour l'intégration de cette composante dans le système sont compensés par des coûts d'exploitation et d'entretien réduits et une production accrue grâce à une meilleure utilisation de la colonne d'eau.
Étude sur le cycle saisonnier du varech
L'utilisation d'une seule espèce d'algue dans un système d' AMTI dépend actuellement de son cycle de production naturel. Cette étude a démontré qu'on peut prolonger la phase de croissance du varech en utilisant un apport contrôlé de semence et en introduisant le varech de deux à trois mois plus tôt que ce qui était suggéré par les données précédentes. Selon les estimations, la phase d'ensemencement précoce et de croissance prolongée entraîne une augmentation de la capacité extractive (et de la production) d'environ 40 %. Combiné à la sélection d'espèces d'algues complémentaires ainsi qu'à des délais de production variables, cela permet certainement aux exploitations d'AMTI de conserver une composante extractive inorganique pendant presque toute l'année, si ce n'est toute l'année.
Le projet du PCRDA (P-07-01-004) est le fruit d'un effort de collaboration entre Pêches et Océans Canada (Secteur des sciences) et Kyuquot SEAfoods Ltd. Il est possible de communiquer avec le scientifique principal, Stephen Cross, à l'adresse suivante : sfcross@office.geog.uvic.ca. Il est aussi possible de communiquer avec le scientifique participant du Ministère, Chris Pearce, de la Station biologique du Pacifique, à l'adresse suivante : Chris.Pearce@dfo-mpo.gc.ca. Photos fournies par S. F. Cross et Kyuquot SEAfoods Ltd.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur le présent projet et d'autres projets du PCRDA, veuillez visiter le site /aquaculture/acrdp-pcrda/index-fra.htm
Publié par:
Direction des sciences de l'aquaculture
Pêches et Océans Canada
Ottawa (Ontario) K1A 0E6
©Sa Majesté la Reine du chef du Canada 2012
ISSN 1919-6849 (version imprimée)
ISSN 1919-6857 (version en ligne)
ISBN : 978-1-100-99204-4
MPO/2012-1824
No de cat. : Fs23-580/2-2012F-PDF
La version anglaise et d'autres formats sont disponibles à l'adresse suivante : /aquaculture/acrdp-pcrda/index-fra.htm
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