Fiches techniques du Programme coopératif de recherche et développement en aquaculture (PCRDA)
Numéro 14 - Mai, 2012
Résumé
L'une des principales difficultés pour assurer la pérennité de l'industrie du saumon de l'Atlantique au Canada tient à la maturation sexuelle précoce des poissons suivant leur premier hiver dans les cages en mer. La maturation précoce réduit le taux de croissance des poissons, ce qui influe sur la taille et la qualité du produit final, et entraîne des pertes financières importantes pour les éleveurs (de 4 à 9 % du revenu brut). Cette étude porte sur la possibilité d'augmenter artificiellement la durée d'éclairement (photopériode) durant la période de croissance du poisson comme moyen de remédier au problème de la maturité sexuelle précoce.
Dans cette étude, deux groupes de saumons d'élevage de l'Atlantique immatures ont été soumis soit à un éclairage de 24 heures d'octobre ou novembre à mai, soit à des conditions de lumière naturelle (groupe témoin). Les résultats ont révélé, chez les poissons soumis à un éclairage de 24 heures, une suppression quasi-totale de la maturation sexuelle précoce, chez les mâles et les femelles, et un taux de croissance accru comparativement aux poissons soumis aux conditions de lumière naturelle. Les expériences de suivi menées par le chercheur responsable du projet ont confirmé ces résultats, mais elles ont également montré que la modification de la durée d'éclairement peut commencer plus tard, soit en décembre, et produire des résultats semblables. La diminution des coûts d'exploitation liés à une saison de photomanipulation plus courte ainsi que l'amélioration de la qualité du produit final contribueront à augmenter la rentabilité de l'industrie. Ce projet de recherche propose un outil rentable qui améliorera directement la productivité et la durabilité de l'industrie aquacole canadienne du saumon de l'Atlantique.
Introduction
La maturation sexuelle précoce des saumons d'élevage de l'Atlantique engendre une diminution des taux de croissance, de la productivité et de la rentabilité. La chair des poissons à maturité précoce est de qualité nettement inférieure (« déclassée »), ce qui entraîne des pertes considérables de la valeur marchande et du revenu agricole (figure 1). Les conditions environnementales, telles que la température de l'eau et la durée d'éclairement, sont connues pour influer sur la maturation des salmonidés. Cette étude a examiné l'effet de conditions d'éclairage prolongé (augmentation de la photopériode) sur l'incidence de la maturation précoce des saumons d'élevage.
La maturation précoce des saumons touche plus de 30 % des poissons dans certaines cages en mer dans le sud-ouest du Nouveau-Brunswick. En plus du « déclassement » de la chair de poisson causée par la maturation précoce, le stress lié à la maturation dans l'eau de mer après le premier hiver peut aussi mener à l'augmentation des risques de maladies et des pertes financières. Le stress auquel les poissons sont soumis dans l'exploitation est augmenté par la manipulation supplémentaire requise pour retirer les madeleine aux (saumons matures) des cages.
Des études précédentes ont montré que le saumon de l'Atlantique réagit bien à la photomanipulation. La croissance peut être augmentée considérablement en exposant le tacon (jeune saumon âgé de 1 à 2 ans) à des heures prolongées d'éclairement, à l'automne et au début de l'hiver. De même, des recherches en laboratoire ont démontré que des heures d'éclairement prolongées peuvent aussi augmenter la croissance des postsaumoneaux. Pour évaluer de façon approfondie l'influence de la lumière sur la croissance du saumon, cette étude a examiné l'utilisation de la lumière artificielle sur les cages en mer dans le sud-ouest du Nouveau Brunswick.
Méthodes
Deux sites aquacoles dans le sud-ouest du Nouveau Brunswick ont été évalués. Le site n° 1 comprenait douze cages circulaires de 70 m. Deux sources d'éclairage artificiel, simulant le spectre de la lumière naturelle, ont été placées dans chacune de six cages, à des profondeurs de 5 et de 7 m, respectivement. Trois cages ont été éclairées le 21 novembre 2001, trois autres le 15 février 2002, et ce, 24 heures sur 24, jusqu'au 31 mai 2002. Les six cages restantes ont été soumises à des conditions de lumière naturelle.
Le site n° 2 comprenait quatre cages circulaires de 50 m. Deux de ces cages ont été exposées à une lumière artificielle 24 heures sur 24, du 31 octobre 2001 au 31 mai 2002, alors que les deux cages témoins ont reçu seulement la lumière naturelle.
Des échantillons de poissons ont été filmés dans chacune des cages au moyen d'une caméra vidéo synchronisée double abaissée dans la cage à 1, 2, 3, 4 et 5 m sous la surface de l'eau. La masse des poissons a été évaluée à partir d'images fixes prises sur la bande vidéo. À partir des images de saumons, la longueur, la circonférence et le poids ont été calculés au moyen d'une formule mathématique. Vingt poissons ont été évalués à chaque profondeur, ce qui représente un total de 100 poissons échantillonnés par cage. Les mesures fondées sur les images de la bande vidéo ont été prises à trois moments : le 15 novembre 2001, le 21 décembre 2001 et le 29 mai 2002. Les cages illuminées en février ont été échantillonnées au moment de la récolte plutôt que par imagerie vidéo.
Le 12 juillet 2002, de 59 à 74 poissons ont été échantillonnés dans chaque cage au site n° 1. Le sexe, le poids brut, la longueur à la fourche, la circonférence, le poids apprêté, la teneur moyenne en graisse et le poids des gonades ont été consignés. Des échantillons ont également été recueillis entre le 12 août 2002 et le 6 février 2003 et la longueur, le poids, le sexe, la maturité et le taux de graisse dans les muscles (teneur en maigre) ont été consignés. Le nombre de poissons échantillonnés par cage se situait entre 91 et 153.
Dans le site n° 2, de 98 à 100 poissons par cage ont été échantillonnés dans les cages illuminées le 19 août 2002 et les cages témoins le 4 septembre 2002. Le poids, le sexe, la maturité, et le taux de graisse dans les muscles ont été consignés.
Les données ont été analysées pour comparer les caractéristiques de la croissance et la maturation sexuelle chez les saumons soumis à la lumière artificielle et ceux laissés à la lumière naturelle, et entre les différentes durées du traitement à la lumière artificielle.
Résultats
Croissance et maturation
La croissance des saumons de l'Atlantique dans les cages illuminées était invariablement supérieure à celle des saumons de l'Atlantique dans les cages témoins. Au départ, les poissons dans les cages illuminées artificiellement ont connu une croissance réduite comparativement à ceux des cages témoins; cependant, cette situation n'a été que temporaire. En mai 2002, les poissons provenant des cages illuminées en novembre (site n° 1) avaient affiché un taux de croissance supérieur de décembre à mai, à un taux de 0,32 % de masse corporelle par jour, comparativement aux poissons provenant des cages témoins, à un taux de 0,29 % de masse corporelle par jour (figure 3).
En juillet, les poissons matures se trouvant dans les cages témoins affichaient un taux de croissance supérieur à celui des poissons immatures (d'après les échantillons du poids à la récolte). Cependant, au cours des mois ayant précédé la récolte (récolte du mois d'août 2002 jusqu'à février 2003), la situation s'est inversée : la croissance des poissons matures a été très lente.
Parmi les poissons échantillonnés dans les cages témoins, 47 % des mâles et 9 % des femelles ont atteint leur maturité sexuelle. En tout, 22 % des poissons dans les cages témoins étaient matures. Dans les cages illuminées en février, 22 % des mâles et 3 % des femelles étaient arrivés à maturité sexuelle à la fin de l'étude (figure 3). Le pourcentage moyen de poissons matures dans les cages illuminées en février était de 11 %, mais les résultats étaient variables d'une cage à l'autre (incidence de maturation de 2 à 19 %). Par opposition, dans les cages éclairées à partir de novembre, il a été observé systématiquement qu'en mai 2003, seulement 2 % des mâles avaient atteint la maturité sexuelle et qu'aucune des femelles n'y était parvenue (figure 4). En tout, seulement 1 % des poissons dans les cages illuminées en novembre étaient matures.
Selon les données de la récolte d'août et de septembre à partir du site n° 2, on a observé des tendances semblables de taux réduits de maturation avec une exposition à la lumière commençant un mois plus tôt, en octobre (figure 5). Dans les cages témoins, 22,5 % des mâles et 3 % des femelles étaient matures, ce qui représente un pourcentage moyen de maturité de 17,5 %. Dans les cages illuminées en octobre, seulement 8,5 % des mâles et 1 % des femelles étaient matures.
Aucune différence décelable n'a été observée au cours de la récolte préliminaire dans les concentrations totales de lipides (graisse) des poissons échantillonnés dans les cages témoins, les cages illuminées en novembre ou les cages illuminées en février.
Conclusion
L'augmentation de la durée d'éclairement des saumons d'élevage de l'Atlantique grâce à l'exposition à une lumière artificielle 24 heures sur 24 à partir de l'automne engendre, selon les mesures prises fin mai, des augmentations considérables de leur croissance globale et réduit considérablement les taux de maturation sexuelle des mâles et des femelles. L'augmentation de la durée d'éclairement artificiel à compter de février n'a pas le même effet sur la réduction du taux de maturation, et les résultats sont plus imprévisibles. De même, la photopériode prolongée n'a pas influé sur la teneur en gras des saumons d'élevage (couche de graisse), un facteur important pour définir la qualité de la carcasse.
Une simple analyse des coûts de l'utilisation du matériel d'éclairage a été menée pour obtenir une estimation des gains financiers pour les éleveurs de poissons, dans le cas où ils utiliseraient cette méthode de traitement dans leurs exploitations piscicoles. Le coût d'achat, de câblage et de fonctionnement des lumières a été inférieur à 5 000 $ par cage (en dollars de 2002). Selon les résultats de novembre pour chaque cage en mer de 70 m, le gain financier net à tirer du maintien de taux de production élevés et d'une chair de qualité supérieure par le retardement de la maturité sexuelle serait supérieur à 100 000 $ par exploitation.
Les expériences de suivi menées en 2007 ont confirmé que l'éclairage d'une durée de 24 heures avait un effet important sur la réduction de la maturation précoce dans les cages. Ces expériences ont également montré que le traitement à la lumière commençant en décembre est aussi efficace que celui commençant au début de l'automne. Cette réduction de la durée requise du traitement à la lumière représente une diminution du coût de l'éclairage artificiel des cages et donc des économies de coûts supplémentaires pour les éleveurs de saumons.
Ce projet de recherche financé par le PCRDA contribue au développement de l'aquaculture durable au Canada en augmentant le rendement de la production et en accroissant la compétitivité de l'industrie aquacole canadienne.
Le projet du PCRDA (MG-01-06-008) est le fruit d'un effort de collaboration entre Pêches et Océans Canada (Secteur des sciences) et Jail Island Aquaculture Ltd. Il est possible de communiquer avec le gestionnaire de projet, Brian Glebe, à l'adresse suivante : Brian.Glebe@dfo-mpo.gc.ca.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur le présent projet et d'autres projets du PCRDA, veuillez visiter le site /aquaculture/acrdp-pcrda/index-fra.htm
Publié par:
Direction des sciences de l'aquaculture
Pêches et Océans Canada
Ottawa (Ontario) K1A 0E6
©Sa Majesté la Reine du chef du Canada 2012
ISSN 1919-6849 (version imprimée)
ISSN 1919-6857 (version en ligne)
ISBN : 978-1-100-99208-2
MPO/2012-1828
No de cat. : Fs23-580/6-2012F-PDF
La version anglaise et d'autres formats sont disponibles à l'adresse suivante : /aquaculture/acrdp-pcrda/index-eng.htm
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