Fiche Technique du Programme Coopératif de Recherche et Développement en Aquaculture (PCRDA)
Numéro 19 - Novembre, 2013
Corey Clarke tenant un saumon de l'Atlantique marqué pris pendant sa montaison
(Photo : Parcs Canada)Résumé
Dans le cadre des mesures de conservation du saumon de l’Atlantique sauvage de l'intérieur de la baie de Fundy (IBF), le présent projet du Programme coopératif de recherche et développement en aquaculture (PCRDA) a examiné une nouvelle technique d'élevage avec naturalisation en eau de mer pour déterminer l'effet de l'élevage en eau de mer sur les taux de montaison des adultes et la viabilité de la progéniture. Des saumons de l’Atlantique sauvage de l'IBF ont été recueillis au stade de saumoneau et élevés jusqu'au stade adulte, soit dans des parcs en filet marins (parcs installés en milieu naturel dans une exploitation de salmoniculture) ou en écloserie en eau douce à terre. Un sous-échantillon de saumon adulte a été conservé en vue d'expériences de frai, qui doivent déterminer les effets de la technique d'élevage sur la viabilité de la progéniture. En 2011, il a été observé que 43 des saumons adultes remis à l'eau dans la baie de Fundy remontaient vers le milieu d'eau douce. La majorité de ces individus avaient été élevés dans des parcs en filet. En 2012, des chiffres de montaison similaires ont été enregistrés. Là encore, la majorité des individus de la montaison étaient issus du groupe élevé dans un parc en filet et rejeté en mer en 2011. Si l'on tient compte de tous les saumons remis à l'eau connus, le taux de montaison des individus élevés dans des parcs en filet était d'environ 2:1, par rapport à celui des individus élevés en écloserie. Les taux de survie à cinq mois étaient de 62 % pour la progéniture de parents élevés dans des parcs en filet et de 48 % pour la progéniture de parents élevés en écloserie, ce qui laisse à penser qu'un milieu d'élevage plus naturel est susceptible d'améliorer aussi la survie de la progéniture. Les résultats du projet ont vivement incité d'autres groupes de conservation et le secteur aquacole à continuer de mettre à l'épreuve cette théorie et à reproduire ces expériences réussies à des fins de conservation du saumon dans d'autres secteurs du Canada atlantique.
Le Programme coopératif de recherche et développement en aquaculture (PCRDA) est une initiative concertée de Pêches et Océans Canada et de l'industrie de l'aquaculture cherchant à stimuler la recherche et le développement. Les projets menés dans le cadre du PCRDA visent l'amélioration du rendement environnemental de l'aquaculture et servent à préserver la santé des poissons de façon optimale.
Introduction
En raison d'un déclin marqué de la montaison d'adultes vers les frayères, les stocks de saumon de l’Atlantique de l'intérieur de la baie de Fundy (IBF) ont été inscrits comme population en voie de disparition en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP). Dans l'IBF, 32 rivières ont été désignées comme habitat du saumon. Deux d'entre elles (Upper Salmon et Point Wolfe) se trouvent sur des terres protégées par le gouvernement fédéral dans le parc national Fundy. Pour les besoins du programme de rétablissement du stock, Parcs Canada a noué un partenariat avec Pêches et Océans Canada qui mettra en place un programme de génothèque destiné à préserver et protéger ce qui reste de la biodiversité des stocks de saumon de l'IBF.
Les programmes de génothèque cherchent à conserver des représentants de toutes les familles des stocks aux populations peu nombreuses, parallèlement aux mesures prises pour rétablir ces derniers. Dans ce programme, le poisson est capturé pendant sa migration vers l'océan, identifié génétiquement, élevé jusqu'à sa maturité en captivité, puis reproduit au moyen de croisements pour optimiser la diversité génétique. La progéniture de cette reproduction est remise en liberté en milieu naturel (gènes dits des individus « en rivière ») ou capturée et élevée en captivité (gènes dits des individus « en captivité »).
Dans tout programme d'élevage en captivité, la question de la valeur adaptative et des effets de la domestication se pose. Si le programme de génothèque de l'IBF a très certainement atteint ses objectifs de préservation de la diversité génétique, la faible montaison d'adultes en provenance de l'océan est alarmante. Elle est considérée comme le premier facteur limitant le rétablissement de la population. Les gestionnaires du programme se demandent si les conditions du milieu d'eau douce dans lequel les poissons de la génothèque sont conservés et élevés jusqu'à leur maturité, parce qu'elles diffèrent considérablement des conditions auxquelles ils seraient exposés en milieu marin, seraient un facteur de réduction de la valeur adaptative naturelle du stock.
De plus en plus d'études supposent qu'il est possible de considérablement réduire les effets de domestication de l'élevage en captivité en adaptant le milieu de captivité au milieu naturel du stade biologique concerné. L'hypothèse a ensuite été émise que l'élevage du saumon de la génothèque dans des parcs en filet, en milieu ouvert marin, du stade de saumoneau au stade adulte entraînerait une hausse du taux de survie et de réussite du frai, par rapport à l'élevage en eau douce et en milieu fermé. Le présent projet du Programme coopératif de recherche et développement en aquaculture (PCRDA) cherchait à mettre à l'épreuve cette hypothèse, en déterminant l'effet du milieu d'élevage des post-saumoneaux sur la capacité des saumons de la génothèque de l'IBF à migrer du milieu marin vers les rivières pour se reproduire.
Méthodes
Élevage en mer
En 2009, un échantillon de saumoneaux qui migraient de la rivière Upper Salmon dans le parc national Fundy a été prélevé. Sept cents saumoneaux issus de l'échantillon ont été transportés vers deux sites de parcs en filet exploités par Admiral Fish Farms et Cooke Aquaculture. Les saumoneaux étaient régulièrement surveillés et leur croissance, leur santé générale et leur développement étaient enregistrés. Les individus morts étaient retirés et consignés hebdomadairement. Le poisson placé dans les parcs en filet a été lourdement infesté par le pou du poisson (Lepeophtheirus salmonis), ce qui a entraîné la perte de la totalité de cette partie de l'échantillon. En 2010, l'expérience a été répétée au moyen d'un modèle spécial de parc en filet, plus adapté à l'élevage et à la surveillance du nombre relativement petit de poissons sauvages requis par le projet. Environ 1 600 poissons des échantillons de saumoneaux prélevés dans la rivière Upper Salmon ont été placés dans quatre parcs en filet modifiés (figure 1), où ils ont été élevés jusqu'à leur maturité.
Figure 1.
Quatre petits parcs en filet adaptés au parc en filet marin polaire standard de 70 m et utilisés pour élever de petits groupes de saumon sauvage jusqu'au stade adulte (Photo : Corey Clarke).
Élevage en eau douce
Des échantillons de poisson des classes d'âge de 2009 et de 2010 ont été apportés à l'écloserie de Pêches et Océans Canada (MPO) de Mactaquac (Nouveau-Brunswick). Au total, 300 saumoneaux ont été élevés jusqu'au stade adulte dans des bassins d'eau douce, à l'écloserie de Mactaquac.
Capacité à remonter la rivière à partir du milieu marin
Au début de l'automne 2011, 344 adultes du groupe élevé dans des parcs en filet et environ 150 adultes du groupe élevé à l'écloserie ont été remis en liberté dans la baie de Fundy. Chaque individu remis en liberté était identifiable par marque de type transpondeur PIT (passive integrated responder), implantée au stade de saumoneau. De plus, avant la remise en liberté, tous les poissons ont fait l'objet d'un marquage externe (figure 2) permettant une identification visuelle rapide et certains individus ont été marqués à l'aide d'émetteurs acoustiques dont les récepteurs ont été placés à l'embouchure de plusieurs rivières de l'IBF. Une surveillance régulière des récepteurs des émetteurs acoustiques permettait de déceler d'éventuelles différences entre les taux de homing et d'égarement des saumons élevés en parc en filet et de ceux élevés en écloserie, ainsi que de déterminer le début de la montaison du poisson vers les rivières. Une fois que le poisson en montaison a été détecté, des relevés en plongée (figure 3) ont été réalisés dans les rivières pour continuer de surveiller les taux de montaison à l'aide des marques externes. Le suivi des montaisons a été effectué pendant l'automne 2011 et 2012.
Figure 2
Saumon adulte présentant une marque externe (Photo : Parcs Canada).Survie de la progéniture
Les chercheurs ont conservé des sous-échantillons d'adultes élevés en parc en filet et en écloserie pour déterminer l'effet des différentes techniques d'élevage sur les taux de survie de la progéniture. Pendant l'automne 2011, des œufs ont été produits dans l'écloserie au moyen de croisements de paires d'adultes matures provenant des deux milieux d'élevage. Les scientifiques les ont ensuite observés pendant cinq mois afin de déterminer si les taux de survie différaient. À la fin de ces cinq mois, la progéniture qui avait survécu a été remise en liberté dans la rivière Upper Salmon.
Résultats et discussion
Capacité à remonter la rivière à partir du milieu marin
Après la remise en liberté des adultes en mer en 2011, 43 saumons marqués ont été observés lors des relevés en plongée alors qu'ils retournaient vers le milieu d'eau douce (tableau 1). Au moyen de leur marque PIT, 39 d'entre eux ont été identifiés comme des individus élevés en parc en filet et 4 comme des individus élevés en écloserie.
Tableau 1.
Individus relâchés en mer | Individus retournant au milieu d'eau douce | ||||
---|---|---|---|---|---|
Élevage en parc en mer | Élevage en écloserie | Total des individus mis en liberté |
Élevage en parc en mer | Élevage en écloserie | Total des montaisons |
344 | 150 | 494 | 39 (90, 7 %) | 4 (9, 3 %) | 43 (100 %) |
La majorité des montaisons (30 individus dont 27 avaient été élevés en parc en filet et 3 en écloserie) a été observée dans la rivière Point Wolfe, la plus proche du lieu de remise en liberté en mer.
Ces résultats montrent que le poisson élevé en captivité conserve une partie de son instinct et revient vers son milieu d'eau douce après sa remise en liberté en mer. Les techniques d'élevage en parc en filet pourraient avoir influé sur la réussite de la montaison, ce qui serait signe d'une amélioration de la valeur adaptative du poisson. Cependant, la majorité des saumons élevés en captivité (que ce soit en parc en filet ou en écloserie) revenant vers un milieu d'eau douce quittaient l'océan pour la rivière la plus proche du lieu où ils ont été remis en liberté en milieu marin plutôt que de retourner à leur rivière d'origine.
Figure 3.
Deux plongeurs observant la montaison du saumon (Photo : Parcs Canada).Pour cette étude, il est important de faire remarquer que ces poissons « retournant » vers la rivière ont migré du lieu de remise en liberté en mer jusqu'aux rivières après avoir passé peu de temps dans l'océan. En comparaison, le saumon de l’Atlantique sauvage passe généralement plusieurs mois en milieu marin avant de retourner à sa rivière d'origine pour se reproduire. Certes, les montaisons observées par le projet ne peuvent être considérées comme analogues à celles de saumoneaux qui quittent leur rivière et y retournent après une migration complète dans l'océan. Toutefois, les résultats semblent indiquer qu'il est possible d'augmenter le nombre d'individus remontant les cours d'eau par un élevage en parc en filet en mer.
Autres observations
En 2012, des relevés en plongée ont constaté la montaison de 52 saumons adultes dans les rivières Upper Salmon et Pointe Wolfe. Des échantillons ont été prélevés sur 30 d'entre eux à des fins d'identification. Il a été constaté que 29 avaient été remis en liberté en 2011 dans le cadre du projet et que la majorité avait été élevée en parc en filet. Si l'on compte tous les saumons adultes connus remis en liberté dans les rivières du parc national Fundy en 2011 (y compris les adultes remis en liberté en plus du poisson du projet, comme il est indiqué plus haut), on estime le nombre de montaisons de poissons élevés en parc en filet à environ 2:1 par rapport aux poissons élevés en écloserie. Au parc national Fundy, ce taux de montaison est le taux le plus élevé constaté depuis plus de 20 ans, malgré une décennie de mesures de grande ampleur, ce qui laisse à penser que l'élevage des salmonidés juvéniles dans des milieux naturels pourrait améliorer leur valeur adaptative et mieux les préparer à migrer des océans aux rivières.
Survie de la progéniture
Quarante-trois familles d'œufs ont été produites par vingt paires de géniteurs élevés en écloserie et vingt-trois paires de poissons élevés en parc en filet, qui avaient tous été capturés à l'état de saumoneau dans la rivière Upper Salmon. Le taux de survie moyen au stade d'œuf œillé était de 62 % dans le cas de la progéniture de parents élevés en parc en filet et de 48 % pour celle issue de parents élevés en écloserie.
L'analyse des données est en cours, mais elle semble d'ores et déjà indiquer que le milieu d'élevage des parents influerait sur la survie de leur progéniture. Une exposition au milieu naturel, comme dans le cas de l'élevage en parc en filet, est susceptible d'augmenter la capacité du saumon à la montaison et la survie de sa progéniture si le frai a lieu en liberté (effets cumulés).
Recherches futures
On pense que la structure de parc en filet spécialement conçue pour l'étude a participé à la réussite de l'élevage d'un petit nombre de poissons en milieu marin, en leur offrant une meilleure protection contre les éléments et les prédateurs et en permettant une observation fine de leur santé et de leur rendement. Il serait judicieux de poursuivre les recherches pour améliorer les conditions d'élevage et augmenter le taux de survie. Ces conditions concerneraient le nettoyage des filets, la manipulation du poisson, les méthodes d'empoissonnement et de retrait ainsi que l'alimentation, qui pourrait notamment être plus naturelle par l'incorporation de régimes alimentaires plus proches de ceux des poissons en liberté.
De plus, la recherche future devra continuer à évaluer les taux de survie en mer et de montaison de la progéniture issue des saumons adultes élevés en parc en filet et libérés en mer pour qu'ils remontent leur rivière d'origine. Les prochaines analyses des techniques d'élevage en milieu marin devront également s'interroger sur les risques de l'élevage dans des sites de production aquacole marine à visée commerciale, notamment sur la densité accrue d'agents pathogènes et la possibilité de transmission de maladies.
D'autres groupes mènent actuellement des travaux cherchant à confirmer les résultats de l'expérience au moyen des méthodes conçues par le projet. En effet, il est crucial de déterminer la répétabilité du projet et des taux élevés de montaison du poisson élevé en parc en filet pour évaluer l'applicabilité des techniques d'élevage en milieu marin aux mesures de rétablissement d'autres populations de saumon sauvage.
Conclusions
La présente recherche a permis de tisser un partenariat fructueux entre l'industrie salmonicole, Pêches et Océans Canada et Parcs Canada et d'obtenir ainsi des résultats remarquables pour la conservation des populations de saumon sauvage en péril et la recherche les concernant. Cette collaboration est destinée à se développer par la participation d'autres groupes de conservation intéressés par ce type d'activités.
Un nombre relativement petit de saumons sauvages adultes est nécessaire au maintien des populations en voie de disparition des rivières de l'intérieur de la baie de Fundy. Étant donné la considérable capacité de l'industrie à produire des saumons adultes et les besoins relativement faibles des mesures de conservation, les possibilités d'action et de collaboration entre l'industrie et les groupes chargés de la conservation sont formidables. Les populations de saumon de l’Atlantique sauvage en voie de disparition pourraient en tirer un profit non négligeable.
Le présent projet du PCRDA (MG-09-02-002) est le fruit d'une collaboration entre Pêches et Océans Canada (MPO), l'Atlantic Canada Fish Farmers Association (ACFFA) et Parcs Canada. La recherche a été dirigée par Corey Clarke (étudiant des cycles supérieurs) de la Memorial University of Newfoundland. La personne-ressource du MPO sur ce projet, Patrick O’Reilly, est joignable à l'adresse Patrick.OReilly@dfo-mpo.gc.ca.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur le présent projet et d'autres projets du PCRDA, visitez le site suivant : Programme coopératif de recherche et développement en aquaculture (PCRDA)
Publié par :
Direction générale des sciences de l'aquaculture
Pêches et Océans Canada
Ottawa (Ontario) K1A 0E6
©Sa Majesté la Reine du Chef du Canada 2013
ISSN 1919-6849 (version imprimée)
ISSN 1919-6857 (version en ligne)
ISBN 978-0-660-21413-9
MPO/2013-1902
Cat. No. Fs48-2/19-2013F-PDF
La version anglaise et d'autres formats sont disponibles à l'adresse suivante : Aquaculture Collaborative Research and Development Program (ACRDP)
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