Sélection de la langue

Recherche

Modélisation de la capacité de charge pour l'élevage de mollusques bivalves : tuniciers envahissants et biodéposition
Numéro 3 – Avril 2012

PDF

Modélisation de la capacité de charge pour l'élevage de mollusques bivalves : tuniciers envahissants et biodéposition

(PDF, 531 Ko)

Résumé

La production de l'élevage de mollusques bivalves en suspension a augmenté de façon importante au cours des vingt dernières années. Elle a toutefois été affectée récemment par des salissures marines d'espèces de tuniciers envahissantes. Bien que les tuniciers envahissants puissent représenter une biomasse importante sur le matériel d'élevage en suspension, aucune donnée directe sur la biodéposition de ces communautés de salissures marines n'est disponible. Les recherches portent à croire que la sédimentation des mollusques bivalves élevés en suspension et de la faune connexe peut avoir une incidence importante sur la quantité totale de matière qui se dépose au fond. Les travaux de recherche suivants ont été réalisés dans des conditions naturelles, afin de déterminer dans quelle mesure les organismes salissants contribuent à la biodéposition issue de l'élevage de moules.

Les mécanismes de biodéposition associés aux moules et à deux espèces d'ascidie, la Ciona intestinalis et la Styela clava, dans l'élevage des moules à l'Île-du-Prince-édouard (IPE) ont été examinés dans le cadre de l'étude. La présence de la C. intestinalis sur les boudins a fait doubler la biodéposition par rapport aux boudins exempts de tuniciers. Même si les S. clava utilisées dans le cadre de l'expérience étaient petites et ont eu un effet négligeable sur la biodéposition totale des boudins, elles ont fait augmenter les taux de sédimentation des boudins de moules par rapport à ceux des boudins abiotiques de référence. La vitesse à laquelle les boulettes fécales des grands spécimens de C. intestinalis coulaient variait entre 1,4 et 6,5 cm/s-1. On a modélisé les empreintes des charges benthiques dues à la biodéposition des moules et des tuniciers pour un élevage de moules typique à l'IPE au moyen du modèle Shellfish-DEPOMOD, en utilisant les taux de production et la vitesse de plongée des dépôts biologiques. Ce modèle prévoyait que la charge benthique sous les boudins de moules salis par la C. intestinalis serait environ deux fois plus importante que celle sous les boudins ne contenant que des moules, soit des taux pouvant atteindre jusqu'à 15,2 g m² j-1 − ce qui concorde avec les résultats de l'étude de recherche. Toutefois, l'importance de l'empreinte de biodéposition (≥ 1 g m-2 j-1) sous les boudins de moules salis par la C. intestinalis est similaire à celle des boudins ne contenant que des moules, ou plus limitée que cette empreinte, en raison de la vitesse de sédimentation des dépôts de C. intestinalis.

Les résultats de cette recherche augmenteront notre compréhension des interactions entre l'aquaculture et l'environnement, et nous aideront à améliorer la gestion environnementale globale des incidences benthiques de la conchyliculture dans les eaux canadiennes.

Introduction

A. Boudin de moules non infesté B. Boudin de moules salis par la C. intestinalis et S.clava C. Styela clava D. Ciona intestinalis

A. Boudin de moules non infesté 
B. Boudin de moules salis par la
C. intestinalis et S. clava  C. Styela clava 
D. Ciona intestinalis

La production de l'élevage de bivalves en suspension a augmenté de manière considérable au cours des vingt dernières années. Ce type de production a des influences bien documentées sur les communautés d'organismes benthiques sous-jacentes (Mattsson et Lindén 1983, Callier et coll. 2007). La réaction habituelle des communautés benthiques touchées par cette charge organique inclut une diminution de la diversité biologique et une augmentation possible de l'abondance de quelques espèces opportunistes (y compris une augmentation de la biomasse), une réduction de la biomasse communautaire globale, une diminution de la taille de certaines espèces ou d'un groupe d'espèces, une diminution de la profondeur marine de la portion de la colonne sédimentaire occupée par les organismes benthiques, et un changement dans la domination relative des groupes trophiques (Pearson et Rosenberg 1978, Callier et coll. 2008). 2008). En fin de compte, cela pourrait aussi inclure l'anoxie des sédiments et, dans les cas les plus graves, une domination des tapis microbiens.

Récemment, un certain nombre d'espèces de tuniciers envahissantes sont devenues des organismes salissants dans les sites d'élevage de mollusques bivalves en suspension partout dans le monde (Lambert 2007, McKindsey et coll. 2007). Lorsque ces organismes deviennent liés à l'élevage de mollusques bivalves en suspension, ils deviennent un sérieux problème pour l'industrie (Enright 1993). Leur présence sur des mollusques bivalves élevés en suspension peut avoir une incidence sur les flux de matière organique au fond, et des répercussions sur les communautés benthiques. étant donné que l'ampleur de la charge benthique détermine l'ampleur des réactions des organismes benthiques (Callier et coll. 2009), il est important de connaÎtre ces taux pour pouvoir prédire les répercussions de l'élevage de mollusques bivalves en suspension sur l'environnement benthique (Weise et coll. 2009). L'échelle de l'augmentation de la charge benthique associée à la salissure par les tuniciers dans le cadre de l'aquaculture a fait l'objet de peu de recherches.

Nos recherches sur la modélisation de la capacité de charge des mollusques bivalves ont révélé qu'on peut prédire, dans certains cas, les changements réalistes au sein de la communauté benthique au moyen du modèle de localisation des particules Shellfish-DEPOMOD (Weise et coll. 2009). Les cas où les prévisions ne sont pas réalistes s'expliquent en partie par l'absence de considération accordée à la biodéposition des organismes salissants associés à l'élevage des moules. Les organismes salissants peuvent représenter une biomasse considérable qui, dans les cas des tuniciers, peut être plusieurs fois celle des moules auxquelles ils sont attachés. Pour améliorer l'applicabilité des résultats de la modélisation, nous avons besoin d'estimations réalistes de la production de biodépôts (c.-à-d. les excréments) et de la sédimentation (c.-à-d. la vitesse de plongée).

L'objectif du présent projet de recherche du PRRA consistait à déterminer l'incidence des salissures marines sur la biodéposition issue de l'élevage de moules dans des conditions naturelles. Plus précisément, l'étude s'intéressait à l'influence des tuniciers qui poussent sur les boudins (des tubes de polyéthylène remplis de moules suspendus à des filières sous-marines) d'élevage de moules en suspension sur la charge de biodépôts au fond. Nous avons comparé la manière dont les deux espèces d'ascidies solitaires salissantes (Ciona intestinalis et Styela clava) influencent la production de biodépôts issus des boudins de moules. Dans le cadre de l'étude, nous avons évalué la production de biodépôts par de petits boudins de moules construits à cette fin, dans des conditions naturelles. Nous avons également mesuré la vitesse de plongée des excréments de tunicier (C. intestinalis) et comparé les empreintes de charge benthique prévues autour des moulières, avec et sans tuniciers, en nous servant des résultats de la présente étude selon un modèle de dispersion des particules hydrodynamique. étant donné que la recherche a été menée dans des conditions naturelles, les résultats peuvent être utilisés dans les exercices de modélisation Shellfish-DEPOMOD.

Méthodes

Figure 1. Emplacement des sites d'étude de l'Île-du-Prince-édouard (image du haut) et, de manière plus détaillée, de la baie St. Mary's (image du bas). Le « x » représente l'emplacement actuel du profileur utilisé pour mesurer les caractéristiques hydrodynamiques de la zone d'échantillonnage. Le carré représente le site loué où les expériences sur la production de biodépôts ont été réalisées.

Figure 1. Emplacement des sites d'étude de l'Île-du-Prince-édouard (image du haut) et, de manière plus détaillée, de la baie St. Mary's (image du bas). Le « x » représente l'emplacement actuel du profileur utilisé pour mesurer les caractéristiques hydrodynamiques de la zone d'échantillonnage. Le carré représente le site loué où les expériences sur la production de biodépôts ont été réalisées.

La présente étude a été réalisée dans la région March Water de la baie Malpeque et dans la baie St. Mary's de l'IPE (figure 1). Un total de 36 boudins de moules de 40 cm de longueur, et un nombre équivalent de boudins de référence (équivalent de coquilles inertes) ont été mis en place. La moitié des boudins ont été placés sur des filières commerciales de moules à trois mètres de profondeur aux sites de March Water (site dominé par la présence de la Styela) et de la baie St. Mary's (site dominé par la présence de la Ciona) de façon à permettre aux tuniciers de s'établir et de pousser sur les boudins à la fin du mois de juin 2008. Les boudins de March Water ont été transférés dans la baie St. Mary's à la mi-octobre, afin que l'on puisse évaluer la biodéposition.

On a mesuré la production de biodépôts en plaçant des boudins de moules au-dessus ou à l'intérieur de grands pièges à sédiments (figure 2) et en recueillant les matières sédimentées après une journée. On a déterminé le pourcentage de matière organique dans les échantillons de matières sédimentées en calculant la perte de poids des échantillons séchés à 65 °C et à 450 °C pendant cinq heures. On a utilisé des méthodes similaires à celle de Callier et coll. (2006) pour évaluer les vitesses de plongée des biodépôts de Ciona. Les essais de vitesse de plongée des boulettes fécales de Styela n'ont pas été effectués, car les excréments de Styela ne pouvaient pas être différenciés du reste des matières sédimentées.

La biodéposition issue des filières de moules suspendues avec et sans organismes salissants a été modélisée pour un établissement conchylicole fictif à l'IPE selon le modèle Shellfish-DEPOMOD (Weise et coll. 2009) et les données de biodéposition de la présente étude. Le modèle Shellfish-DEPOMOD est un modèle de dispersion des particules hydrodynamique comportant quatre modules appliqués un après l'autre, soit : la préparation d'une grille, la localisation des particules, la resuspension et l'impact benthique.

Résultats

La biomasse moyenne de Ciona était plus importante sur les boudins de référence vides que sur les boudins de moules, bien que la quantité ait été comparable dans les deux cas. Une moyenne de 45 moules sur les 100 à 150 moules par boudin au départ étaient vivantes en octobre. Puisque les coquilles vides étaient toujours présentes, on suppose que la plupart des moules ont été étouffées sous la masse de Ciona qui s'était formée autour des boudins. La quantité finale de moules dans les boudins salis par la Styela dans la baie Malpeque était environ trois fois plus importante que celle dans les boudins salis par la Ciona dans la baie St. Mary's, malgré le fait que les boudins comportaient un nombre similaire de moules au départ. Le recrutement tardif et la petite taille des spécimens de Styela (la plupart ayant moins de 5 cm de longueur) ont limité l'utilisation des données sur cette espèce à des fins de comparaison. La présente étude se concentre avant tout sur les données relatives à la Ciona.

La sédimentation associée aux boudins sur lesquels s'était attachée la Ciona était d'environ 14 g piège-1 j-1 (poids sec) de plus que la sédimentation naturelle (3,3 g piège-1 j-1). Il n'y avait pas de différence entre les boudins de moules et les boudins de référence. La sédimentation associée aux moules sur lesquelles la Styela s'était attachée ou desquelles elle avait été enlevée était d'environ 6-7 g piège-1 j-1 de plus que la sédimentation naturelle. Il a aussi été démontré que la présence de Ciona sur les boudins a entraÎné un enrichissement des biodépôts organiques plus important que dans les boudins de référence ou salis par la Styela. Cependant, la proportion de matières organiques sous les boudins de moules couverts de Styela n'était pas différente de celle trouvée sous les boudins de moules dont on avait enlevé les tuniciers, ou de celle observée sous les boudins de référence.

Figure 2. Photographie sous-marine des pièges à sédiments expérimentaux utilisés dans la baie St. Mary's. Le carré blanc indique un boudin de moules sali par le tunicier envahissant (Ciona intestinalis). L'image en médaillon montre un boudin de moules typique sans salissures causées par des tuniciers envahissants.

Figure 2. Photographie sous-marine des pièges à sédiments expérimentaux utilisés dans la baie St. Mary's. Le carré blanc indique un boudin de moules sali par le tunicier envahissant (Ciona intestinalis). L'image en médaillon montre un boudin de moules typique sans salissures causées par des tuniciers envahissants.

A) mussels only, B) mussels and Ciona intestinalis.

Figure 3. Empreinte de biodéposition modélisée (g m-2j-1, poids sec) sous une moulière modèle d'élevage en suspension de l'Île-du-Prince-édouard avec des combinaisons de moules et d'ascidie jaunes : A) moules seulement, B) moules et Ciona intestinalis. Les taux de biodéposition (indiqués par la légende à droite des graphiques et les lignes de démarcation sur chaque plan) ont été modélisés pour cinq lignes de fond (lignes blanches sur les plans) mesurant 100 m chacune et en fonction des courants mesurés sur une période de 24 heures dans la baie St. Mary's, à l'Île-du-Prince-édouard (selon McKindsey et coll. 2009).

Ces données sur la biodéposition ont ensuite été intégrées au modèle Shellfish-DEPOMOD pour simuler la biodéposition à l'échelle d'une moulière (g m-2 j-1). Le modèle DEPOMOD prévoyait des taux de biodéposition pouvant atteindre 7,3 g m-2 j-1  directement sous les filières ne comportant que des moules, et une diminution graduelle du taux de biodéposition au fur et à mesure qu'on s'éloignait des filières (figure 3-A). Le rayon de biodéposition prévu était d'environ 15 à 20 mètres autour des filières. Par contre, le taux de biodéposition directement sous les filières comportant des moules et de la Ciona atteignait 15,2 g m-2 j-1 au maximum, ce qui est environ le double de ce qu'on trouvait sous les filières ne comportant que des moules (figure 3-B). Toutefois, compte tenu de la vitesse de sédimentation des biodépôts de Ciona par rapport aux biodépôts de moules, l'ampleur de l'empreinte modélisée des dépôts benthiques est comparable à celle des boudins ne comportant que des moules.

Conclusions

Dans l'ensemble, la production des biodépôts se situait dans la vaste fourchette de valeurs enregistrées précédemment dans le cadre d'autres études (se reporter à l'examen figurant dans le document rédigé par Weise et divers collaborateurs en 2009). La quantité de matières organiques provenant des bivalves élevés en suspension qui sont rejetées dans les fonds marins est beaucoup plus élevée que les niveaux de fond. Cette quantité a d'ailleurs la même incidence sur les communautés benthiques que le modèle d'enrichissement organique élaboré par Pearson et Rosenberg en 1978 (figure 4).

Figure 4. Schéma général de la communauté d'invertébrés benthiques et des modifications de la sédimentation par rapport à la perturbation du milieu benthique et à l'enrichissement organique (d'après le modèle établi par Nilsson et Rosenberg en 2000).

Figure 4. Schéma général de la communauté d'invertébrés benthiques et des modifications de la sédimentation par rapport à la perturbation du milieu benthique et à l'enrichissement organique (d'après le modèle établi par Nilsson et Rosenberg en 2000).

Bien que la contribution d'organismes associés (dont les tuniciers envahissants) au flux de matières organiques dans les fonds marins (biodéposition) soit reconnue depuis longtemps comme une conséquence de l'élevage en suspension des bivalves (Dahlbäck et Gunnarsson 1981, Mattsson et Lindén 1983), ce sujet reste relativement peu étudié. Les taux de biodéposition en dessous des boudins de moules infestés de Ciona intestinalis étaient le double des taux de biodéposition en dessous des boudins de moules infestés de Styela clava, et ce, même si la biomasse des boudins de moules infestés de Styela clava était trois fois plus élevée que celle des boudins de moules infestés de Ciona intestinalis.

Il a été déterminé que le taux d'immersion des excréments des Ciona intestinalis correspondait au double ou au triple de celui enregistré pour les Mytilus edulis (moules bleues) dont la taille était suffisante ou inférieure pour être commercialisés, et qu'il était supérieur au taux d'immersion consigné pour d'autres espèces de moules (Callier et coll. 2006). Par conséquent, bien que les Ciona intestinalis augmentent la production générale de biodépôts, la vélocité de chute élevée des boulettes fécales des Ciona intestinalis permettra de réduire l'empreinte de biodéposition dans les fonds marins située directement en dessous des filières de moules, et ce, même à une concentration considérablement plus élevée.

Ces recherches ont démontré que la biodéposition provenant des boudins de moules infestés de Ciona intestinalis était environ deux fois plus élevée que celle provenant des boudins de moules qui n'étaient pas infestés, et environ cinq fois plus élevée que la biodéposition provenant du fond naturel.Nos recherches ont également révélé que les effets relatifs aux charges organiques étaient plus graves et davantage localisés lorsque les boudins de moules étaient infestés de Ciona intestinalis. Ces conclusions étaient étayées par l'exercice de modélisation Shellfish-DEPOMOD, qui a également démontré que les charges organiques devaient être concentrées dans les zones situées directement en dessous des filières de moules. Cette concentration témoignait en partie des faibles courants mesurés  dans le site à l'étude (figure 1). Dans ce modèle, on a supposé que la remise en suspension des biodépôts était négligeable, mais que dans les zones où les courants sont plus forts, l'empreinte benthique qui en découle pourrait être plus grande.

Bibliographie

Il est possible de communiquer avec le scientifique principal de ce projet du PRRA (PARR-2008-QC-09), le Dr Chris McKindsey,en envoyant un courriel à l'adresse Chris.McKindsey@dfo-mpo.gc.ca.

Publié par :
Pêches et Océans Canada
Direction générale des sciences de l'aquaculture
Ottawa (Ontario)
K1A 0E6
© Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2012

MPO/2012-1807
Nº de cat. : Fs45-2/2012F (version imprimée)
ISBN : 978-1-100-98762-0 (version imprimée)
ISSN 1929-7920 (version imprimé)
Nº de cat. : Fs45-2/2012F-PDF (version en ligne)
ISBN : 978-1-100-98763-7 (version en ligne)
ISSN 1928-1021 (version en ligne)

Date de modification :