Conception d’une nouvelle génération d’étang d’élevage permettant la récupération rapide des rejets des poissons
Rapport final
Pisciculture Gilbert
PIAAM 2011-Q07
Résumé
La pisciculture Gilbert inc a construit la deuxième génération de l'étang d'élevage (de type Gilbert) autonettoyant basé sur les résultats de simulations numériques à l'aide du logiciel de calcul dynamique des fluides dénommé FLUENT. Sur le terrain de la pisciculture se trouvait la première génération de cet étang (étape 1) dont l'efficacité de récupération du phosphore total largué par les poissons se chiffrait à 30 % selon les mesures prises en 2010. Ce concept a été reproduit de manière rigoureuse autant que possible dans le logiciel (étape 2) et a mené à l'obtention d'une efficacité théorique de récupération du phosphore de 37,4 %. Cette efficacité est donc devenue la valeur de référence à laquelle les différents concepts de la deuxième génération de l'étang modélisé se mesurent (étape 3). Le concept modélisé le plus optimal de cette deuxième génération d'étang comporte trois cônes de sédimentation de 2 m par 2 m, une pente de 2,5 % dans la zone d'élevage de 24,4 m par 6,1 m, ainsi qu'un déflecteur de 0,3 m sous le tuyau de recirculation amont. Il donne lieu à une efficacité de récupération du phosphore modélisé, selon différentes distributions des tailles des particules, de 43,8 % à 45,1 % pour une vitesse d'entrée d'eau de 0,2 m/s, correspondant à deux "fresh-flo", et une répartition du débit de recirculation de 50-50 % entre l'amont et l'aval de la zone de sédimentation.
Un concept similaire, mais avec une pente de 1,85 % a été construit sur le terrain de la pisciculture Gilbert inc. à l'automne 2011 (étape 4). En utilisation réelle avec des poissons d'élevage de la pisciculture, il a été mesuré une récupération du phosphore total moyenne maximale de 37,9 %. Le suivi de la qualité de l'eau d'élevage a aussi permis de valider que ce nouveau modèle d'étang est adéquat pour l'élevage de poissons destinés au marché de l'ensemencement. Basés sur une évaluation comparative des coûts d'aménagement et d'opération de deux autres types d'étang d'élevage, les coûts supplémentaires du nouveau modèle d'étang de type Gilbert se rentabilisent en moins de 5 ans.
1. Introduction
L'émergence de nouvelles cibles environnementales au Québec, telles que la Stratégie de développement durable de l'aquaculture en eau douce au Québec (STRADDAQ), dont l'objectif est de réduire le rejet de phosphore à 4,2 kg de phosphore par tonne de poissons produite d'ici 2014 a affecté la production piscicole québécoise à la baisse. Par conséquent, des concepts d'étangs proposant des stratégies de gestion et de récupération du phosphore efficaces et peu coûteuses aux pisciculteurs (Morin, 2004) doivent être mis de l'avant. Il devient donc nécessaire de développer un concept optimisant la qualité de l'eau et améliorant l'efficacité environnementale, c'est-à-dire une unité où il est possible d'évacuer et/ou de récupérer en continu les fumiers.
Pour y parvenir, et dans la première partie du projet, un logiciel de modélisation a été utilisé dans le but de simuler l'efficacité d'une nouvelle génération d'étang d'élevage en y modifiant les paramètres de conception. Ce nouveau modèle d'étang d'élevage est destiné à la production de poissons pour le marché de l'ensemencement et combine la recirculation de l'eau avec la récupération rapide des fumiers, et par le fait même, du phosphore particulaire, et permet d'augmenter l'efficacité environnementale des piscicultures.
Dans la deuxième partie du projet, le nouvel étang d'élevage a été construit selon les paramètres du concept optimal obtenu avec les modalisations. L'efficacité environnementale de ce nouvel étang a par la suite été mesurée lors d'une utilisation en condition réelle de production piscicole. Ces données ont aussi permis de raffiner les données de la modélisation.
2. Méthodologie
Afin de faciliter la compréhension du projet, il est possible de définir cinq grandes étapes, qui ont conduit à la conception de la nouvelle génération de l'étang d'élevage :
- Étape 1 : basée sur le projet de Marcotte (2010), la première génération de l'étang de type Gilbert a été construite et testée à la pisciculture Gilbert ;
- Étape 2 : En 2010, l'École Polytechnique a utilisé les données de cette première génération afin de définir les variables du programme de modélisation (projet SORDAC en cours d'approbation);
- Étape 3 : En 2011, l'École Polytechnique a utilisé le programme de modélisation afin de définir et valider mathématiquement les nouveaux paramètres de l'étang de type Gilbert de deuxième génération;
- Étape 4 : À l'automne 2011, l'étang de type Gilbert de deuxième génération a été construit et testé en condition d'élevage réel de poissons;
- Étape 5 : Au début 2012, le programme de modélisation a été réutilisé afin de valider les essais terrains en fonction des résultats des tests de l'étape 4.
Afin de calibrer le logiciel de modélisation (étape 2), différentes mesures (vitesses de l'eau, mesures d'efficacité) ont été prises sur l'étang construit en 2010 lors de l'étape 1. L'étang ainsi modélisé, le logiciel FLUENT a été utilisé pour simuler la récupération du phosphore. Évidemment, l'efficacité de récupération modélisée ne peut pas être considérée en tout point identique avec celle de l'étang réel, puisque certains paramètres d'opération, tels que l'influence des poissons et la solubilisation des particules, sont difficilement modélisables.
Pour déterminer l'efficacité de récupération du phosphore, un bilan doit être effectué. En effet, il est estimé que 70 % du phosphore total largué par les poissons est sous forme particulaire, et que ce phosphore est également réparti dans les particules de différentes tailles, dont la distribution réelle est inconnue et donc préalablement déterminée. Lors des modélisations de l'étape 3, trois bilans ont donc été utilisés selon la distribution théorique des tailles. Les distributions de taille des particules sont basées sur des données prises dans la littérature, de même que sur une analyse qualitative de fèces prélevées en 2011. Sindilariu (2009) affirme que 70 % des particules larguées par les truites sont plus grandes que 63 µm. Pfeiffer (2008) a obtenu une distribution de 26,3 % des particules dans l'intervalle 105-250 µm, de 28,3 % dans l'intervalle de 250-500 µm, et a démontré que 17,2 % des particules étaient plus grandes que 500 µm, que 28,3 % étaient plus petites que 100 µm et que seulement 1 % étaient inférieures à 23 µm. Dans les modélisations de l'étape 3, les tailles des particules ont été restreintes à quatre différents groupes selon trois bilans afin de simuler l'efficacité de récupération pour différents comportements ou type de moulées. En effet, certaines moulées donnent des fèces plus cohésives et donc plus grosses que d'autres moulées.
L'efficacité de récupération du phosphore total largué par les poissons est alors déterminée par des équations. En estimant que 100 % des particules sont attrapées (atteignent les cônes de sédimentation), une efficacité de récupération de 70 % est obtenue.
À l'étape 3, et dans le but de concevoir l'étang permettant de récupérer le maximum de phosphore, plusieurs modélisations ont par la suite été effectuées afin de déterminer les paramètres de conception optimaux. Les simulations ont été effectuées en variant le nombre de cônes de récupération, la pente au fond de la zone d'élevage et les conditions hydrauliques dans l'étang (tel que l'utilisation de déflecteur, les variations de vitesse de l'eau dans la zone d'élevage et au-dessus des cônes).
À l'étape 4, le nouvel étang a été aménagé sur le terrain de la pisciculture Gilbert inc. selon les paramètres optimaux déterminés à l'étape 3. Par la suite, des mesures ont été effectuées sur l'étang afin de déterminer l'efficacité de récupération du phosphore (via un bilan de production et de récupération du phosphore), et afin de vérifier si les conditions d'élevage (qualité de l'eau) sont adéquates pour une production de poissons. Finalement, une analyse comparative avec deux autres types d'étang d'élevage conventionnel en circuit ouvert a été réalisée dans le but de vérifier la rentabilité financière du nouveau modèle d'étang.
À l'étape 5 et afin de raffiner le modèle mathématique, un bilan plus exhaustif a été établi en considérant une nouvelle distribution des tailles des particules et en considérant les mesures effectuées sur le terrain lors de l'étape 4. En effet, 10 tailles ont été utilisées dans les simulations. De plus, des calculs de récupération du phosphore ont été simulés afin de mieux comprendre l'impact de changements potentiels sur certains paramètres de conception, soit au niveau du changement de la pente du fond de la zone d'élevage et du débit d'eau recirculée.
3. Analyse et discussion
3.1 Simulations à l'étape 3
Le meilleur résultat pour le concept modélisé #2, soit l'essai 7, a été obtenu lorsque la vitesse d'entrée de l'eau au niveau du déversoir situé à l'entrée de la zone d'élevage est fixée à 0,4 m/s. Cela représente l'utilisation de quatre aérateurs de type fresh-flo. En raison de l'espace requis pour installer ces aérateurs, il a été décidé de limiter leur nombre à deux. Avec le concept modélisé #3, il a été validé que l'investissement supplémentaire pour aménager le fond de la zone d'élevage avec une pente permettait de compenser l'utilisation d'un plus petit nombre d'aérateurs de type fresh-flo. L'aménagement d'une pente au fond de la zone d'élevage et l'utilisation d'une vitesse d'eau plus faible au niveau des cônes de récupération permettent à la fois d'entraîner les grosses particules qui roulent au fond et réduisent l'aspiration des petites particules vers les sorties d'eau.
Le concept modélisé #4 est celui qui a été utilisé pour l'aménagement de l'étang à l'étape 4 du projet. En plus de donner la meilleure efficacité de récupération du phosphore total largué, il donne de bons résultats pour la plupart des combinaisons hydrauliques. Ce concept est similaire au concept #3 précédent. La différence est l'ajout d'un déflecteur sous la sortie d'eau en amont des cônes de sédimentation. Ce déflecteur permet de diriger une plus grande proportion de particules vers la zone de sédimentation. En considérant la moitié du débit de recirculation de 187,2 m³ dirigé dans la zone de sédimentation, la charge superficielle au-dessus des cônes est de 7,7 m³/h/m². En diminuant cette charge via la réduction du débit d'eau recirculée, le concept simulé permet de récupérer davantage des particules de 130 µm que de 750 µm. Cela fait en sorte que les particules de grandes tailles atteignent le fond trop tôt et ne sont donc pas entraînées vers la zone de sédimentation. En modifiant les paramètres de conception dans les concepts modélisés #5 et #6, les simulations n'ont pas permis d'augmenter davantage la récupération du phosphore total largué par les poissons.
3.2 Mesures terrain à l'étape 4
Les mesures réalisées sur l'étang construit lors de l'étape 4 s'analysent selon les trois points suivants :
- Bilan de production et de récupération du phosphore : Lors des essais 1 à 3, une efficacité de récupération du phosphore d'environ 19 % a été observée. Cette faible valeur semble s'expliquer par l'utilisation d'une moulée contenant une teneur plus élevée de phosphore. Il a été considéré que la proportion de phosphore dissout largué par les poissons via cette moulée est supérieure à celle générée par les moulées des autres essais. L'efficacité de récupération a donc augmenté à une valeur d'environ 29 % à 38 % lors des essais 4 à 10 en utilisant une moulée plus conventionnelle et contenant 1,0 % de phosphore. La meilleure efficacité a été obtenue lors des essais 4 à 6 lors de l'ajout d'un troisième aérateur. Comparativement aux simulations, l'augmentation de débit dans l'étang a causé une augmentation de la récupération de phosphore dans les cônes. Cette augmentation de vitesse semble pousser, vers les cônes, les particules tombées sur le fond de la zone d'élevage. Dans les simulations, ces particules étaient considérées perdues;
- Qualité de l'eau d'élevage : selon les données, la qualité de l'eau est demeurée adéquate pour l'élevage de poissons, et cela pour une densité de poissons de 6,4 kg/m³. En raison de la saison hivernale, il n'a pas été possible d'augmenter cette densité afin de vérifier la qualité de l'eau avec une charge plus élevée de poissons. Un dégazage est cependant requis pour éliminer le CO2 de l'eau neuve et une attention particulière sera à considérer pour assurer le maintien de l'oxygène au minimum recommandé;
- Analyse financière comparative : les coûts d'aménagement et d'opération de l'étang de type Gilbert sont respectivement de l'ordre de +26 250 $ et -6 000 $ en comparaison avec un étang conventionnel entièrement conçu en terre et respectivement de l'ordre de +10 000 $ et -4 500 $ en comparaison avec un étang conventionnel recouvert de béton. En divisant la valeur de ces coûts supplémentaires pour l'aménagement par l'économie engendrée dans les coûts d'opération, l'analyse démontre que les coûts supplémentaires pour aménager l'étang de type Gilbert se récupèrent entre 2,2 et 4,4 années.
3.3 Simulations à l'étape 5
Le concept optimal qui a servi à la construction de l'étang a de nouveau été simulé avec l'ajout du troisième aérateur lors des essais à l'étape 4. Contrairement aux essais terrain, cet ajout donne toujours lieu à une diminution significative de l'efficacité simulée de récupération des particules de 300 µm et moins. Cela semble s'expliquer par la difficulté de modéliser parfaitement l'écoulement des particules dans l'étang. La diversification des tailles de particules permet cependant de voir que l'efficacité de récupération des particules de 300 microns et plus est presque 100 %, sauf dans le cas où le concept simulé utilise un seul aérateur et où la meilleure efficacité a été obtenue. L'augmentation de la pente au fond de la zone d'élevage cause toujours une augmentation de la récupération du phosphore. Malgré tout, les résultats des essais réalisés avec l'étang construit sur le terrain sont similaires aux résultats simulés dans le modèle mathématique.
4. Conclusion
L'utilisation d'un logiciel de simulation numérique a permis de mettre en lumière une combinaison de paramètres de construction et d'opération d'un étang d'élevage permettant d'augmenter l'efficacité de récupération du phosphore total largué par les poissons. En effet, l'étang de type Gilbert de deuxième génération a été construit et mesuré et a donné lieu à une efficacité de récupération du phosphore maximale de 37,9 %, comparativement à 30,0 % pour la première génération de cet étang. Cette deuxième génération d'étang comporte trois cônes de sédimentation, une pente de 1,85 dans le fond de la zone d'élevage, l'utilisation de trois aérateurs générant un débit de recirculation de 270 m³/h et une répartition du débit de 50-50 % entre les sorties d'eau situées en amont et en aval de la zone de sédimentation. Les essais sur le terrain ont démontré que cet étang offre une qualité d'eau adéquate pour l'engraissement de poissons destinés au marché de l'ensemencement. Comparativement à des étangs d'élevage plus conventionnels, les coûts supplémentaires pour aménager l'étang de type Gilbert se récupèrent en moins de 5 ans en réduisant significativement les coûts d'opération. Malgré quelques différences, principalement au niveau du nombre d'aérateurs à utiliser, l'utilisation du logiciel de modélisation a été d'une grande utilité dans la conception de l'étang.
Références
ANSYS FLUENT 12.1 in Workbench User's Guide. 2009.
Marcotte, D., 2010. Nouveau concept d'étang d'élevage avec réutilisation de l'eau et enlèvement régulier des boues. SORDAC, Document de transfert de technologie N° 2010.3.
Morin, R., 2004. La production piscicole au Québec. Document d'information. Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, Québec.
Pfeiffer, T.J., Osborn, A., Davis, 2008. Particle sieve analysis for determining solids removal efficiency of water treatment components in a recirculating aquaculture system. Aquacultural Engineering, Vol.39, Issue 1, Pages 24-29
Sindilariu, P.-D., Brinker, A., Reiter, R. 2009. Waste and particle management in a commercial, partially recirculating troutfarm. Aquacultural Engineering, Vol. 41, Issue 2, Pages 127-135.- Date de modification :