Évaluation technico-économique d’un procédé de postrécolte de moules intégré en mer
Rapport final
Moules de Gaspé inc
PIAAM 2012-Q04
Résumé
Au Québec, les mytiliculteurs peinent à rentabiliser leur production à cause, notamment, des coûts reliés au transport des moules vers les usines de transformation, des marchés difficiles à conserver et des volumes de ventes aléatoires en raison de l'approvisionnement irrégulier. De plus, c'est un produit vivant dont la qualité est très variable et imprévisible. En Gaspésie, bien que la baie de Gaspé soit naturellement propice à la culture des moules, elle est aussi soumise à diverses contraintes qui ont entraîné de longues périodes durant lesquelles la récolte était interrompue.
Il nous apparaissait donc possible de répondre à ces problématiques, en condensant les étapes de récolte et postrécolte à bord en une seule opération et en effectuant une réimmersion de conditionnement comme dernière opération avant la mise en marché. C'est ce que Moules de Gaspé, en collaboration avec Merinov, proposait de valider avec le projet « Évaluation technico-économique d'un procédé de postrécolte de moules intégré en mer ».
Les objectifs spécifiques du projet étaient : 1) Concevoir et installer adéquatement le système de postrécolte intégré en mer; 2) Comparer la qualité des moules transformées en mer, versus celles transformées en usine, selon la durée de vie et le bâillement des moules; 3) Tester l'efficacité d'un procédé de reparcage si nécessaire; 4) Effectuer une étude de rentabilité du procédé de postrécolte intégré en mer et 5) Transférer les résultats du projet vers l'industrie à travers une activité de communication.
La mise en oeuvre du procédé intégré a démontré son efficacité d'un point de vue technique : efficacité, rapidité et ergonomie. Du point de vue qualité de la moule, l'effet est positif : une réduction non négligeable du bâillement et une augmentation du taux de moules consommables ont été observées entre l'évaluation d'un lot de moules gaspésiennes en 2006 et celui ici fourni par l'entreprise. Le procédé de reparcage n'a pas été nécessaire, puisqu'aucun cas de contamination de l'eau ne s'est présenté pendant les essais expérimentaux. Finalement, l'étude de rentabilité révèle, entre autres, que l'acquisition de l'unité de transformation Kramer est recommandée dans le cas où le prix de vente se situe au-delà de 1,94 $/kg et que le volume annuel de production net est au-delà de 140 000 kg pour une année de croisière. Il est à souhaiter que les efforts déployés en matière d'innovation contribuent à lever des obstacles pour Les Moules de Gaspé inc. et l'ensemble des mytiliculteurs gaspésiens relativement à la commercialisation de leur produit.
1. Introduction
1.1 Historique
L'élevage de la moule bleue représente maintenant la deuxième activité aquacole en importance au Canada en volume et en valeur (source : Statistique Canada). Bien que la majorité de la production se concentre à l'Île-du-Prince-Édouard, la mytiliculture est également présente au Nouveau-Brunswick, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve/Labrador (source : Agriculture et Agroalimentaire Canada), où elle est stable depuis 5 ans. Elle ne représentait que 1,3 % de la production mondiale estimée par la FAO en 2005. Au Québec, la culture de moules se pratique depuis les années 1980 et l'élevage est surtout réalisé dans les régions de la Gaspésie, les Îles-de-la-Madeleine et quelques sites sur la Côte-Nord.
Les mytiliculteurs n'arrivent pas à rentabiliser leur production à cause, notamment, des coûts reliés au transport des moules vers l'usine de transformation, des marchés difficiles à conserver et des volumes de ventes aléatoires en raison de l'approvisionnement irrégulier. De plus, c'est un produit vivant dont la qualité est très variable et imprévisible. En effet, bien que la baie de Gaspé soit naturellement propice à la culture des moules, elle est aussi soumise à diverses contraintes qui ont entraîné de longues périodes durant lesquelles le producteur ne pouvait pas récolter.
En 2010, Moules de Gaspé en était à sa première année de cycle et de récolte commerciale et le pire n'a pu être évité. Les problèmes de potentielle contamination et les incontrôlables du processus de gestion ont conduit à l'interdiction de récolter jusqu'au 13 novembre 2010, confirmant ainsi l'effet dévastateur de la présence possible de coliformes de source humaine. Le cycle de récolte prévu au printemps 2010 (libération de lignes pour la mise en captage et en élevage) n'a pas eu lieu, aussi la production de 2012 s'est retrouvée incomplète et la mise en place de production pour 2013 n'a pu avoir lieu. L'autorisation de récolte octroyée le 13 novembre 2010 a aussi pris fin le 17 novembre pour cause de pluies abondantes et de possible contamination; une période de 7 jours était alors obligatoire avant la reprise pourvu que les précipitations soient minimes. Un autre aspect important à intégrer dans l'équation est le manque de constance dans la qualité des moules du Québec et, en particulier, le problème du bâillement qui est un obstacle majeur à leur commercialisation. Les trois grandes chaînes de distribution (Métro, Sobeys, Loblaws) et l'ensemble des poissonniers ont insisté sur ce point. La plupart refusent de s'approvisionner tant que la problématique sera présente. Il est bien établi que la
manipulation des moules constitue l'étape la plus difficile et que le stress a des conséquences sur la qualité et la durée de vie du produit1. En effet, il est soupçonné être responsable du phénomène du bâillement, c'est-à-dire la propension des moules à demeurer entrouvertes.
Comme les bivalves morts ou moribonds ont eux aussi tendance à s'ouvrir, tout bâillement significatif des moules peut causer une inquiétude et des rejets de la part des acheteurs, grossistes, poissonniers et consommateurs. Ceux-ci sont ainsi devenus craintifs face au produit gaspésien. Il nous apparaissait évident, à la suite de quelques expériences internes, que la moule qui subirait une période de récupération n'ait plus tendance à bâiller et soit plus attrayante pour le consommateur, voyant ainsi sa valeur et sa consommation augmenter.
Il nous apparaissait donc possible de répondre à ces problématiques en condensant les étapes de récolte et postrécolte à bord en une seule opération, en effectuant une réimmersion de conditionnement comme dernière opération avant la mise en marché. Procédé qui devait permettre aux moules de se rétablir avant la mise en marché. C'est ce que le projet « Évaluation technico-économique d'un procédé de postrécolte de moules intégrée en mer » proposait de valider. Ce principe novateur offrait un avantage technologique certain, mais il impliquait de réaliser des travaux d'optimisation, afin de bénéficier pleinement des capacités des nouveaux systèmes et procédés. Dans le but de se conformer aux normes de salubrité, l'entreprise a prévu travailler de concert avec les gestionnaires du Programme canadien de contrôle de la salubrité des mollusques (PCCSM) – l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA), et bénéficiait aussi et surtout de l'expertise de Merinov en tant que coordonnateur et partenaire pour les aspects scientifiques du projet.
1.2 Objectifs du projet
L'objectif principal du projet était donc d'effectuer une étude technico-économique d'un procédé de postrécolte de moules intégrée en mer dans la baie de Gaspé.
Les objectifs spécifiques étaient :
- Concevoir et installer adéquatement le système de postrécolte intégrée en mer :
- acquérir et installer le système intégré de transformation de la moule (dégrappeuse-trieuse-débysseuse) sur un navire de récolte;
- acquérir et aménager la plate-forme flottante novatrice, munie de bassins de réimmersion et de contention;
- Établir, si nécessaire, un protocole de purification des moules avec l'ACIA.
- Comparer la qualité des moules transformées en mer versus celles transformées en usine selon
- la durée de vie;
- le bâillement des moules.
- Tester l'efficacité d'un procédé de reparcage si nécessaire selon :
- les paramètres physico-chimiques et le taux de contamination de l'eau (sur site contaminé versus site autorisé);
- le taux de contamination des moules (à différents t);
- 4. Effectuer une étude de rentabilité du procédé de postrécolte intégrée en mer.
- 5. Transférer les résultats du projet vers l'industrie à travers une activité de communication.
1.3 Engagement des intervenants
Les Moules de Gaspé inc : entreprise qui concentre ses activités vers l'élevage de moules dans la baie de Gaspé. Laquelle, depuis 1999, diversifie ses opérations vers la culture de pétoncles et de l'huître. Sa mission est d'assurer un développement cohérent, harmoniser les produits d'élevage et, ainsi, procurer aux générations futures une ressource renouvelable. La transformation complète des moules à bord faisait partie de la stratégie de consolidation et de diversification 2010-2016 de l'entreprise. Elle agit en tant que promoteur dans le projet, a fourni les mises de fonds nécessaires, a participé à la conception et aux essais en mer (sur son propre site d'élevage), en fournissant bateau d'assistance et équipage, et a collaboré à l'étude économique. Centre d'innovation de l'aquaculture et des pêches du Québec (Merinov) : offre des services d'innovation à l'ensemble du secteur. Ses activités visent à générer de nouvelles connaissances et technologies destinées au développement de l'industrie des pêches, de l'aquaculture et de la transformation des produits aquatiques. Merinov s'est assurée de la coordination de toutes les étapes du projet : élaboration des protocoles, échantillonnage, analyses bactériologiques de l'eau de traitement et des échantillons de moules, évaluation de la qualité des moules, traitement statistique des résultats et rédaction de deux rapports techniques.
Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) : à travers le PCCSM, l'ACIA règlemente la purification contrôlée des mollusques, vérifie la qualité des produits et l'efficacité du processus de purification, et maintien des registres sur la production et la qualité des produits. L'Agence a été consultée régulièrement sur les normes à respecter dans l'ensemble des processus, afin d'atteindre l'objectif de maintenir et d'augmenter la qualité des moules pour la consommation.
2. État des connaissances
2.1 Contexte technologique : opérations actuelles de postrécolte
Les opérations de postrécolte sont coûteuses pour un producteur et chacune des étapes est nécessaire afin d'obtenir un produit qui répond à toutes les normes d'hygiène et de salubrité. Tout d'abord, les moules sont récoltées par un navire d'aquaculture et sont triées à bord à l'aide d'une trieuse à moules. Les rejets comprennent les coquilles brisées, la vase et les moules inférieures à la taille commerciale. Ensuite, les moules sont mises dans des contenants isothermes, avec de la glace, pour être transportées à l'usine de transformation. En plus d'occasionner du stress chez les moules, de les compacter sous un poids important dans les salissures, le transport du produit incluant près de la moitié en rejets est coûteux et inutile pour le producteur.
À la fin de saison 2011, l'usine de transformation de la moule à Rivière-aux-Renards annonçait sa fermeture définitive pour avril 2012. Ainsi, dès la saison de récolte 2012, les producteurs de moules n'avaient plus d'acheteurs vers qui se tourner pour vendre leur production. Il était donc d'autant plus pertinent qu'ils prennent en main les opérations de postrécolte, afin d'assurer la survie financière de l'entreprise.
Selon le PCCSM, la baie de Gaspé pouvait être ouverte à la récolte en période de contamination, mais strictement sous condition de purification des moules. La méthode usuelle préconisée par le PCCSM consiste à mettre les moules en vrac dans de grands contenants isothermes et à y faire circuler de l'eau de mer purifiée par rayons ultra-violets, selon un débit déterminé. La capacité de filtration des moules permet d'éliminer les coliformes fécaux contenus dans leur système digestif. Or, la dépuration des moules sur des installations terrestres entraîne des coûts de pompage significatifs (délais fixés à 48 heures par le PCCSM). Les coûts liés à l'utilisation de l'eau de mer peuvent représenter jusqu'à 25,8 % des coûts totaux de dépuration en usine.
Dans le processus usuel, les moules passent par les différentes étapes visant le débyssage, c'est-à-dire : une opération de transport du bac en usine; entreposage pour des périodes variables; manipulation pour vidage dans la chute à convoyeur vers la machine de nettoyage et prétriage; convoyeur; brossage mécanisé et, enfin, acheminement vers un ensemble de rouleaux qui permettent d'enlever ou souvent d'arracher le byssus (filament sécrété par la moule qui lui permet de se fixer au substrat). Elles seront ensuite réinspectées, ensachées à l'aide d'un équipement mécanisé et emballées pour expédition selon les disponibilités des transporteurs. Ces opérations de transformation en plusieurs séquences entraînent beaucoup de manipulations. D'ailleurs, dans la chaîne de production, les coûts liés à la manutention sont les plus élevés (34 %).
2.2 La solution novatrice : opérations de postrécolte en mer
Afin de s'assurer de la viabilité de son objectif de projet d'intégration des opérations de postrécolte en mer qui lui permettrait par la suite de planifier efficacement ses diverses opérations et de s'assurer d'une récolte structurée, l'entreprise Les Moules de Gaspé inc voulait depuis longtemps développer un système permettant le traitement (tri, débyssage et mise en sac) des moules à bord d'un de ses navires. À l'automne 2011, l'équipe a entrepris, à ses frais, un projet de préfaisabilité de transformation en mer à bord de son navire Aquilon V; en se procurant, sous location, un système de débyssage conventionnel et en installant un système simple d'ensachage et de réimmersion du produit final. Ce procédé de base comportait inévitablement de nombreuses lacunes connues d'avance, dont : l'encombrement du pont, la forte diminution de l'espace de travail et le manque d'espace d'entreposage du produit.
L'initiative a permis de conclure sur l'efficacité du processus intégré, sur l'augmentation sérieuse de la santé et de la qualité du produit, d'un marché très accueillant pour le produit et d'un type de production visiblement rentable par la simplicité et la concentration des opérations de la mer à l'assiette.
3. Méthodologie
Quatre activités principales ont permis de répondre aux objectifs du projet.
3.1 Conception et installation du système de postrécolte intégrée en mer
Lors de cette première étape, qui s'est déroulée tout au long de la saison 2012, le promoteur a procédé à l'achat des équipements liés au projet et à leur installation à bord de Laudacieux. Le système intégré de transformation permettrait, avec un seul dispositif, d'effectuer des manipulations jusqu'à la pesée et la mise en sacs qui, auparavant, nécessitaient l'utilisation de plusieurs appareils individuels très encombrants et une équipe importante. Quant à la réimmersion, elle serait effectuée à bord d'une plate-forme flottante fabriquée spécifiquement pour le projet, qui servirait pour l'entreposage et la réimmersion pour conditionnement. Ainsi, l'ordre des étapes de postrécolte serait remanié, afin de se succéder selon un ordre plus logique.
Des ajustements techniques ont été effectués avant de réaliser les échantillonnages, et ce, au cours de l'été 2012. Un chargé de projet et un technicien de Merinov ont effectué des suivis auprès de Moules de Gaspé, qui ont permis de faire des observations qualitatives et
d'identifier les points pouvant faire l'objet d'améliorations. Les ajustements aux procédures employées par l'entreprise ont permis d'optimiser le processus de postrécolte et à l'équipe Merinov d'ajuster sa méthode de travail pour l'échantillonnage. Les parties suivantes détaillent les équipements acquis dans le cadre du présent projet.
3.1.1 Le treuil hydraulique
La manipulation et le déplacement des différents équipements, débysseuse, bacs, nécessitaient un treuil avec capacité de levage minimum de 400 kg sécuritaire lorsque le bras serait prolongé; afin d'y déposer les paniers de moules sur la plate-forme aux espaces les plus éloignés du pivot. Le choix s'est arrêté sur le treuil Ferrari 550 A3 avec capacité d'élongation de plus de 11 mètres du pivot et capable de porter 400 kg aisément avec une extension de 9 mètres horizontalement. Treuil de capacité moyenne, robuste, relativement léger et peu encombrant qui, une fois allongé, peut aussi déplacer les objets par-dessus la cabine et permettre une utilisation maximale des espaces. Cet équipement a été acquis au printemps 2012.
3.1.2 L'unité de transformation intégrée
L'unité de transformation choisie est fabriquée par la compagnie Kramer Machines (Pays- Bas). Le modèle C700 est un appareil équipé de différentes unités intégrées. Le système intègre les composantes suivantes : dégrappeuse, débysseuse et calibreuse. Notons que Moules de Gaspé a pu établir un devis correspondant aux besoins spécifiques de l'entreprise auprès de John Kramer, fabricant, en visite au Québec les 5-6 juin 2012. La chargée de projet et un technicien ingénieur de Merinov ont aussi participé à cette rencontre. La machine a été livrée en octobre 2012.
De plus, le modèle C700 comporte de multiples avantages :
- La machine peut être installée dans des endroits limités en espace;
- L'installation est très facile à réaliser;
- Les trois composantes peuvent être utilisées à l'unité;
- L'entretien et le nettoyage journalier des composantes sont minimaux;
- La consommation de l'eau est faible;
- La machine peut être ajustée aux différents types de moule.
3.1.3 La plate-forme flottante
La plate-forme flottante fut fabriquée en chantier naval par une entreprise accréditée pour l'industrie, en avril 2012, livrée en juillet. La dimension construite est de 14 m en longueur, par 5 m en largeur et par 90 cm en hauteur. Elle est constituée de trois pontons espacés latéralement de 1,20 m, créant l'espace nécessaire à la réimmersion de 16 bacs sur deux rangées. Ces bacs entreposent 250 kg de moules chacun, soit quatre tonnes de produit destiné à la transformation ou la commercialisation.
Le poids total du produit immergé dans les bacs ajoutés au poids des composantes d'aluminium est d'environ 2,5 tonnes, soit un ratio 1/5 de la capacité portante sécuritaire de la structure. Le plancher est constitué d'une passerelle principale sur chaque ponton et d'une passerelle latérale aux extrémités et au centre en plus d'un garde-corps de ceinture. Elle est équipée du nécessaire pour sa classe de navigation : feux d'ancrage, ancres, etc. Cet équipement peut supporter aisément une charge supplémentaire d'au moins dix tonnes et la surface de plancher de travail amovible peut aussi s'étendre sur l'ensemble du périmètre (68m2). Notons que l'espace est supérieur au pont des deux bateaux actuels.
3.1.4 Les bacs ventilés
Les bacs ventilés, acquis en juin 2012, ont une dimension de 1200 x 1200 x 80 mm en hauteur et une capacité maximale d'entreposage de 600 kg de moules bruts. Ils sont disposés en deux rangées de huit bacs et contiennent environ 250 kg. Ainsi, l'entreprise peut compter en tout temps sur quatre tonnes de produit immergé en permanence à l'état brut, pour la transformation, ou à l'état net destiné à la commercialisation. La profondeur des glissières verticales qui retiennent les bacs est prévue pour laisser dépasser la partie supérieure hors de l'eau (150 mm), afin que les moules ne puissent remonter sur la paroi à l'aide de son byssus pour s'échapper et aussi pour laisser aux vagues l'occasion de passer tout autour sans déranger le contenu. Le rendement espéré est atteint, voire même dépassé. Aucune perte de produits dans les conditions extrêmes. Le processus a été mis à l'épreuve dans des vagues de plus d'un mètre.
3.1.5 La fabrique à glace
L'objectif de qualité totale du produit impliquait nécessairement le glaçage lors de l'emballage pour expédition. Considérant le besoin de court/moyen terme, l'entreprise a fait l'acquisition d'une fabrique à glace en flocons d'une capacité de production d'une tonne par 24 heures, soit l'équivalent de 2 bacs isothermes de type Zactic. Cette quantité permet d'expédier en toute quiétude jusqu'à 2,5 tonnes de produit emballé et glacé vers les marchés actuellement les plus éloignés (Québec et Montréal). Le choix s'est arrêté sur une machine de marque HOSHIZAKI, Série H, Modèle #F-2000MWH Flakes, acquise en juin 2012. Ce système a pour avantage d'être compact, autonome, simple d'installation et ne nécessite pas de refroidisseur indépendant devant être placé à l'extérieur du bâtiment. Elle est aussi munie d'un arrêt automatique et elle cesse de fonctionner quand le bac est rempli au niveau désiré. La glace entreposée dans le bac isotherme peut être entreposée durant plusieurs jours consécutifs sans perdre de ses propriétés.
3.2 Tests sur l'efficacité du procédé de reparcage sur la purification des moules
Dans la demande initiale, il avait été prévu certains aspects techniques de la purification des moules, notamment ceux concernant les exigences du PCCSM en matière de qualité de l'eau, délais, etc. Par contre, il n'a pas eu de période de contamination de l'eau qui aurait permis d'effectuer cette activité.
3.3 Transfert des résultats
Afin de transférer les résultats du projet vers l'industrie mytilicole québécoise, une participation à un colloque tel que le colloque de l'Association Aquacole du Canada (juin 2013) est prévue. Le transfert pourrait se faire à travers une communication orale.
4. Observations
4.1 Des opérations
D'abord, les moules sont récoltées et donc dégrappées par le navire Aquilon V. Ce navire, propriété de Moules de Gaspé, est initialement équipé pour la récolte et l'expédition de moules en vrac vers l'usine. Il n'a donc nécessité aucun ajustement technique pour cette opération.
Ensuite, les moules sont mises en vrac dans les bacs ventilés de la plate-forme flottante, ancrée à cet effet à proximité du lieu de récolte, afin de réduire le temps d'intervention entre la récolte et la remise à l'eau. La durée d'entreposage est variable, selon les demandes commerciales. Un jour ou deux avant la date de livraison, Laudacieux équipé de l'unité de transformation s'accoste à la plate-forme pour procéder aux opérations de traitement de la moule : débyssage, calibrage et mise en sac. Les sacs sont remis au fur et à mesure de la production dans les bacs ventilés de la plate-forme. Le transport vers le quai pour expédition peut être accompli par un ou l'autre des deux bateaux disponibles.
Notons que les parties suivantes du rapport font état des avantages et désavantages de chacune des étapes. Les données observées de temps, nombre de personnes requises et rendement ont servi à l'analyse technico-économique.
4.2 Récolte et entreposage en vrac
Le fait d'utiliser deux navires différents pour les opérations de récolte et de postrécolte amène plusieurs avantages :
- possibilité d'effectuer simultanément les opérations de récolte et de post-récole de la moule, ainsi que le transport au quai;
- dégagement sur le pont des deux navires, car on ne garde que les équipements spécifiques à la récolte ou la postrécolte;
- plus de souplesse dans la planification du calendrier de récolte.
Les premières expériences de comportement en entreposage humide ont été effectuées graduellement, soit par une première récolte de six bacs et entreposage durant 48 heures, puis cycle complet de débyssage, calibrage, mise en sacs et reconditionnement en mer. La première récolte s'est déroulée dans de mauvaises conditions météorologiques. Le deuxième cycle expérimental comportait la récolte de 12 bacs de 250 kg de moules inégalement réparties dans les compartiments de la plate-forme. Au lendemain de la récolte, un fort vent provenant de l'Ouest (orientation de la vallée qui se termine par la baie concernée) soufflait à environ 80 km/h et a persisté quatre jours, durant lesquels l'équipe a réagi en reliant les bacs entre eux à l'aide de cordages, mais n'est cependant pas intervenue pour déplacer la plate-forme en zone plus calme.
Le lendemain des forts vents, le constat était le même que celui observé avec la première récolte : aucun dommage aux structures, seulement quelques traces de frottage intense sur le plastique des bacs. Aucune perte de produit. La moule s'était ajustée aux conditions ambiantes et avait doublé sa quantité de byssus. Les vagues atteignaient alors près de un mètre d'hauteur, accompagnées de creux de vagues courts et crêtes cassantes typiques aux vagues de surface de forts vents. Probablement les plus redoutables dans les circonstances.
L'objectif de remplir la plate-forme de ses 16 bacs de 250 kg a été atteint, avec une équipe de travail de trois personnes. À la suite de la période de rodage, deux récoltes se sont avérées nécessaires pour remplir les 16 bacs ventilés, opérations qui prenaient environ 4 heures pour chaque récolte. Le temps de déplacement de l'Aquilon V à partir du quai vers le site de récolte était d'environ 25 minutes, puis vers la plate-forme nécessitait moins de 10 minutes, incluant l'accostage. De plus, le fait d'utiliser une plate-forme flottante pour l'entreposage avant le traitement de la moule amène l'opportunité de récolter dans les meilleures conditions météorologiques, en faisant fi des dates d'expédition (évitant ainsi les pertes de moules par dégrappage en mer lors de fortes vagues).
Biologiquement, l'exercice d'entreposage en mer a permis de constater que la moule s'était reconstruit une quantité importante de byssus. Les moules entreposées dans les bacs étaient grippées plus solidement entre elles que lorsqu'elles provenaient directement de la récolte en mer.
Les observations ultérieures sur la facilité de nettoyage avec l'unité Kramer C700 (voir partie 4.3) ont permis de modifier la méthode de récolte et d'accélérer le processus de récolte. La moule serait dorénavant seulement dégrappée et le clapet de contrôle du passage au tonneau de tri et de prénettoyage de l'Aquilon V serait ouvert au maximum pour laisser passer directement le produit sans aucun traitement. La vitesse de travail de la dégrappeuse en était ainsi augmentée de deux fois par rapport à la vitesse nécessaire pour la préparation de la moule devant être anciennement expédiée en usine pour transformation. L'utilisation de l'Aquilon V s'avérait donc un avantage certain à tenir en compte dans la conclusion du projet.
4.3 Transformation et mise en sac
Les premières expériences de transformation à bord de Laudacieux ont été effectuées à l'aide d'une équipe de cinq personnes. Avec son nouveau treuil Ferrari 550, l'opérateur était en mesure d'effectuer le transbordement des bacs de la plate-forme directement sur le pont du bateau. Par contre, il s'est avéré que les moules ne pouvaient être transbordées directement dans l'unité de transformation, car les bacs étaient d'une capacité trop élevée. Cette étape a donc nécessité un transfert manuel vers des contenants plus petits et manoeuvrables par deux personnes (des pannes de plastique d'une capacité de 50 kg). Et, comme les moules étaient à nouveau bien liées entre elles, cela a demandé un effort supplémentaire pour détacher les moules entreposées. En fait, elles formaient un bloc équivalant au volume occupé dans les bacs. Heureusement, très peu ou pas de byssus n'était fixé aux parois des bacs ventilés.
Chaque panne de 50 kg de moules brutes était acheminée manuellement vers la Kramer C700 pour que les moules soient nettoyées, débyssées et triées. Il s'est avéré, contrairement à ce que le fabricant avait présumé, que la moule du Québec était aussi facile à nettoyer que la moule européenne. La position et la vitesse des brosses ainsi que le synchronisme entre les phases donnaient, en effet, le rendement souhaité d'origine. Cette constatation a engendré des ajustements dans les opérations de récolte (voir partie 4.2).
Après rodage et ajustements, la première expérience avec deux lots consécutifs de 50 kg de moules de taille commerciales et la machine à plein régime a permis de récupérer les moules à la sortie en moins de trois minutes, soit plus d'une tonne à l'heure.
La moule transformée était ensuite immédiatement récupérée deux mètres plus loin pour l'étape d'inspection visuelle, obligatoire avant la mise en sacs. La moule débyssée tombait dans des contenants de 50 kg, qui devaient aussi être manipulés par deux personnes qui les relevaient pour, ensuite, verser la moule sur la table d'inspection. Durant cette opération, les personnes présentes devaient libérer l'espace et, ainsi, l'ensemble du rendement s'en retrouvait affecté. Une fois les moules inspectées, le rendement final se situait à plus de 95 %; les 5 % de rejets étant une combinaison de moules brisées ou de coquilles vides. Ce rendement s'est avéré excellent pour une première expérience et a aussi surpris l'équipe par sa rapidité.
Par contre, les équipements d'inspection et de mise en sac ne permettant pas de suivre la vitesse de transformation, la table de tri a dû être remplacée par une conception de plus grande dimension. Ce nouvel équipement permettait maintenant d'inspecter plus rapidement et sur une plus grande surface. Elle était aussi équipée de sceaux d'emballage permettant de mesurer la quantité par volume et le déploiement plus rapide des sacs.
Les performances qui ont été observées tout au long du processus nous permettent de conclure que la Kramer C700 est en mesure de produire aisément 1,5 tonne/heure, avec un approvisionnement contrôlé et un bon débit d'eau, accompagnés de la mise en fonction de son système de vibration intégré. Cette capacité de production repousse les limites vers une augmentation graduelle des capacités d'élevage. Elle est de loin supérieure aux besoins et aux capacités techniques et humaines de production actuelle de l'entreprise, dont l'objectif à court terme est de 2,5 tonnes par jour.
Durant le parcours, une équipe de deux personnes avec un bon synchronisme a pu produire 80 sacs de 12 kg en 5 heures, soit une tonne de moules mises en sac et réimmergées de quai à quai. Une équipe de 3 personnes a produit 105 sacs en 5 heures et une équipe de 4 personnes 120 sacs en 5 heures, soit 1,5 tonne/heure. Le rendement n'est donc pas proportionnel au nombre de personnes; le résultat est plutôt relié aux manipulations entre les étapes principales. En ce qui concerne le temps de transformation à bord de Laudacieux, il est rapidement passé de 150 kg/heure pour une équipe de 5 personnes à 200 kg/heure pour une équipe de seulement 2 personnes, et ce, de quai à quai.
En faisant les essais, des lignes de secteurs différents et de cycle de croissance de deux trois et quatre ans ont été récoltées. Les lignes qui n'ont pas atteint trois ans de croissance ont produit autour de 25 % de moules inférieures à 45 mm et la quantité commercialisable est du calibre de 80 moules/kg (45 à 55 mm). Bien qu'à la limite de taille pour le marché du frais, la petite moule est quand même de volume suffisant pour la cuisson et production de chair. Les lignes qui ont atteint trois ans de croissance présentent moins de 2 % de moules inférieures à 45 mm. Elles sont de calibre situé autour de 40 moules/kg (50 à 65 mm). Les moules qui ont dépassé la période de 3,5 années de croissance sont composées d'environ 50 % de moules de 40/kg et 50 % de moules de 20/kg (70 mm et plus). Enfin, notons que la proportion de résidus de transformation (19 kg) après 40 sacs de 12 kg était d'environ 4 %.
4.4 Reconditionnement et transport au quai
Dès la pesée, les sacs étaient immédiatement réacheminés vers la plate-forme aux fins de réimmersion et conditionnement précédant l'expédition sur les marchés. Il s'agit alors d'un produit qui a séjourné moins de 1 heure hors de son milieu naturel durant son seul cycle de transformation et qui se retrouve sur les marchés moins de 24 heures plus tard. L'objectif technique du projet est atteint, voire dépassé.
Dépendant de la quantité à expédier, Laudacieux quitte la plate-forme après une période donnée pour son retour au quai et les bacs contenant les sacs de moules commerciales sont déplacés vers l'entrepôt situé à proximité. Le produit y est mis en boîte, glacé et préparé pour l'expédition vers les marchés. Les marchés exploratoires pour 2012 étaient : ceux de Montréal, Québec, Rimouski et, plus localement, Gaspé et Rivière–aux-Renard. Une gamme suffisamment diversifiée de distributeurs était présente pour permettre de bien éprouver la qualité du produit. Le temps de mise en boite requiert 30 minutes à deux personnes, incluant la récupération à partir du pont du bateau, l'étiquetage et la dernière disposition dans le véhicule du transporteur.
5. Conclusion
De belles perspectives s'orientent pour l'industrie canadienne à partir de cette initiative de projet PIAAM. Effectuer l'ensemble des opérations décrites précédemment en mer était une première au Québec et signifie un bond technologique important. La valeur du produit est demeurée au seuil depuis plusieurs décennies et les dépenses des producteurs n'ont cessé de croître. Un système et des opérations intégrées, simples d'usage et en harmonie, sont à coup sûr une alternative gagnante et réalisable à court terme. Cette méthode est surtout avantageuse pour les entreprises de petite taille, à partir d'un seuil minimal d'environ 100 tonnes de production annuelle. Il est important de mentionner qu'une entreprise de taille inférieure à 400 tonnes annuelles nécessiterait un appui financier substantiel pour l'acquisition et la réorganisation des outils de travail en mer. Il est possible de penser à des investissements autour de 500 000 $, dont les détails seront décrits plus loin.
Dans le projet actuel, la mise en oeuvre d'un processus intégré a démontré, hors de tout doute, son efficacité à tous les points de vue ciblés : performance, simplicité, rapidité, qualité du produit et amélioration des conditions de travail. Étant donné le contexte innovant, l'originalité et l'authenticité du projet, aucune cible précise n'était visée.
L'ensemble des étapes à réaliser allait donner de nouveaux indices permettant d'établir de nouveaux paramètres de production. L'objectif d'entreposage et de réimmersion en milieu marin est un élément stratégique et peu coûteux qui permet d'assurer un synchronisme et une planification cohérente de l'ensemble. Cette stratégie permet ainsi de récolter en tout temps, libérer et placer les lignes de captage en temps voulu, boudiner les lignes libérées et ainsi de suite. Cette méthode de travail nous permettra aussi de sauver une quantité non négligeable de production commerciale rejetée en mer lors des opérations de nettoyage des bouées et de préparation des lignes pour les différentes étapes.
Le plancher de production de 1 tonne/jour fut rapidement atteint, puis celui 1,5 tonne/jour, suite à des ajustements techniques dans les équipements et les manoeuvres. Cette quantité de produit manipulé a permis de bien cibler les points forts et les points faibles et, ainsi, être en mesure de définir et recommander les améliorations nécessaires à l'atteinte d'une production de 2,5 tonnes/jour. Cette cible est considérée réalisable et rentable à court terme pour l'entreprise en tenant compte d'un seuil de production cible plancher de 175 tonnes annuellement. L'ensemble des opérations ont permis d'identifier comme principaux points faibles les deux étapes d'interventions non mécanisées d'alimentation de la Kramer C700 et de la table d'inspection/emballage. Ces équipements ont un impact estimé sur le gain en efficacité d'environ 40 sacs/jour. En ce qui concerne le rendement des équipements flottants et/ou mécanisés, ils atteignent en soi les objectifs.
Le constat qui ressort de cet exercice va dorénavant permettre une planification qui pourra tenir compte des désirs de l'acheteur. Pendant la période expérimentale en mer qui s'est déroulée entre octobre et décembre, l'entreprise a simultanément procédé à un exercice d'exploration des marchés pour les différents calibres de moules. Les trois calibres identifiés précédemment sont en très grande demande et l'opportunité de niches est excellente. Une moule vendue par calibre semble apparaître comme une avenue des plus intéressantes et une plus-value pour la moule de très gros calibre, soit celle de 70 mm et plus.
Un autre constat intéressant lors de l'exercice est à l'effet qu'une moule qui dépasse 75 mm a tendance à épaissir la coquille plutôt que s'allonger. Elle offre un excellent potentiel en étant servie comme demi-coquille ou moule farcie, au même titre que le pétoncle de calibre Princess, le produit bien apprêté a autant fière allure.
Pour conclure sur l'aspect du cycle de croissance, la baie de Gaspé demeure plus que jamais un lieu stratégique pour l'élevage des mollusques. Pour la moule spécifiquement, il est fort probable que ce soit l'élevage en profondeur et en basse température, combiné à l'absence de photosynthèse qui en définissent la durée de croissance. Il est nécessaire de retenir que la moule de moins de trois années de croissance produit au moins 25 % de moules de moins de 45 mm qui peuvent cependant être cuites ou reboudinées et la proportion de petites moules non commerciales augmente graduellement plus on diminue le cycle. Uneproduction de moule de moins deux ans et demi de croissance n'est pas récoltable à moins de procéder à un volumineux reboudinage de près de 50 % de la moule récoltée et composée surtout de moules de 25 à 40 mm.
Les résultats concernaient aussi la qualité du produit : les moules d'élevage de la Gaspésie présentaient une propension au bâillement après récolte qui nuit à leur mise en marché. Or, les interventions intégrées en mer impliquent moins de manipulations pour les moules et ont pour effet de réduire le stress.
De plus, la réimmersion en fin de procédé a permis de constater que cette nouvelle façon de faire favorise aussi une récupération significative de poids par réabsorption de l'eau perdue lors de la transformation et, donc, une meilleure santé, un meilleur état physiologique, une meilleure apparence et durée de vie du produit, et ce, selon les constats et commentaires recueillis de la part des grossistes. De plus, cela permet de diminuer la quantité de suremballages compensatoires. Un sac de moules réimmergé plus de 15 minutes reprend de 5 à 10 % de son poids en eau, lui permettant en plus de se rafraîchir, de se nettoyer et ainsi de mieux supporter les délais variables entre la récolte et la consommation. La moule réimmergée adéquatement ne laisse visiblement que de l'eau claire s'échapper de son emballage.
Les résultats de ce projet confirment sans équivoque la validité des pistes de solution étudiées et importantes à l'obtention d'une meilleure qualité du produit et, inévitablement, une meilleure rentabilité, c'est-à-dire une augmentation de sa valeur, la simplification de sa mise en marché ainsi que son excellent prix de vente.
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