Rapport provisoire du Comité de conseil national sur les normes concernant les aires marines protégées
Présenté au ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne
Le 15 août 2018
- Rémi Bujold et Mary Simon (Coprésidents du Comité)
- David Anderson
- Darcy Dobell
- Tom Hayes
- Marc Léger
- Maureen Thomas
Table des matières
Acronymes
- AMCEZ
- Autres mesures de conservation efficaces par zone
- AMP
- Aire marine protégée
- APA
- Aires protégées autochtones
- CAE
- Cercle autochtone d’experts
- ECCC
- Environnement et Changement climatique Canada
- MPO
- Pêches et Océans Canada
- PC
- Parcs Canada
- UICN
- Union internationale pour la conservation de la nature
- ZPM
- Zone de protection marine
Introduction
Partout dans le monde, on s’inquiète de plus en plus de la dégradation de l’état de santé de nos océans. Le Canada s’est associé à d’autres pays pour prendre des engagements clairs en vue de renforcer la gestion et la préservation des océans, notamment en créant des aires marines protégées (AMP).
Le Comité de conseil national sur les normes concernant les aires marines protégées a été créé en mars 2018 afin de fournir au ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne une orientation sur l’élaboration de normes de protection pour les AMP fédérales. Le travail du Comité s’est appuyé sur huit réunions tenues sur les trois côtes du Canada. Au cours de ces réunions, le Comité a prêté une oreille attentive aux intervenants et délibéré longuement, tout en prenant en compte les soumissions en ligne provenant de partout au Canada. Le Comité peut maintenant proposer un rapport provisoire selon ce qu’il a appris.
Dans le cadre des activités d’orientation, on a invité le Comité à examiner le cadre des catégories et des normes de protection élaborées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). On a demandé au Comité de donner des conseils sur les aires protégées autochtones (APA) en s’inspirant des « recommandations pertinentes du cercle d’experts autochtones ».Note de bas de page 1
Au Canada, deux ministères fédéraux et une agence ont le mandat de créer des AMP : Pêches et Océans Canada (MPO), Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) et Parcs Canada (PC)Note de bas de page 2 . A travers le Canada, ces ministères et cette agence ont parfois travaillé en partenariat avec les peuples autochtones et les provinces pour établir ou gérer conjointement des AMP. Les recommandations du Comité devraient s’appliquer de manière uniforme aux AMP créées dans le cadre de chacun de ces processus, de sorte à obtenir des protections uniformes partout au Canada et, par conséquent, des AMP plus efficaces.
Le présent rapport commence par une présentation du cadre de l’UICN et une discussion sur les aires protégées autochtones. Il présente ensuite ce que les membres du Comité ont retenu de leurs consultations, menées partout au pays auprès de divers intervenants. Le rapport aborde ensuite une série de principes qui serviront de base au rapport final. Le rapport se termine par une section sur les normes de l’UICN et sur la manière dont elles peuvent façonner les recommandations finales du Comité.
Le cadre de l’UICN comme point de référence
L’UICN est l’organisme d’experts internationalement reconnu pour la conservation de la nature. Le travail du Comité consiste à examiner les catégories et les normes de l’UICN et à formuler des recommandations concernant leur application au Canada. L’UICN définit une aire protégée comme suit:
Un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen éfficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature, ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés.
L’UICN reconnaît que même si les AMP ont pour objectif principal la conservation, d’autres mesures de conservation efficaces par zone (AMCEZ) peuvent également assurer la protection de la biodiversité. Les AMCEZ assurent la protection de la biodiversité comme résultat secondaire indépendamment de leur objectif principal de gestion :
Une zone géographiquement définie autre qu’une aire protégée, régie et gérée de manière à obtenir des résultats positifs et durables à long terme pour la conservation in situ de la biodiversité, avec des fonctions et des services écosystémiques associés et, le cas échéant, culturels, spirituels, des valeurs socioéconomiques et autres valeurs locales pertinentes.
Dans son rapport final, Le Comité examinera la relation entre les AMP et les AMCEZ au Canada.
Le Canada participe en tant que membre votant de l’UICN et des scientifiques canadiens ont participé à la création des normes et des lignes directrices des AMP et des AMCEZ. Le Comité estime que l’alignement continu du Canada sur le cadre des AMP de l’UICN se traduit par un apport significatif. Premièrement, l’interconnectivité de tous les océans du monde signifie que la protection de la santé des océans constitue une responsabilité internationale, et l’harmonisation formelle avec le cadre de l’UICN aidera le Canada à collaborer efficacement avec d’autres pays aux initiatives internationales de recherche, de suivi et d’évaluation. Deuxièmement, l’harmonisation avec le cadre de l’UICN signifie que les normes canadiennes seront comprises et jugées crédibles par la communauté internationale. Les recommandations du Comité porteront sur l’applicabilité du cadre de l’UICN aux AMP fédérales. Le Comité reconnaîtra également l’importance de la souplesse et de l’aspect pratique à répondre aux divers besoins des peuples autochtones et des intervenants partout au pays.
Aires protégées autochtones
Les AMP sont l’un des outils qui servent à la protection marine et la conservation. Les APA sont un autre outil émergent pour atteindre les objectifs de la protection et de l’amélioration de la biodiversité; si ces objectifs sont atteints et qu’elles sont conformes à la définition de l’UICN, les APA peuvent être acceptées comme des AMP. Même si l’objectif principal des AMP est de promouvoir la biodiversité, les services écosystémiques associés et les valeurs culturelles, les APA peuvent être créées pour appuyer un plus large éventail d’objectifs liés à l’autodétermination des peuples autochtones, la conservation, la préservation culturelle, le développement économique et la gestion des ressources. En d’autres mots, des APA pourraient devenir des AMP, mais pas toutes les APA deviendront des AMP.
Un nouveau modèle de leadership partagé dans l’Arctique (rédigé par la coprésidente du Comité, Mary Simon) décrit les principes fondamentaux qui sous-tendent le concept d’APA :
Le principe des aires protégées autochtones repose sur l’idée d’une zone protégée qui tient explicitement compte de la vision autochtone de ce qu’est un territoire fonctionnel et qui met en pratique cette vision. Ce genre de désignation permettrait de créer de nouveaux avantages distinctifs dans le Nord et de définir l’idée d’une économie de conservation.
Le Comité estime que les APA sont très prometteuses en tant qu’outils pour promouvoir la conservation et la protection de la biodiversité, parallèlement aux valeurs culturelles et socioéconomiques. Elles peuvent également servir à donner effet aux obligations juridiques et aux engagements politiques en faveur de la réconciliation entre la Couronne et les peuples autochtones, mais également en faveur de l’édification de la nation. Les APA offrent la possibilité de créer des avantages économiques, professionnels et éducatifs et de reconnaître les pouvoirs d’intendance et de gestion des peuples autochtones.
Ce que le Comité a entendu
Le Comité a beaucoup appris des peuples autochtones et de nombreuses personnes et organisations œuvrant dans l’aquaculture, la conservation de l’environnement, les industries extractives, la pêche commerciale et récréative, l’industrie du transport maritime, et le milieu universitaire. Il est évident que les personnes qui travaillent et vivent au sein des collectivités côtières ont très à cœur la vie de ces communautés, se soucient de la santé des océans et conservent des connaissances de plusieurs générations sur l’océan. Bien que le Comité ait entendu de nombreux points de vue différents lors de ses réunions à travers le pays, un certain nombre de thèmes récurrents en sont ressortis :
- Il existe une sérieuse préoccupation à propos de l’état des océans du monde et des trois océans du Canada en particulier. La productivité et la biodiversité de la vie en milieu marin, des coraux aux poissons en passant par les baleines, sont en baisse dans le monde entier. Les prévisions scientifiques à propos de l’avenir des écosystèmes océaniques donnent matière à réflexion. Le Comité retient que les océans du Canada sont précieux et que leurs ressources devraient être transmises aux générations futures.
- Il existe une sérieuse préoccupation quant au bien-être des collectivités tributaires des océans et des nombreux Canadiens qui ont un intérêt économique lié aux océans. Le processus actuel de développement des AMP peut donner lieu à des incertitudes et entraver la réalisation du potentiel économique des industries marines telles que l’exploitation du gaz naturel et du pétrole, et la pêche. Dans les provinces de l’Atlantique, les premiers ministres de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador font valoir cette cause de manière convaincante.
- Certaines préoccupations selon lesquelles les AMP et les AMCEZ au Canada ne sont pas aussi efficaces qu’elles pourraient l’être pour atteindre les objectifs de conservation prévus. De nombreux intervenants soulignent la nécessité de normes plus strictes et plus uniformes tant pour les AMP et que les AMCEZ, ainsi que de meilleurs investissements dans la gestion, la gérance et la surveillance. De nombreux intervenants s’inquiètent également que l’accent mis par le Canada sur l’atteinte d’objectifs numériques assortis de délais se traduise par des parcs qui n’existent que sur le papier, sans normes de conservation rigoureuses, et qui présentent un risque véritable de détournement des ressources qui devraient servir à l’établissement d’AMP et d’AMCEZ significatifs.
- Prise de conscience à propos des limites des AMP en tant qu’outils de gestion des océans. Plusieurs intervenants soulignent que, même si les mesures de protection par zone telles que les AMP sont importantes, elles ne se sont pas avérées des outils efficaces à certaines fins, comme la prévention de la pollution ou la gestion des stocks de poissons migrateurs. Certains font également mention que le changement climatique et l’acidification des océans modifient les habitats marins de manière imprévisible, ce qui exige un éventail élargi d’outils de gestion.
- Manque de transparence en ce qui concerne la relation entre les ministères et organismes fédéraux et les offices des hydrocarbures extracôtiers. À l’heure actuelle, il existe un risque de conflit entre les offices des hydrocarbures et les organismes fédéraux tels que le MPO au sujet de l’exploitation pétrolière et gazière dans les zones réservées en tant que AMP et qu’AMCEZ. Cela peut susciter des inquiétudes quant à l’impartialité et au traitement équitable dans différents secteurs économiques. Le Comité a été informé, par exemple, de cas dans lesquels la pêche commerciale avait accepté des fermetures afin de protéger un habitat essentiel dans des refuges marins pour se rendre compte que des permis d’extraction de pétrole avaient été délivrés pour les mêmes zones.
- Accord général sur l’intérêt d’appliquer les catégories de l’UICN au Canada. Les intervenants qui ont mentionné l’UICN ont trouvé que la certitude, la cohérence et la collaboration internationale rendues possibles par les directives de l’UICN étaient très utiles. Certains ont mis en garde contre l’utilisation de ces catégories comme « approche universelle » qui ne tient pas compte des droits, des circonstances et des aspirations particuliers des peuples autochtones, ainsi que des réalités des divers écosystèmes et collectivités du Canada.
- La nécessité de reconnaître les territoires, titres et droits autochtones. Dans de nombreuses régions du Canada, les traités, les ententes de règlement et les accords de cogestion définissent des processus et des structures de gouvernance particuliers qui guideront la création d’AMP. L’un des commentaires les plus récurrents que nous avons entendus est que, malgré l’existence d’ententes ou d’arrangements officiels, les peuples autochtones doivent être associés de manière significative dès le début de tout processus d’AMP. Cela comprend un engagement réel dans tous les aspects de la planification et de la conception, de la gestion et de la gouvernance des AMP.
- L’importance du savoir autochtone en matière de conversation marine. Le savoir autochtone offre des idées et des perspectives qui ne sont pas appréhendées par d’autres formes de science. L’approche à « regard des deux yeux »Note de bas de page 3 ou le concept de « l’espace éthique »Note de bas de page 4 offrent tous deux un moyen d’unir ces méthodes de savoir. Des perspectives complémentaires renforceront la planification et la conception, la gestion et la gouvernance des AMP.
- Fort soutien en faveur des APA. De nombreux intervenants préconisent que le Canada prenne des mesures pour mieux reconnaître et soutenir les APA. En même temps, ils soulignent constamment que les objectifs et la conception des APA doivent refléter la situation particulière des peuples autochtones et leurs divers rapports avec la Couronne.
Principes
Dans le contexte de ce que le Comité a entendu, ses recommandations s’appuieront sur les principes suivants :
Efficacité de la conservation et de la protection de la biodiversité
Les AMP ont comme principal objectif la protection de la biodiversité, des services écosystémiques, ainsi que des valeurs culturelles et communautaires qui s’y rattachent. La mesure dans laquelle les AMP peuvent être conçues pour atteindre cet objectif général, ainsi que leurs objectifs spécifiques de conservation, sera au cœur des recommandations du Comité.
Respect des droits autochtones
Les peuples autochtones sont titulaires de droits en matière de planification et de gestion de la conservation, et leurs pouvoirs ainsi que leur expertise sont essentiels à la conservation marine. Toutes les désignations d’AMP doivent respecter les droits ancestraux et droits issus des traités garantis par la Constitution. Le Comité étudiera les possibilités de renforcer les partenariats entre la Couronne et les peuples autochtones et de veiller à ce que le savoir autochtone soit pleinement intégré aux autres sciences dans le cadre de la planification, la conception, la gouvernance et la gestion des APA et des AMP.
Générer des avantages sociaux et économiques
Des AMP et APA bien gérées peuvent être des sources d’avantages économiques importants, tant directement par le biais d’emplois axés sur la conservation, du développement économique des collectivités et du renforcement des capacités, qu’indirectement, par l’amélioration de la productivité globale des écosystèmes marins qui soutiennent des ressources socialement et commercialement précieuses. Des processus de planification robustes permettent de regrouper tous les intérêts autour d’objectifs clairs, de résoudre les conflits découlant des différentes utilisations des ressources et de donner la confiance aux entreprises et aux investisseurs. Les recommandations du Comité ne manqueront pas de reconnaître que les AMP et les intérêts économiques et sociaux ne sont pas nécessairement antagonistes.
Clarté et transparence
Les objectifs, les règles, les processus de gestion, le suivi et les structures de gouvernance doivent être clairs et bien communiqués. Les processus auxquels participent les parties prenantes et les titulaires de droits devraient être accessibles à tous. Le Comité étudiera les possibilités de renforcer l’engagement et la confiance à l’égard des processus de planification et de gestion des AMP.
Souplesse pour tenir compte de diverses circonstances
Le Canada possède le plus long littoral au monde et ses trois océans ont des écosystèmes marins et côtiers très divers. À ce jour, les AMP du Canada ont été caractérisées par l’expérimentation et la diversité régionale, et une « approche universelle » ne saurait être possible. Chaque AMP ou APA sera adaptée aux besoins d’une région et d’une collectivité particulières et sa conception reflétera les savoirs, les besoins et les aspirations des collectivités côtières et des peuples autochtones. L’harmonisation du Comité avec le cadre de l’UICN se fera en tout en restant réceptifs aux différentes biorégions et cultures du Canada.
Importance de la qualité
Offrir une protection de la biodiversité digne de ce nom est plus important qu’atteindre des objectifs numériques. Les ressources doivent être ciblées sur des zones de grande valeur écologique. De même, les processus de planification et de gestion de la qualité qui permettent une véritable collaboration entre la Couronne et les peuples autochtones et qui mobilisent un engagement réel des parties prenantes ne sauraient être précipités. L’objectif du Comité consistera à veiller à ce que les investissements initiaux dans la planification et la conception d’AMP dignes de ce nom se traduisent ultimement par des résultats plus efficaces et durables.
Prochaines étapes
Les AMP ne constituent pas les seuls outils de gestion durable des océans. Les lois sur l’environnement, les règlements sur la gestion des ressources et d’autres outils de planification spatiale font tous partie de la trousse à outils de la gestion des océans du Canada. Les AMP visent spécifiquement à protéger les habitats, les caractéristiques et les fonctions écosystémiques importants. Le Comité axera ses recommandations pour faire en sorte que les AMP au Canada soient aussi efficaces que possible pour atteindre cet objectif.
L’UICN définit quatre normes générales comme base d’évaluation des éléments clés d’AMP efficaces:
- Une bonne gouvernance pour reconnaître et promouvoir les droits des peuples autochtones et des collectivités locales, assurer des mécanismes clairs de responsabilisation et de prise de décision, soutenir un engagement réel des parties prenantes et assurer une communication transparente et efficace;
- Une planification et une conception saines pour s’assurer que les AMP sont établies à la bonne échelle, aux bons endroits, pour les bonnes raisons et qu’elles aient des plans de gestion clairs, y compris des dispositions pour une adaptation au fil du temps;
- Une gestion efficace pour atteindre des objectifs de conservation bien conçus et bien définis tout en permettant des activités et des utilisations compatibles. Cela comprend des restrictions sur des activités potentiellement préjudiciables, telles que définies par l’application rigoureuse de la science, du savoir autochtone et du savoir local. Il est également important de renforcer les capacités en matière de gestion, de surveillance et de production de rapport efficaces.
- Des résultats de conservation qui démontrent une préservation à long terme réussie des richesses naturelles ainsi que des services écosystémiques et des valeurs culturelles qui s’y rattachent. Ces résultats seront déterminés en partie par la rigueur des mesures de protection.
Dans son rapport final, le Comité formulera une série de recommandations liées à ces normes, ce qui permettra d’appuyer la création d’AMP efficaces au Canada. Les recommandations du Comité viseront également à faire avancer le travail déjà en cours pour reconnaître les APA comme des composantes essentielles et bien intégrées de la protection des écosystèmes marins dans les océans du Canada.
Le Comité a trouvé impressionnante la qualité des perspectives émises par les intervenants. Les océans du Canada constituent une ressource précieuse et vitale et tous ceux qui sont intervenus devant le Comité ont été saisis par un besoin d’agir de manière décisive. Le rapport final du Comité respectera cet engagement pour la protection de l’avenir des océans du Canada.
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