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Centre d’expertise sur les mammifères marins, Rapport de recherche scientifique 2012-2014

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Centre d’expertise sur les mammifères marins, Rapport de recherche scientifique 2012-2014

Centre d’expertise sur les mammifères marins, Rapport de recherche scientifique 2012-2014 (PDF, 1.56 MB)

L’impact des changements climatiques sur la reproduction d’une espèce dépendante de la glace : le phoque du Groenland du Nord-Ouest de l’Atlantique

Garry Stenson

Les tendances populationnelles sont influencées par des modifications de la reproduction résultant d’une interaction complexe entre des facteurs intrinsèques liés aux changements dans la population (c.-à-d. dépendants de la densité) et des facteurs extrinsèques attribuables à la variabilité des conditions environnementales (c.-à-d. indépendants de la densité). Puisque les espèces font face à des conditions environnementales fluctuantes en raison des changements climatiques, il devient essentiel de comprendre l’influence de ces différents facteurs pour être en mesure de prévoir comment une espèce s’adaptera. Toutefois, il est difficile de déterminer l’importance relative de ces différents facteurs chez la plupart des espèces, car ils exigent des suivis approfondis et à long terme des taux de reproduction, de la taille de la population et d’une variété de facteurs environnementaux. Malgré ces défis, la compréhension des facteurs qui ont une incidence sur la reproduction est importante, car les conditions environnementales changent rapidement à travers le monde, et plus particulièrement dans les zones arctiques et subarctiques. Le changement le plus frappant est sans doute la diminution de l’étendue des glaces de mer. Comme la terre continue de se réchauffer, l’altération de la glace de mer se poursuivra, ce qui engendrera de graves répercussions sur un grand nombre d’espèces qui dépendent de la glace pour leur reproduction ou leur alimentation, pendant une partie ou la totalité de l’année.

Phoque du Groenland femelle nourrissant son petit, mars 2012. Photo : Garry Stenson

Phoque du Groenland femelle nourrissant son petit, mars 2012. Photo : Garry Stenson

Le phoque du Groenland (Pagophilus groenlandicus) est l’espèce de mammifères marins la plus abondante dans l’Atlantique Nord-Ouest. C’est une espèce qui dépend de la glace, les femelles mettant bas et allaitant leurs petits sur la banquise chaque printemps. Leurs déplacements annuels semblent suivre la formation et le recul de la banquise, et ces phoques sont souvent vus en train de s’alimenter le long du front de glace à longueur d’année. La population de l’Atlantique Nord-Ouest s’étend de l’est de l’Arctique canadien et de la baie de Baffin au Nord jusqu’au golfe du Saint-Laurent au Sud. Chaque printemps, les femelles mettent bas sur la banquise du golfe du Saint-Laurent ou des côtes sud du Labrador et nord-est de Terre-Neuve.

Malgré que les températures de l’eau aient varié par le passé, elles ont connu une tendance à la hausse au cours des quatre dernières décennies. Par conséquent, l’étendue et la couverture de la glace de mer ont diminué. Il a été démontré que de mauvaises conditions de glace ont des répercussions directes sur les phoques du Groenland en augmentant la mortalité des jeunes de l’année qui ont besoin de glaces stables pour être allaités, puis pour se reposer pendant leur jeûne post-sevrage. Si l’étendue ou l’épaisseur de la glace sont insuffisantes, les tempêtes hivernales peuvent la briser, forçant les jeunes phoques à entrer dans l’eau où ils risquent de se noyer.

Blanchons phoques du Groenland qui se sont noyés en raison de la fonte de la banquise sur laquelle ils sont nés. Photo : Garry Stenson

Blanchons phoques du Groenland qui se sont noyés en raison de la fonte de la banquise sur laquelle ils sont nés. Photo : Garry Stenson

Ces modifications de la qualité et de l’étendue de la glace peuvent aussi entraîner des changements écosystémiques qui peuvent avoir des répercussions indirectes sur les phoques du Groenland en influant sur la disponibilité des proies et, par conséquent, sur leur succès reproducteur.

Afin de déterminer si les changements environnementaux affectent le succès reproducteur des phoques du Groenland, les taux d’avortement et de grossesse des phoques du Groenland de l’Atlantique Nord-Ouest ont été estimés à partir de femelles abattues entre 1954 et 2014 au large de Terre-Neuve et du sud du Labrador. La plupart de ces échantillons ont été recueillis par les chasseurs qui participent à un programme scientifique conjoint avec la Section mammifères marins qui est en place depuis la fin des années 1970. Dans certaines zones, nous collaborons avec la troisième génération de chasseurs d’une même famille. Pendant l’hiver, les chasseurs abattent les phoques et les congèlent jusqu’à ce que le personnel du MPO puisse se rendre sur place pour effectuer des nécropsies. Les phoques sont alors décongelés et nous recueillons des mesures morphométriques et des échantillons biologiques pour déterminer le statut reproducteur, l’âge et les dernières proies consommées. Tous les chasseurs ont également été formés au prélèvement et à la conservation des échantillons s’ils chassent au printemps. Cette série de données à long terme nous permet d’étudier l’importance de divers facteurs influençant la reproduction des phoques du Groenland de l’Atlantique Nord-Ouest.

Figure 14. Proportion des femelles matures phoques du Groenland de l’Atlantique Nord-Ouest gravides (fécondité) pour la période de 1954 à 2014.

Figure 14. Proportion des femelles matures phoques du Groenland de l’Atlantique Nord-Ouest gravides (fécondité) pour la période de 1954 à 2014.

Figure 15. Résultats des modèles permettant d’estimer l’influence de facteurs biologiques et environnementaux sur les taux de gestation des phoques du Groenland matures (fécondité) dans l’Atlantique Nord-Ouest. Le meilleur modèle (rouge) intègre les changements de taille de la population de phoques du Groenland et les taux d’interruption de grossesse tardive.

Figure 15. Résultats des modèles permettant d’estimer l’influence de facteurs biologiques et environnementaux sur les taux de gestation des phoques du Groenland matures (fécondité) dans l’Atlantique Nord-Ouest. Le meilleur modèle (rouge) intègre les changements de taille de la population de phoques du Groenland et les taux d’interruption de grossesse tardive.

Tandis que la variabilité interannuelle a augmenté depuis le début des années 1980, les taux de gestation ont diminué (figure 14), pour atteindre un taux de gestation à terme de moins de 30 % en 2011 chez les femelles matures. En comparant les données sur la reproduction à divers facteurs environnementaux et biologiques, nous avons constaté que, bien que le déclin général de la fécondité est associé à l’augmentation de la taille de la population, l’inclusion des taux d’interruptions de grossesse tardives dans le modèle explique en grande partie la forte variabilité interannuelle (figure 15). Les fluctuations des taux d’avortement peuvent être décrites par un modèle qui intègre la couverture de glace à la fin janvier et la biomasse du capelan. Il est probable que la couverture de glace soit aussi un indicateur des effets des changements écosystémiques sur l’abondance ou la disponibilité des proies.

Il semble donc que les taux de reproduction des phoques du Groenland sont très sensibles à la variation interannuelle de l’environnement physique et biologique pendant les périodes de forte abondance des phoques. Bien que les conditions environnementales aient varié lorsque que la population était relativement faible dans les années 1970 et au début des années 1980, la fécondité était demeurée élevée.

Toutefois, à la fin des années 1980, les mauvaises conditions de glace et la faible abondance du capelan ont entraîné d’importants taux d’avortement et, par conséquent, un faible taux de fécondité.

Les modèles de changements climatiques prédisent que la tendance au réchauffement observée dans le golfe du Saint-Laurent et les eaux de Terre-Neuve se poursuivra et que la variabilité interannuelle des conditions environnementales deviendra plus importante. Si cela s’avère exact, les répercussions futures sur les phoques du Groenland seront imprévisibles, mais généralement négatives; le taux de mortalité des chiots sera probablement élevé et les taux de reproduction demeureront, en moyenne, relativement faibles et très variables. En raison de la grande variabilité des taux de gestation observée, il est essentiel de poursuivre nos efforts pour obtenir des estimations exactes afin de déterminer les réactions futures de la population de phoques du Groenland à un environnement changeant. Cette espèce étant un élément clé de l’écosystème de l’Atlantique Nord-Ouest, sa réponse aux changements environnementaux pourrait avoir d’importantes répercussions sur d’autres espèces telles ses proies ou compétiteurs.

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