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Centre d’expertise sur les mammifères marins, Rapport de recherche scientifique 2012-2014

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Centre d’expertise sur les mammifères marins, Rapport de recherche scientifique 2012-2014

Centre d’expertise sur les mammifères marins, Rapport de recherche scientifique 2012-2014 (PDF, 1.56 MB)

Bélugas et phoques annelés : Bioindicateurs de changements écosystémiques dans la mer de Beaufort

Un chasseur appréciant du muktuk fraîchement cuit au camp de chasse à la baleine de l’île Baby du delta du Mackenzie (T.N.-O.) (photo : DFO).

Un chasseur appréciant du muktuk fraîchement cuit au camp de chasse à la baleine de l’île Baby du delta du Mackenzie (T.N.-O.) (photo : DFO).

Lois Harwood

En tant que prédateurs océaniques longévifs et exploitant un vaste habitat, les mammifères marins peuvent servir d’indicateurs de l’état de l’écosystème nous renseignant sur les modifications de la structure du réseau trophique et de la structure de l’écosystème. Ils sont souvent les premiers à répondre aux fluctuations de l’écosystème par des changements de leur état corporel associés aux variations interannuelles de la disponibilité et de la qualité de leurs proies. Les changements de condition corporelle des mammifères marins peuvent éventuellement avoir un impact sur la reproduction, les taux de croissance et la survie des individus, ainsi que sur la dynamique des populations.

Bélugas

Le stock de bélugas de la mer de Beaufort passe l’hiver dans la mer de Béring et, chaque printemps, il migre le long de la côte nord de l’Alaska pour rejoindre les aires d’estivage dans l’estuaire du Mackenzie ainsi que dans la région extracôtière de la mer de Beaufort et du golfe d’Amundsen. Ce stock est partagé avec l’Alaska et la Russie, et est le deuxième en importance au Canada. Lorsqu’évalué pour la dernière fois par le MPO, il a été considéré comme étant stable ou en augmentation.

Les bélugas se regroupent dans les eaux chaudes et peu profondes de l’estuaire du fleuve Mackenzie durant l’été, période au cours de laquelle ils font l’objet d’une chasse de subsistance durable par les Inuvialuits de l’ouest de l’Arctique canadien. Les bélugas chassés aux fins de subsistance sont mesurés et échantillonnés depuis 1980. Les objectifs de notre étude, basée sur les données de sexe, de taille, d’âge et d’épaisseur du lard des bélugas abattus lors de la chasse, sont d’examiner les taux de croissance et l’épaisseur du lard des bélugas afin d’identifier les tendances temporelles qui pourraient éventuellement être liées aux changements environnementaux.

Nos analyses ont révélé qu’il y a eu un déclin léger (0,08 % par an), mais soutenu des taux de croissance des bélugas, soit 1,75 % pendant toute la durée de la série chronologique de 1988 à 2008. En outre, parmi les plus de 300 mâles bélugas abattus entre 2000 et 2007, une variation interannuelle significative de l’épaisseur du lard a été observée; les bélugas ayant été les plus minces en 2005. Cela pourrait, combiné aux modifications subtiles de la croissance des bélugas au cours de la série chronologique, refléter des changements écosystémiques qui ont une incidence négative sur la disponibilité, la quantité, la qualité, ou la répartition de leurs proies.

Phoques annelés

Phoque annelé (photo: DFO)

Phoque annelé (photo: DFO)

Nous avons également obtenu des mesures et des échantillons de phoques annelés capturés durant les chasses de subsistance près de Ulukhaktok (T.N.-O.), anciennement connu sous le nom de Holman. Nous avons travaillé à cet endroit avec notre surveillant de phoques, John Alikamik, et sa famille, depuis le début de l’étude. La chasse au phoque dans cette zone est la plus importante et la plus prévisible de l’ouest de l’Arctique canadien; elle représente le meilleur moyen de s’assurer d’obtenir des tailles d’échantillons adéquates à long terme. Nous avons examiné la relation entre la condition corporelle, la reproduction (le taux d’ovulation, le pourcentage des femelles récoltées étant gestantes) et les glaces de mer au cours d’une série chronologique de 1992 à aujourd’hui, en nous appuyant sur les travaux entrepris dans cette zone dans les années 1970 grâce à des collaborations semblables entre les chasseurs et les chercheurs du MPO. Un échantillon d’environ 100 phoques abattus à des fins de subsistance a été obtenu annuellement entre 1992 et 2011, à partir du camp de chasse traditionnel de la famille situé sur la côte nord-ouest de l’ouest de la baie Prince Albert, à 5 km de l’est du golfe d’Amundsen. Les résultats des vingt dernières années d’échantillonnage ont permis de faire deux constatations. La première est que depuis 1994, la condition corporelle des phoques annelés mâles adultes, femelles adultes et subadultes diminue significativement au cours du temps (selon un indice de la longueur, de la masse et de la profondeur de la graisse des adultes).

La deuxième constatation, parrallèlement à la première, est qu’il y a une corrélation négative entre la condition corporelle des phoques et le moment de la fonte de la banquise côtière au printemps, ce qui est évident les années où l’anomalie de l’état des glaces est extrême. L’incapacité d’ovulation était remarquable en 2005, année de notre série où le retrait des glaces a été le plus tardif et au cours de laquelle seulement 30 % des femelles adultes matures échantillonnées avaient ovulé. Cela correspondait également à une année pour laquelle les indices de condition corporelle des phoques et le taux de femelles gestantes prélevées étaient parmi les plus faibles, et où le dégagement printanier des glaces dans le golfe d’Amundsen a eu lieu plus de cinq semaines plus tard que la moyenne de 1992 à 2011. Tandis que, selon cette étude et des études précédentes, la population de phoques de cet habitat essentiel semble se rétablir des fluctuations naturelles et des conditions extrêmes depuis 40 ans, l’éventuel effet amplifié de plusieurs années consécutives de conditions de glace extrêmes, couplé au déclin temporel de la condition corporelle des phoques, est particulièrement préoccupant.

Indications de changement écosystémique

Les déclins simultanés de la croissance, de l’état de santé et/ou de la reproduction des phoques annelés et des bélugas suggèrent que des changements se produisent dans l’écosystème marin de l’Arctique. Cette hypothèse est également appuyée par les observations publiées et anecdotiques réalisées sur d’autres espèces (études et observations parallèles sur le guillemot à miroir, l’ours polaire, l’omble chevalier et la baleine boréale disponibles) qui témoignent de modifications environnementales liées à des changements de diète ou de la distribution des proies. Les bélugas et les phoques annelés constituent d’excellents indicateurs pour mesurer les changements environnementaux. Les changements concomitants observés chez les bélugas et les phoques, fondés sur un échantillonnage constant et robuste pendant 20 ans, sont particulièrement instructifs, car ils semblent indiquer que des changements climatiques et océanographiques subtils se produisent aux niveaux inférieurs de la pyramide trophique. Cela pourrait avoir des répercussions profondes et en cascade sur les écosystèmes qu’il serait difficile, voire impossible, d’étudier par d’autres méthodes.

Poursuite de la recherche

Pour approfondir notre compréhension des changements écosystémiques, il est important de poursuivre, parallèlement à l’étude d’autres espèces, le suivi de la croissance des bélugas et de la condition corporelle des phoques annelés au moyen d’un échantillonnage normalisé et à long terme des spécimens chassés à des fins de subsistance. Ce suivi, combiné avec des études directes (contenus stomacaux) et indirects (isotopes et acides gras) du régime alimentaire et une étude détaillée des déplacements et des aires de répartition saisonnières au moyen de la télémétrie, permettra de parfaire notre compréhension des éventuels changements de proies et des habitats essentiels utilisés par ces mammifères marins. Éventuellement, ces études seront mises en parallèle avec les données biophysiques et océanographiques selon différentes échelles spatiales et temporelles ainsi que par emplacements géographiques pertinents pour le domaine vital, avec les habitats essentiels et avec les proies des mammifères marins.

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