Revue de la littérature scientifique concernant les effets environnementaux potentiels de l'aquaculture sur les écosystèmes aquatiques - Volume 5
Table des matières
- Texte Complet
- Avant-Propos
- Interactions comportementales entre le saumon d'élevage et le saumon sauvage – effetc possibles sur les populations sauvages (Laura K. Weir and Ian A. Fleming)
- Un aperçu général des impacts écologiques d'aquaculture d'eau douce en Canada (C.L. Podemski and P.J. Blanchfield)
- Examen scientifique de l'élevage de bivalves : interaction entre les espèces d'élevage et les espèces sauvages. (T. Landry, M. Skinner, A. LeBlanc, D. Bourque, C. McKindsey, R. Tremblay, P. Archambault, L. Comeau, S. Courtenay, F. Hartog, M. Ouellette and J.M Sevigny)
Un aperçu général des impacts écologiques d'aquaculture d'eau douce en Canada
C.L. Podemski
Sciences de l'environnement, Pêches et Océans Canada, Institut des eaux douces, Winnipeg (Manitoba)
P.J. Blanchfield
Sciences de l'environnement, Pêches et Océans Canada, Institut des eaux douces, Winnipeg (Manitoba)
Sommaire
À l'échelon mondial, l'aquaculture a été liée à diverses incidences environnementales, notamment l'enrichissement en matières nutritives, la perturbation d'habitats et des dommages aux populations de poissons sauvages (Gross, 1998). Le développement écologiquement durable de l'industrie en eau douce exige des connaissances scientifiques solides des incidences potentielles sur ce milieu. Nous faisons dans le présent document un bilan de l'état actuel des connaissances scientifiques sur les incidences environnementales de l'aquaculture d'eau douce au Canada et nous identifions également des sujets de recherche futurs. L'utilisation et les incidences environnementales potentielles d'agents chimiothérapeutiques débordent cependant le cadre de ce bilan et n'y sont donc pas inclus. Nous y incluons les études étrangères pertinentes aux pratiques aquacoles canadiennes car la littérature scientifique traitant expressément de l'aquaculture d'eau douce au Canada est extrêmement rare. D'importants changements ont été apportés aux méthodes d'élevage, ce qui fait que les vieilles publications ne s'appliquent pas à ce qui se passe aujourd'hui. Dans toute la mesure du possible, nous avons limité notre examen aux documents scientifiques évalués par les pairs publiés au cours de la dernière décennie.
Les incidences de l'aquaculture sont complexes. Elles résultent de la production et du rejet de débris organiques, ainsi que des interactions entre les espèces d'élevage et les espèces sauvages. La masse des débris est constituée de déchets métaboliques des poissons et d'aliments non mangés. La taille du poisson, la température de l'eau et les pratiques d'élevage (composition des aliments, ration alimentaire et méthodes de nourrissage) comptent parmi les facteurs qui agissent sur la production de débris organiques. La plus grave inquiétude que posent ces débris au plan de l'environnement, c'est qu'ils déclenchent des poussées planctoniques locales et des conditions hypoxiques dans l'eau et les sédiments sous les cages. La compétition pour des ressources limitées et la prédation exercées par les évadés nuisent en particulier aux poissons dulcicoles indigènes.
Les déchets solides sont constitués principalement de matières fécales, les résidus d'aliments n'en constituant qu'une faible partie (Ackefors et Enell, 1990). La production de matières fécales, qui est difficile à estimer précisément, varie entre 15 à 30 % du volume d'aliments offert (Costello et al., 1996; Cho et Bureau, 2001; Bureau et al., 2003). Selon des estimations, le volume de résidus d'aliments, qui est rarement signalé, constitue entre 3 à 40 % du volume d'aliments offert (Weston et al., 1996), alors que des rapports anecdotiques et des valeurs modélisées suggèrent que le volume de résidus d'aliments issus des fermes canadiennes se chiffre actuellement à environ 5 % du volume offert. Il existe des lacunes dans les données sur les résidus d'aliments. Les déchets solides sédimentent au fond des lacs; le biote les consomme (Johansson et al., 1998) ou ils se décomposent. La plus forte accumulation se produit directement sous les cages (Enell et Lof, 1983a), ce qui donne à penser que les effets directs sur les sédiments peuvent être limités au plan géographique. Les sédiments sous les cages subissent généralement un enrichissement en phosphore, en azote, en carbone organique et en zinc (Cornel et Whoriskey, 1993; Kelly, 1993; MacIsaac et Stockner, 1995; Troell et Berg, 1997). Bien que de nombreuses études sur les effets benthiques de la mariculture aient été publiées, peu de publications récentes documentent les effets benthiques de l'aquaculture d'eau douce. Peu d'études canadiennes sur le sujet évaluées par les pairs ont été publiées pendant la dernière décennie. Les effets des déchets de piscicultures peuvent être semblables à ceux résultant d'autres formes d'enrichissement organique, notamment une diversité réduite des espèces, une abondance accrue d'organismes résistants à la sédimentation et à une faible teneur en oxygène et une plus forte dominance de ceux-ci (Hynes, 1963; Johnson et al., 1993). En général, les effets sur les sédiments et la communauté benthique sont limités aux aires situées directement sous les cages et à proximité. Aucune étude n'a été publiée sur le rétablissement des sédiments et la reconstitution du biote des sédiments à d'anciens sites piscicoles au Canada. Plus de trois ans après l'arrêt des activités aquacoles dans des lacs d'eau douce de l'Écosse, d'importantes perturbations des communautés benthiques présentes sous les cages étaient encore apparentes (Doughty et McPhail, 1995). Les systèmes lotiques se rétablissent généralement plus vite que les systèmes lentiques en raison de la dispersion plus rapide des déchets par les courants et la reconstitution relativement rapide de la faune invertébrée (Doughty et McPhail, 1995).
Du carbone dissous, de l'azote et du phosphore sont relâchés dans la colonne d'eau par suite de leur solubilisation des aliments et des matières fécales et de l'excrétion par les poissons des produits de la respiration et d'urine (Bureau et Cho, 1999). Pour chaque tonne métrique de poissons produite, environ 3 à 10 kg de phosphore et de 39 à 55 kg d'azote sont libérés dans le milieu (Ackefors et Enell, 1994; Cho et al., 1994; Bureau et al., 2003). La plus grande partie du phosphore des déchets aquacoles se perd dans les sédiments sous forme de solides (Enell et Ackefors, 1991; Phillips et al., 1993). Les déchets azotés, en particulier l'ammoniac et l'urée, constituent la plus grande partie de la fraction des déchets dissous. En général, les augmentations décelables des teneurs en ammonium ou en ammoniac dans la colonne d'eau se produisent à proximité des cages (NCC, 1990) et dans le milieu récepteur en aval des installations terrestres (Selong et Helfrich, 1998). Aucun rapport de teneurs supérieures à celles prescrites dans les lignes directrices relatives à la qualité des eaux au niveau local ou de teneurs résultant en des eaux toxiques n'a été publié, alors que les teneurs en aval d'installations terrestres reviennent à leur niveau naturel à une distance de 400 m à 12 km des cages (Selong et Helfrich, 1998). Les élevages en cages situés dans des bassins peu profonds ou des bassins à faible action de chasse d'eau ont souvent signalé une augmentation décelable des teneurs en phosphore total, alors que les fermes situées en eau profonde où l'action de chasse d'eau est adéquate rapportent généralement qu'aucun changement décelable n'a été noté. Plusieurs études font état de teneurs élevées en phosphate dans le milieu récepteur d'effluents de fermes terrestres (Munro et al., 1985; Trojanowski, 1990). La décomposition des dépôts de déchets solides résulte en la libération de P labile dans la colonne d'eau (Kelly, 1992; Kelly, 1993). Durant les périodes de stratification, le phosphore libéré des sédiments dans des eaux hypolimniques ne sera pas disponible pour la production primaire. Peu de recherches ont été menées sur le cycle du P entre les dépôts de déchets aquacoles et la colonne d'eau, et la proportion de ce P qui sera éventuellement disponible pour la production primaire est inconnue. Ces connaissances seraient d'une grande aide dans la gestion durable de l'industrie.
La décomposition des déchets peut résulter en de faibles teneurs en oxygène dissous (hypoxie) dans les sédiments et la colonne d'eau (Axler et al., 1998), mais cet effet a rarement été signalé. La respiration des poissons d'élevage peut donner lieu à une réduction locale de la teneur en oxygène dissous. Les rapports d'une baisse de la teneur en oxygène dissous à proximité des cages varient, mais, dans l'ensemble, les sites connaissant un échange d'eau adéquat affichent une baisse de faible ampleur et de courte durée (Weston et al., 1996; Demir et al., 2001; Veenstra et al., 2003). Dans la dernière décennie, une seule étude primaire fait état de données limitées sur des profils d'oxygène dissous à des fermes canadiennes d'élevage de poissons en cages (Hamblin et Gale, 2002); il est impératif que de telles données soient recueillies et rassemblées. La demande biologique et chimique en oxygène dissous des déchets issus d'installations aquacoles terrestres peut mener à une réduction des teneurs en oxygène dissous dans les milieux lotiques sur de courtes distances en aval, mais aucune donnée récente n'a été recueillie au Canada.
L'azote, le phosphore et le carbone organique provenant des déchets métaboliques dissous et du lessivage des matières fécales et des résidus d'aliments peuvent mener à la stimulation des populations bactériennes pélagiques. La seule étude des effets sur les communautés microbiennes pélagiques fait état d'aucune augmentation de l'abondance des bactéries à proximité de cages en Colombie-Britannique, mais d'une production significativement plus élevée (MacIsaac et Stockner, 1995). Une stimulation de l'activité microbienne a été observée dans un milieu lotique récepteur d'effluents aquacoles. Par exemple, dans une rivière de la Nouvelle-Angleterre, l'abondance des bactéries et l'activité hétérotrophe dans les eaux et les sédiments en aval des points de rejet d'effluents aquacoles étaient nettement plus élevées en comparaison des sites témoins (Carr et Goulder, 1990a).
Jusqu'ici, les études de lacs canadiens n'ont pas révélé de différences dans les concentrations de chlorophylle a entre les sites témoins et les sites aquacoles (Cornel et Whoriskey, 1993); seuls des effets localisés sur les algues périphytiques ont été signalés (MacIsaac et Stockner, 1995). En plus de stimuler la production de populations bactériennes, les substances nutritives issues d'installations aquacoles peuvent entraîner un accroissement de la production primaire (Kelly, 1993). En Finlande, les effluents aquacoles déversés dans un lac ont donné lieu à une forte augmentation de la concentration de chlorophylle a et de la production primaire, ainsi qu'à des changements dans la composition des espèces de phytoplancton (Eloranta et Palomaki, 1986). Dans les rivières, les effluents des installations terrestres peuvent stimuler la production primaire (Carr et Goulder, 1990b). Par exemple, Munro et al. (1985) font état d'une importante augmentation de la biomasse d'algues épilithiques et de la concentration de chlorophylle a, ainsi que de changements dans la composition des espèces d'algues en aval des écloseries dans plusieurs cours d'eau de la Colombie-Britannique.
Aucune étude n'a été publiée sur les effets de l'élevage de poissons dulcicoles en cages sur les communautés de poissons indigènes au Canada. Les incidences potentielles des activités d'élevage en cages sur les communautés de poissons indigènes incluent des perturbations trophiques et des interactions entre ceux-ci et les poissons d'élevage. Au Canada, l'aquaculture d'eau douce en cages est généralement pratiquée dans des systèmes oligotrophes. L'enrichissement de ces systèmes en matières nutritives peut mener à une plus forte croissance des poissons indigènes et des poissons d'élevage qui s'y trouvent (Stockner et MacIsaac, 1996). D'autres changements trophiques peuvent se produire chez les communautés de poisons indigènes par suite de la consommation de déchets d'aliments et de matières fécales. La consommation de déchets par le biote peut réduire les effets localisés de leur accumulation sous les enclos, mais personne n'a quantifié ce processus dans les écosystèmes canadiens.
Il est inévitable qu'un faible nombre des poissons élevés en cages s'évadent, même en l'absence d'une défaillance totale de l'enceinte de confinement. Les dommages causés par une tempête ou l'impact d'un bateau, les attaques de prédateurs, le vandalisme et les pertes accidentelles reliées à la manipulation des poissons s'inscrivent parmi les causes d'évasion. Aucune estimation du nombre de poissons dulcicoles qui se sont évadés de leurs cages au Canada n'a été publiée. Selon des études menées à l'étranger, les évadés représentent de 3 à 5 % environ de la production totale en cages dans un plan d'eau douce donné (Phillips et al., 1985b). La prédation et la compétition pour des ressources limitées sont les principaux processus par lesquels les évadés peuvent transformer la communauté de poissons indigènes. L'introduction d'une nouvelle espèce dans un écosystème, ou une plus forte abondance d'individus d'une espèce déjà présente, donne lieu à une certaine redistribution des ressources dans la communauté ichtyenne. Les caractéristiques qui favorisent certaines espèces pour l'aquaculture sont les mêmes que celles qui peuvent leur permettre de prospérer lorsque introduites dans un plan d'eau d'où elles étaient absentes (c'est-à-dire que ce sont des espèces généralistes montrant une grande tolérance au milieu). Aucune étude n'a toutefois été publiée sur la survie des évadés dans les écosystèmes d'eau douce de l'Amérique du Nord.
Les interactions interspécifiques, en particulier celles résultant de l'établissement d'espèces introduites qui deviennent autonomes ou de la modification d'un fonds génétique indigène, sont des incidences potentiellement nuisibles de l'aquaculture. L'évasion de salmonidés d'élevage n'équivaut pas forcément à l'introduction intentionnelle de la même espèce à des fins de gestion. Les agences responsables de programmes d'empoissonnement peuvent avoir des critères de sélection différents et par conséquent préférer des stocks de géniteurs différents de ceux choisis pour l'élevage. Les traits sélectionnés pour les programmes d'aquaculture diffèrent significativement de ceux requis pour la survie dans le milieu sauvage (Bridger et Garber, 2002) et la disparité de comportement entre les sujets indigènes et les sujets domestiqués augmente en fonction de la période de captivité. Les interactions entre les évadés et les sujets sauvages peuvent être très différentes des interactions entre les poissons indigènes et les poissons ensemencés qui, après s'être évadés, ont établi des populations autonomes, selon le niveau de sélection qui s'est produit chez le stock de géniteurs. L'ampleur de tout effet permanent d'évadés d'une espèce donnée dépend du succès de leur accouplement dans le milieu sauvage avec des individus d'élevage, d'écloserie ou indigènes de la même espèce ou de l'hybridation avec des espèces étroitement apparentées. Le croisement de sujets d'élevage et de sujets sauvages ou de sujets d'élevage et de sujets ensemencés naturalisés peut produire chez ces populations des changements génétiques nuisibles à long terme (McGinnity et al., 1997; Fleming et al., 2000).
Lacunes dans les connaissances et priorités de la recherche
Les incidences environnementales de la mariculture sont assez bien documentées. Par contre, peu de recherches sur les incidences environnementales de l'aquaculture d'eau douce sur les écosystèmes ont été menées au Canada, et encore moins ailleurs. Des recherches doivent être menées sur les sujets suivants.
- Il faut connaître les facteurs qui déterminent la quantité de déchets qui s'accumulent sur le fond ou le devenir des dépôts de fond dans les écosystèmes d'eau douce. En appui de ces recherches, il faut recueillir de l'information sur les volumes courants de déchets d'aliments et les indices de consommation à des installations d'élevage commercial de poissons dulcicoles au Canada.
- Il faut déterminer les effets des activités aquacoles en eau douce sur les habitats et les communautés benthiques. Il faut également mener des recherches pour dégager la relation entre le volume des dépôts de déchets et la gravité des effets sur les communautés benthiques.
- Il faut mener des recherches sur le rétablissement des sédiments et la reconstitution du biote des sédiments après l'arrêt des activités de pisciculture en eau douce.
- Il faut mener des recherches dans le but de comprendre le cycle du phosphore, de l'azote et du carbone issus d'installations aquacoles en eau douce afin de pouvoir établir les conséquences écologiques de ces apports.
- Il faut connaître les effets des déchets de l'aquaculture sur la composition des espèces, ainsi que sur la biomasse et la productivité des producteurs primaires, des communautés microbiennes, du zooplancton et des populations de poissons indigènes.
- Il faut déterminer le rôle des poissons indigènes (et des évadés) dans l'exportation et la dispersion du phosphore par suite de la consommation de déchets d'aliments et de matières fécales. Cette information ajoutera à la capacité d'estimer la proportion de phosphore des déchets remis en circulation et agissant sur la production primaire.
- Il faut connaître les effets de tous les stades du cycle de vie des évadés sur les écosystèmes aquatiques du Canada. À cette fin, il faut documenter précisément le nombre d'évadés qui s'introduisent dans les systèmes d'eau douce et déterminer l'ampleur et le résultat des interactions écologiques et génétiques entre les poissons sauvages, les poissons ensemencés et les poissons d'élevage.
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