Le Cadre stratégique et opérationnel pour la gestion intégrée des environnements estuariens, côtiers et marins au Canada
Table des matières
- Texte Complet
- Résumé
- 1.0 Introduction
- 2.0 Une politique canadienne de gestion intégrée
- 2.1 Contexte législatif
- 2.2 Le concept
- 2.3 Les principes
- 3.0 Cadre opérationnel pour la gestion intégrée
- 4.0 Conclusion
- Annexe 1 : La Loi sur les océans : un cadre législatif pour la gestion intégrée
- Annexe 2 : Glossaire
2.0 Une politique canadienne de gestion intégrée
L’intégration d’une approche de gestion des océans implique la prise en compte de l’impact potentiel d’une multitude d’activités sur le plan écosystémique. Les écosystèmes occupent un espace géographique, mais leurs frontières sont ouvertes et peuvent se déplacer avec le temps, se resserrant ou s’élargissant en réaction à des influences telles que l’invasion d’organismes venant d’autres écosystèmes, les changements climatiques mondiaux, qu’ils se situent à l’échelle du bassin océanique ou à l’échelle locale et, de façon de plus en plus répandue, l’impact humain. Tous les écosystèmes sont reliés à d’autres et s’y intègrent. Des écosystèmes locaux, comme les estuaires et les baies, sont des sous-ensembles d’écosystèmes plus grands et, en tant que tels, sont interdépendants. Des changements irréversibles dans les grands systèmes peuvent en contrepartie être déclenchés par des changements locaux.
Tout au long de l’histoire, les eaux marines et côtières ont supporté deux activités importantes : la pêche et le transport. Celles-ci sont toujours aussi vitales mais d’autres activités économiques et sociales y prennent de plus en plus d’importance, au Canada et dans d’autres parties du monde. Par exemple, l’aquaculture est une source de plus en plus importante de nourriture, du fait surtout que les stocks de poissons sauvages sont en baisse. De même, au large des côtes canadiennes, la prospection et le développement pétrolier et gazier sont une industrie en pleine croissance dans un certain nombre de régions. Pendant ce temps, les océans fournissent des possibilités d’activités récréatives et contribuent à faire du Canada l’une des principales destinations touristiques du monde. Toutes ces utilisations des océans contribuent substantiellement à assurer la prospérité de l’économie nationale et le gagne-pain de citoyens canadiens.
Au siècle dernier, les organismes responsables de la gestion des activités marines se préoccupaient généralement de la gestion d’une espèce ou d’une activité unique. Cette approche a favorisé une alternance de forte expansion et de récession qui a souvent eu pour conséquence d’épuiser des ressources précieuses et d’hypothéquer les options et les bénéfices futurs reliés à l’utilisation de ces ressources. Trop souvent, l’utilisation des ressources et les mesures de développement ont été gérées séparément, sans examen préalable complet des incidences à long terme, directes et indirectes, sur les plans social, économique et environnemental.
Les activités maritimes et terrestres ont une incidence sur nos océans et nos eaux côtières. La pêche intensive risque d’épuiser les stocks de poissons, ce qui affecterait non seulement l’industrie elle-même mais aussi les habitats et les écosystèmes dont ils dépendent. Le transport maritime peut perturber les aires de reproduction et d’alimentation, ainsi que la voie migratoire des mammifères marins. La pollution d’origine terrestre sous la forme d’effluents industriels, de ruissellement agricole et d’eaux usées, risque d’imposer des contraintes à l’écosystème des eaux où elle se déverse et d’avoir des incidences sur la santé humaine. De la même façon, le développement de la côte risque de modifier la nature du littoral — et ses processus naturels — et de compromettre le tourisme et la biologie de la zone.
Au 21e siècle, le défi de la gouvernance des océans est tout aussi ambitieux, car il doit instaurer des structures décisionnelles qui prennent en compte la conservation et la protection des écosystèmes, tout en fournissant, en même temps, des possibilités de création de richesses dans les économies et les communautés maritimes. C’est là le fondement de l’approche intégrée.
La Loi sur les océans est une solution originale au défi de la gouvernance des océans du fait de son engagement à appliquer trois principes importants au cœur de la Stratégie sur les océans du Canada que les États côtiers du monde entier tentent de mettre en œuvre :
- le développement durable des ressources marines;
- l’intégration de l’approche de précaution à toutes les opérations; et
- la gestion intégrée des ressources et des activités marines.
La gestion intégrée concilie les considérations environnementales, économiques et sociales en planifiant l’utilisation durable. Elle offre de nombreux avantages :
- Des cadres de gestion cordonnée des océans qui reposent sur un dialogue transparent et ouvert, de même que sur la souplesse, l’ouverture et la diversité, compte tenu de la gamme étendue de participants.
- Des processus de planification intégrée qui reposent sur les connaissances scientifiques et traditionnelles, sur un débat public enthousiaste, sur le suivi, l’évaluation et l’établissement de rapports.
- De nouvelles technologies et une compréhension des connaissances écologiques traditionnelles qui sont incorporées à cette approche.
- De nouveaux ensembles de données et de nouveaux types de relations qui favoriseront la génération de richesses et qui contribueront au règlement des différends.
- Des économies réalisées en raison de l’élargissement de la base cognitive, par la création de réseaux efficaces et la réduction des délais réglementaires.
La gestion intégrée appuiera le développement économique équilibré et diversifié de nos océans et de nos eaux côtières en protégeant leur santé, en préservant leur biodiversité et en maintenant leur productivité. Elle permettra également la concrétisation de ces richesses et de ces bénéfices par le biais de processus ouverts, aptes à instaurer la confiance et la crédibilité parmi les gouvernements, les organisations Autochtones, les communautés côtières et autres intervenants du domaine maritime. Ces processus auront pour effet d’équilibrer la protection des écosystèmes marins et le potentiel de développement économique par la gestion de l’incertitude et par un degré approprié de gestion du risque incluant des mesures de précaution. Ils serviront aussi à établir des seuils d’action prédéterminés, à promouvoir des investissements dans l’acquisition du savoir et à garantir les engagements pour la protection des zones d’importance vitale.
2.1 Contexte législatif
Le Canada est devenu un chef de file mondial en adoptant sa Loi sur les océans en 1997. Il s’est engagé légalement à adopter une approche globale de la protection et du développement de ses eaux marines et côtières.
En vertu du droit international, le Canada jouit de droits souverains sur ses eaux et, en contrepartie, il est responsable envers la communauté internationale de la saine gouvernance ainsi que de la protection et de la conservation du milieu marin. La Loi sur les océans définit le fondement juridique et politique de la planification et de la prise de décisions relatives à nos océans et à nos eaux côtières et reconnaît que nos trois océans font partie du patrimoine commun à tous les Canadiens. Elle engage le Canada à promouvoir la compréhension des océans, des processus océaniques, des écosystèmes marins et des ressources marines, ainsi qu’à favoriser le développement durable des océans et de leurs ressources. Elle affirme également que la conservation basée sur une approche écosystémique est d’une importance fondamentale pour la préservation de la diversité et de la productivité biologiques du milieu marin.
Pour renforcer cette approche, la Loi prévoit l’application à grande échelle de l’approche de précaution pour la conservation, la gestion et l’exploitation des ressources marines. Elle reconnaît également le potentiel considérable des océans et de leurs ressources pour la diversification et la génération des richesses dont profiteront tous les Canadiens, et en particulier les communautés côtières.
Pour respecter ces engagements, la Loi demande au ministre des Pêches et des Océans «… de diriger et de favoriser l’élaboration et la mise en œuvre de plans pour la gestion intégrée de toutes les activités ou mesures qui s’exercent ou qui ont un effet dans les estuaires et les eaux côtières et marines faisant partie du Canada ou sur lesquelles le droit international reconnaît à celui-ci des droits souverains. » (Annexe 1)
La Loi stipule également que, dans le cadre de la mise en œuvre de ces plans de gestion intégrée, le ministre des Pêches et des Océans :
- élabore et met en œuvre des politiques et des programmes spécifiques qui relèvent de sa responsabilité;
- coordonne les politiques et programmes relatifs aux océans relevant d’autres ministères, conseils et ou organismes du gouvernement du Canada;
- peut constituer des organismes de consultation ou de gestion (ou reconnaître des organismes existants);
- peut établir des directives, des objectifs, des critères, et des normes de qualité du milieu marin; et
- dirige et coordonne l’élaboration et la mise en œuvre d’un système national de zones de protection marines au nom du gouvernement du Canada.
La Loi sur les océans reconnaît que la gestion intégrée peut accroître l’efficacité d’initiatives de conservation et de protection marines telles que les zones de protection marines. Elle reconnaît également que la gestion intégrée permet de mettre en œuvre des mesures de contrôle de la santé des écosystèmes marins telles que l’application de normes relatives à la qualité du milieu marin.
Les mandats de plus de 23 ministères fédéraux ont des incidences sur les décisions et les politiques maritimes. La compétence provinciale et/ou territoriale et le règlement des revendications territoriales dans les régions situées à proximité des côtes reposent non seulement sur une étroite collaboration entre tous les niveaux de gouvernement mais aussi sur un engagement à adopter une méthode de gestion et un objectif communs. Dans tous les cas, Pêches et Océans Canada doit consulter, coopérer et collaborer avec les autres autorités fédérales, provinciales et territoriales, les autorités Autochtones affectées, les communautés côtières et autres qui sont directement touchées par les plans de gestion intégrée.
De par ses responsabilités et son expertise, Pêches et Océans Canada contribue au processus de gestion intégrée. En plus d’assumer son rôle d’administrateur des océans, Pêches et Océans Canada continue d’être responsable de la gestion éclairée des ressources halieutiques et de leurs habitats, de la sécurité marine et de la protection de l’environnement. Il fournit également des conseils et des connaissances scientifiques.
2.2 Le concept
La gestion intégrée est :
- une méthode globale de planification et de gestion des activités humaines qui assure leur compatibilité et qui tient dûment compte de tous les facteurs pour la conservation et l’utilisation durable des ressources marines et le partage de l’espace marin;
- une approche coopérative qui ne peut être imposée à qui que ce soit;
- un processus de planification souple et ouvert qui respecte les divisions établies de l’autorité constitutionnelle et ministérielle et qui n’abroge ni les droits existants des peuples Autochtones, ni les droits issus de traités, ou qui n’y déroge.
Un grand nombre d’éléments essentiels interviennent dans la gestion intégrée d’un océan ou d’une zone côtière :
- La planification sur la base des systèmes naturels et économiques plutôt que sur celle des limites politiques ou administratives seulement. Cela signifie que les plans de gestion intégrée peuvent s’étendre à plus d’une province ou d’un territoire ou même chevaucher des frontières internationales;
- La définition d’objectifs, d’indicateurs et de cibles et/ou mesures de gestion devant servir de jalons aux décideurs;
- La reconnaissance des interrelations entre les utilisations côtières et marines et leurs incidences possibles sur l’écosystème, de façon à surmonter la fragmentation inhérente à l’approche de la gestion sectorielle;
- L’intégration de la cueillette, de la recherche, de la synthèse des données et le partage de l’information, la communication et l’éducation, qui s’inscrivent dans toute la gamme des connaissances pertinentes devant être appliquées aux processus de planification et de prise de décision. Cela comprend en outre les études scientifiques et des connaissances traditionnelles et locales;
- La création d’un processus destiné à rassembler les parties touchées et intéressées, (autorités fédérales et provinciales, territoriales, régionales ou Autochtones, industries, communautés côtières, groupes environnementaux et citoyens);
- L’établissement d’un processus de planification concerté et coordonné incorporant les éléments essentiels de la gestion sectorielle, de façon à éviter de faire deux fois le même travail;
- Le recours à des structures de régie existantes ou la création de nouvelles qui tiennent compte de la multiplicité des intérêts et des conflits d’usagers et encouragent tous les gestionnaires de ressources à prendre en considération les incidences sociales, culturelles, économiques et environnementales de leurs décisions;
- L’analyse des incidences du développement, des utilisations incompatibles et de l’interrelation entre les processus physiques naturels et l’activité humaine, ainsi que la promotion de l’intégration et de l’harmonisation des activités sectorielles côtières et marines;
- L’identification de nouvelles possibilités de diversification et de création de richesses, d’élargissement des bases de connaissances, de support des réseaux d’information, de mise en valeur du potentiel, de la confiance et du respect chez les participants;
- La prise en compte des effets cumulatifs : la nécessité de comprendre et de prendre en considération le potentiel des activités humaines actuelles et de celles qui seront éventuellement approuvées et leurs effets cumulatifs associés;
- La mise en oeuvre de plans de gestion intégrée basés sur des techniques de gestion adaptée, ainsi que le suivi des résultats en fonction d’objectifs et de plans précis modifiés selon les conclusions tirées; et
- L’harmonisation des politiques et des mesures de planification, de gestion et de réglementation destinées à accroître l’efficacité des initiatives de développement et de conservation durables.
2.3 Les principes
La gestion intégrée est basée sur un certain nombre de principes communs
- Gestion écosystémique : La durabilité et la fonctionnalité écosystémiques sont de la plus haute importance. L’identification d’objectifs de gestion et de niveaux de référence écosystémiques orientera le développement et la mise en œuvre d’une gestion qui permettra de réaliser le développement durable.
- Développement durable : Les valeurs environnementales, économiques, sociales et culturelles sont prises en compte, de façon à satisfaire les besoins actuels sans compromettre pour autant la capacité des générations futures de satisfaire les leurs.
- Approche de précaution : Comme la Loi sur les océans la définit, l’approche de précaution consiste à «opter pour la prudence». Le document du gouvernement fédéral sur l’approche de précaution, intitulé «Une perspective canadienne sur l’approche préventive/le principe préventif», est plus détaillé. L’approche de précaution y est définie comme «une approche particulière de la gestion du risque qui touche principalement le développement d’options et de décisions de gestion. Elle est à la limite guidée par le jugement posé sur les valeurs et les priorités. L’orientation et l’assurance sont particulièrement nécessaires lorsqu’il y a un risque de dommages graves ou irréversibles, que l’incertitude scientifique est significative et qu’une décision doit être prise».
- Conservation : La protection, l’entretien et la réhabilitation des ressources marines, de leurs habitats et des écosystèmes porteurs.
- Devoir et responsabilité partagée : les gouvernements, les groupes Autochtones, les Canadiens, les communautés côtières, les industries ainsi que les personnes et organismes affectés par les ressources marines ou ayant un impact sur elles ont tous et toutes le devoir et la responsabilité d’appuyer le développement durable des ressources marines. Cette responsabilité prend une forme différente en fonction du contexte. Par exemple, la responsabilité individuelle diffère du devoir corporatif de l’utilisateur de la ressource. La responsabilité et l’imputabilité des autorités gouvernementales sont davantage officielles et issues du mandat. Les principes de la gestion intégrée sont compatibles avec les responsabilités et les juridictions existantes, y compris celles des autorités fédérales, provinciales, territoriales, Autochtones et locales.
- Souplesse : Les initiatives de mise en œuvre et de suivi de plusieurs autorités, organisations et intérêts différents sont mises en commun et orientées en fonction d’un ensemble conjointement défini de questions et d’objectifs; une série de processus législatifs et réglementaires et de mesures volontaires sont reliés et coordonnés, y compris ceux qui affectent les pêches, l’aquaculture, l’environnement, le transport, le pétrole et le gaz ainsi que l’utilisation des terres.
- Inclusivité : Les communautés côtières, les individus et les intérêts affectés par la gestion des ressources ou de l’activité marines devraient pouvoir participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des décisions de gestion intégrée, car le but de cette approche est de permettre la réalisation des objectifs communs. Ainsi, toutes les parties intéressées et affectées orientent les décisions,à partir de la définition et de l’articulation des objectifs, jusqu’ à la planification, la mise en œuvre et l’évaluation.
La planification de la gestion intégrée est essentiellement une approche simple, fondée sur le bon sens, qui représente une façon moderne et qualitativement différente d’utiliser, de protéger et de conserver les océans et les eaux côtières du Canada. Sa mise au point et son application profiteront à tous les Canadiens. De plus, elle permettra au Canada de continuer à donner l’exemple sur le plan international en matière d’intendance des ressources marines.
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