Sélection de la langue

Recherche

Centre d’expertise sur les mammifères marins, Rapport de recherche scientifique 2012-2014

Table des matières

Centre d’expertise sur les mammifères marins, Rapport de recherche scientifique 2012-2014

Centre d’expertise sur les mammifères marins, Rapport de recherche scientifique 2012-2014 (PDF, 1.56 MB)

Béluga de l’estuaire du Saint-Laurent

Véronique Lesage

Le béluga de l’estuaire du Saint-Laurent (ESL) est inscrit en tant qu’espèce menacée à la liste de la Loi sur les espèces en péril (LEP); un plan de rétablissement a été dressé et son habitat essentiel estival a été défini. Une révision de la situation du béluga de l’ESL (2007) a permis de conclure que la population a été stable de 1988 à 2006. Cependant, au cours des dernières années, une hausse du nombre de signalements de décès de jeunes de l’année et une augmentation du taux de mortalité périnatale chez les femelles adultes ont été observées, suggérant que la situation du béluga de l’ESL aurait changé.

À l’automne 2013, une revue approfondie de l’information scientifique disponible a été menée lors de la réunion annuelle du comité national d’évaluation par les pairs sur les mammifères marins afin de fournir une mise à jour de la situation de la population de béluga de l’ESL. En particulier, des renseignements sur la taille et les taux démographiques actuels de la population ont été rassemblés et une analyse des facteurs qui ont une incidence sur les tendances de la population, y compris les taux de recrutement, les causes de mortalité, les conditions environnementales, les charges en contaminants ainsi que leur impact potentiel sur la mortalité et la fécondité a été réalisée. Cette revue dirigée par le MPO est le fruit des efforts concertés de plus de 20 scientifiques, dont environ deux tiers provenant du MPO.

Béluga adulte et son veau (photo : DFO).

Béluga adulte et son veau (photo : DFO).

Cette revue a confirmé que la taille de la population de bélugas de l’ESL est demeurée stable ou a connu une lente augmentation jusqu’au début des années 2000. La population semblait également stable quant au taux de production de veaux, au taux de gestation, à la structure d’âge et à la mortalité adulte. Durant cette période, les conditions environnementales, notamment la glace de mer et la température de l’eau, étaient propices aux espèces arctiques. Toutefois, au début des années 1990, plusieurs stocks de poissons de fond se sont effondrés, dont certaines espèces, telle la morue de l’Atlantique, connues comme étant des proies du béluga. La croissance de la population pendant les années 1990, plus faible qu’anticipée, aurait pu être limitée par la disponibilité de la nourriture, les conditions environnementales ou d’autres facteurs. Ces autres facteurs limitants pourraient comprendre les charges élevées de contaminants, les effets néfastes du trafic maritime et les taux de mortalité élevés associés aux événements occasionnels tels que les proliférations d’algues toxiques. L’importance relative de ces facteurs en tant qu’agents limitant la croissance de la population n’est pas connue.

Selon un modèle intégrant les données de diverses sources, la population de bélugas de l’ESL aurait commencé à diminuer au début des années 2000. Ce déclin coïncide avec un taux de mortalité des nouveau-nés plus grand et plus variable, ce qui aurait eu des répercussions sur le cycle de reproduction des femelles.

Béluga (photo : DFO).

Béluga (photo : DFO).

Il coïncide également avec une diminution prédite et observée de la proportion des classes d’âge plus jeunes dans la population. Durant cette période, les femelles ayant perdu leur petit sont redevenues disponibles pour la reproduction après moins de 3 ans (durée normale du cycle). Ainsi, certaines années, plus de la moitié des femelles matures étaient gestantes en même temps. Ces pics étaient généralement suivis de pics de mortalité des nouveau-nés. L’analyse de certains indices écosystémiques du golfe du Saint-Laurent montre que ce changement dans la dynamique des populations coïncide avec une période de réchauffement des températures, une diminution de la couverture de glace, des indices négatifs pour l’abondance du hareng de printemps et des gros poissons démersaux, et un changement des indices liés au régime alimentaire du béluga. Cette épisode suivait également une période pendant laquelle les concentrations de certaines substances chimiques présentes dans les tissus des bélugas et leur environnement, comme les polybromodiphényléthers (PBDE), ont augmenté exponentiellement jusqu’à atteindre leur maximum.

La diminution de la taille de la population constatée à la suite des plus récents relevés aériens semble représenter un effet décalé résultant du faible taux de recrutement se propageant dans la population.

Bien que les événements à l’origine de cette perturbation ne soient pas bien compris, le problème semble s’être aggravé depuis les six dernières années, à la suite d’une prolifération de l’algue toxique Alexandrium tamarense dans l’aire de répartition estivale du béluga de l’ESL. Seule ou combinée à d’autres facteurs environnementaux et anthropiques défavorables, cette prolifération a probablement joué un rôle majeur dans la mortalité accrue observée en 2008. Les grands nombres d’échouement de carcasses de nouveau-nés observés en 2010 et 2012 ne sauraient être expliqués seulement par l’augmentation de la production de veaux. Ces nombres anormalement élevés résulteraient plutôt de la conjonction de la hausse de la production de veaux et de la diminution de leur survie. Ces facteurs seraient liés, du moins en partie, aux conditions environnementales défavorables à l’espèce. Toutefois, les mécanismes à l’origine de cette hausse additionnelle de la mortalité chez les nouveau-nés ne sont pas bien compris.

Cette revue tend également à indiquer que, depuis la fin des années 1990, le béluga de l’ESL vit dans un environnement moins favorable aux espèces arctiques. Cet environnement est également caractérisé par une exposition chronique à des facteurs de stress potentiellement aggravants tels que le transport maritime, les polluants organiques persistants et les proliférations occasionnelles d’algues toxiques.

La variabilité du climat, qui entraîne notamment une augmentation de la température de l’eau et, par conséquent, une diminution de la couverture de glace, pourrait avoir des répercussions supplémentaires sur cette population de bélugas. Par exemple, la diminution de la couverture de glace permet à d’autres espèces d’élargir leur aire de répartition, ce qui pourrait augmenter la compétition interspécifique et entraîner des changements dans la disponibilité des ressources alimentaires. À court terme, les efforts pourraient être axés sur l’élimination des agents de stress d’origine anthropique tels que la perturbation dans les zones sensibles et pendant les périodes critiques pour les femelles et leur veau, la contamination chimique, l’enrichissement en éléments nutritifs, la perte d’habitat et la compétition avec les pêches pour les ressources alimentaires. Il apparait donc qu’il est essentiel de maintenir une taille critique de population capable de supporter les diminutions périodiques des taux démographiques, notamment en se penchant sur les facteurs anthropiques susceptibles de retarder le rétablissement.

Des changements environnementaux causant une dégradation de la quantité ou de la qualité des ressources alimentaires résultant en une diminution, voire une stagnation de la croissance des populations ont été observés dans d’autres écosystèmes. Ainsi, les baleines noires de l’Atlantique Nord et la population d’épaulards résidents du Pacifique Nord ont souffert de la faible abondance de copépodes et du déclin de l’abondance du saumon, respectivement. Toutefois, les observations provenant d’autres systèmes montrent également que les populations de mammifères longévifs répondent aux conditions favorables.

Le MPO continue d’assurer le suivi de la dynamique des populations de bélugas de l’ESL et des tendances de la qualité de son habitat. Par sa recherche innovatrice, il contribue à approfondir les connaissances sur les besoins écologiques du béluga, les mécanismes d’action et l’importance relative des agents de stress environnementaux actuels, et à mettre en œuvre les mesures les plus susceptibles de favoriser le rétablissement de cette population.

Date de modification :