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Répercussions socio-économiques de la présence de la carpe asiatique dans le bassin des Grands Lacs

Répercussions socio-économiques de la présence de la carpe asiatique dans le bassin des Grands Lacs

Répercussions socio-économiques de la présence de la carpe asiatique dans le bassin des Grands Lacs (PDF, 662 KB)

Préparé par
Salim Hayder, Ph. D.

Publié sous la direction de
Debra Beauchamp

Pêches et Océans Canada, Politiques et économie
501, croissant University, Winnipeg (Manitoba) R3T 2N6

Table des matières

Sommaire

La présente étude, intitulée « Répercussions socio-économiques de la présence de la carpe asiatique dans les Grands Lacs », fournit une analyse socio-économique détaillée des répercussions économiques potentielles pour le Canada de l'établissement de la carpe asiatique dans les Grands Lacs.

Les Grands Lacs (lac Supérieur, lac Huron, lac Michigan, lac Érié et lac Ontario) constituent la plus grande réserve d'eau douce au monde, avec 20 % des eaux douces de surface du monde entier et 95 % des eaux douces de surface de l'Amérique du Nord. À l'exception du lac Michigan, les Grands Lacs sont traversés par la frontière entre le Canada et les États-Unis, et forment un bassin qui abrite plus de 11 millions de personnes, y compris 98 % des résidents de l'Ontario et plus de 160 communautés autochtones (ministère des Richesses naturelles de l'Ontario 2010).

Les Grands Lacs sont une importante source d'eau potable et accueillent tout un éventail de poissons, d'animaux sauvages et de plantes, des milliers de marécages, et une grande variété de paysages. Dans leurs eaux, la pêche commerciale et récréative jouit d'une renommée mondiale, et l'on y pratique de nombreuses activités récréatives ainsi que le transport commercial. Les Grands Lacs offrent des avantages à la fois tangibles et intangibles aux résidents du Canada et des États-Unis.

Les Grands Lacs et leurs bassins versants sont menacés par la carpe asiatique, une espèce aquatique envahissante (EAE) qui est responsable, en Amérique du Nord, de répercussions importantes sur les espèces indigènes et les activités humaines connexes, de par les dégâts causés à l'environnement, l'altération des habitats et la concurrence directe pour les ressources. Cette menace a attiré l'attention des gouvernements du Canada, des États-Unis, de la province de l'Ontario, d'un certain nombre d'États, ainsi que des Premières Nations, du grand public, d'associations industrielles et d'organisations non gouvernementales de l'environnement.

En 2010, le gouvernement du Canada a renouvelé son financement de 4 millions de dollars afin de contribuer à un système de surveillance des espèces aquatiques envahissantes (EAE) et de répondre aux besoins d'évaluation des EAE, tels que le financement de la recherche, l'évaluation des risques biologiques et l'élaboration de politiques de réglementation. En 2012, Pêches et Océans Canada (MPO) a reçu 17,5 millions de dollars sur cinq ans pour protéger les Grands Lacs de la carpe asiatique, dans le cadre de son Programme sur la carpe asiatique dans les Grands Lacs. La présente étude est le résultat d'une initiative d'évaluation des risques.

Le MPO a entrepris la présente étude afin de compléter l'évaluation binationale (Canada-États-Unis) des risques écologiques, menée par le Centre d'expertise pour l'analyse des risques aquatiques du MPO (MPO 2012), en vue d'aborder la menace de la carpe asiatique dans les Grands Lacs. L'étude concourt également aux objectifs en matière d'EAE qui s'inscrivent dans le cadre du résultat stratégique « Des pêches et une aquaculture durables » du MPO.

En ce qui concerne la méthode, l'étude a été réalisée au moyen de la technique de l'établissement de la valeur économique totale. Cette méthode est utilisée afin d'évaluer les activités du côté canadien du bassin des Grands Lacs et la valeur actuelle nette à des fins d'actualisation. Pour ce faire, l'étude présente les meilleures estimations des dépenses réalisées et du surplus des consommateurs généré par les activités au Canada. Le lac Michigan n'a pas été pris en compte dans l'estimation des répercussions pour le Canada. Conformément à l'évaluation binationale des risques écologiques (MPO 2012), il a été considéré que les répercussions dans les zones où la carpe était présente se manifesteraient 7 ans après l'arrivée de la carpe asiatique. Par conséquent, étant donné que l'étude socio-économique prend l'année 2011 comme année de référence, l'année 2018 constitue l'année de référence ajustée à laquelle se rapporteront les répercussions après 20 ans et après 50 ans.

L'étude a été réalisée en ayant recours à des sources d'information secondaires, notamment : i) les profils de communautés aux environs des Grands Lacs, essentiellement fournis par Statistique Canada; ii) l'évaluation binationale des risques écologiques (MPO 2012), y compris les rapports complémentaires; iii) l'atelier du 29 mars 2012, organisé conjointement par la Commission des pêcheries des Grands Lacs et la Direction des politiques et des études économiques, Région du Centre et de l'Arctique, MPO;Footnote 1 iv) les opinions des experts échangées entre un groupe d'experts scientifiques participant à l'évaluation binationale des risques écologiques et un groupe d'économistes participant à l'analyse de cette étude socio-économique qui porte sur la présence de la carpe asiatique dans les Grands Lacs.

Au moment de choisir le scénario de l'évaluation des répercussions, l'auteur de l'étude a suivi l'évaluation binationale des risques écologiques (MPO 2012) et a présumé qu'en l'absence de mesures de prévention supplémentaires, la carpe asiatique arriverait, établirait ses populations, survivrait et se répandrait dans les Grands Lacs, en raison de la présence de nourriture, d'une niche thermique et d'un habitat de frai convenables, ainsi que de la haute productivité des échancrures dans le bassin des Grands Lacs. Étant donné qu'il est impossible de séparer les répercussions d'une introduction de la carpe asiatique dans les Grands Lacs des autres influences sur l'économie, comme l'urbanisation et le changement climatique, les analyses de l'étude se fondent sur des scénarios caractérisés par la présence ou l'absence de la carpe (les autres variables demeurant inchangées).

La revue de littérature a permis de déterminer les principales activités qui définissent les conditions de référence, à savoir : i) l'utilisation de l'eau; ii) la pêche commerciale; iii) la pêche récréative; iv) la chasse récréative; v) la navigation de plaisance; vi) l'utilisation des plages et des rives des lacs; vii) l'observation de la faune et viii) la navigation commerciale. La valeur de la contribution économique de ces activités dans le bassin des Grands Lacs et aux environs de celui-ci est évaluée à 13,8 milliards de dollars (voir la matrice ci-jointe). Sur ce total, les dépenses réalisées et les valeurs/prix imputés pour ces activités représentent 13,4 milliards de dollars (96,9 %), tandis que le surplus des consommateurs représente la somme restante, soit 0,4 milliard de dollars (3,1 %).

L'étude a permis de reconnaître que le bassin des Grands Lacs offre des services précieux à la société en conservant la santé et la diversité de l'écosystème. Ces valeurs intrinsèques sont toutefois difficiles à quantifier, car elles sont bien plus intangibles que les autres avantages, comme la pêche commerciale (Krantzberg et al. 2006). Les auteurs ont connu des difficultés semblables pour déterminer, de manière quantitative, les avantages des valeurs d'option et de non-usage à partir des renseignements existants. Toutefois, ces valeurs de non-usage totales peuvent représenter de 60 à 80 % de la valeur économique totale (Freeman 1979).

Les Grands Lacs offrent des avantages considérables aux résidents de la région pour ce qui est de la subsistance, mais aussi sur le plan social, culturel et spirituel; à ces avantages, il faut ajouter d'importantes retombées économiques globales. Les pêches en eau douce ont largement contribué à la préservation des styles de vie autochtones traditionnels dans la région à l'étude. Socialement, les plages et les rives des lacs offrent un « sentiment d'appartenance » et une source de fierté communautaire unique, et déterminent dans une grande mesure les perceptions du public relatives à la qualité de l'environnement. Les Grands Lacs offrent également des possibilités de recherche et d'activités éducatives pour une meilleure compréhension de l'écologie.

L'étude estime la valeur (économique) totale actualisée de la pêche commerciale, de la pêche récréative, de la navigation de plaisance, de l'observation de la faune, de l'utilisation des plages et des rives des lacs à 179 milliards de dollars dans 20 ans et à 390 milliards dans 50 ans, à compter de 2018 (voir le tableau ci-dessous).Footnote 2

Description

Le tableau qui figure dans le Sommaire s’intitule Évaluation des valeurs actualisées d'activités dans les Grands Lacs dans 20 ans et 50 ans, par activité. Il est tiré des calculs réalisés par le personnel de Pêches et Océans Canada, Direction des politiques et des études économique, Région du Centre et de l'Arctique. Il comporte quatre colonnes. La première s’intitule Liste des activités, la deuxième Année de référence : 2018 (millions de $), la troisième 20 ans (milliards de $) et la quatrième 50 ans (milliards de $). Les six lignes du tableau sont les suivantes : Ligne 1 : Pêche commerciale; la valeur de référence pour 2018 est de 227 millions $, la valeur à 20 ans est de 5 milliards $ et la valeur à 50 ans est de 10 milliards $. Ligne 2 : Pêche récréative; la valeur de référence pour 2018 est de 560 millions $, la valeur à 20 ans est de 12 milliards $ et la valeur à 50 ans est de 26 milliards $. Ligne 3 : Navigation de plaisance; la valeur de référence pour 2018 est de 7 291 millions $, la valeur à 20 ans est de 153 milliards $ et la valeur à 50 ans est de 333 milliards $. Ligne 4 : Observation de la faune; la valeur de référence pour 2018 est de 218 millions $, la valeur à 20 ans est de 5 milliards $ et la valeur à 50 ans est de 10 milliards $. Ligne 5 : Utilisation des plages et des rives des lacs; la valeur de référence pour 2018 est de 248 millions $, la valeur à 20 ans est de 5 milliards $ et la valeur à 50 ans est de 11 milliards $. La ligne 6 indique le total des activités par colonne; le total pour 2018 est de 8 544 millions $, le total à 20 ans est de 179 milliards $ et le total à 50 ans est de 390 milliards $.

Tableau : Évaluation des valeurs actualisées d'activités dans les Grands Lacs dans 20 ans et 50 ans, par activité
Liste des activités Année de référence : 2018
(millions de $)
20 ans
(milliards de $)
50 ans
(milliards de $)
Pêche commerciale 227 5 10
Pêche récréative 560 12 26
Navigation de plaisance 7 291 153 333
Observation de la faune 218 5 10
Utilisation des plages et des rives des lacs 248 5 11
Total 8 544 179 390

Source : Calculs réalisés par le personnel de Pêches et Océans Canada, Direction des politiques et des études économique, Région du Centre et de l'Arctique.

L'étude examine les risques posés par la carpe asiatique pour ces valeurs et conclut que l'établissement de la carpe asiatique dans les Grands Lacs causerait des dégâts modérés à élevés aux secteurs/activités de la pêche commerciale, de la pêche récréative, de la navigation de plaisance et de l'utilisation des plages et des rives des lacs durant les périodes visées, à l'exception de la période de 20 ans pour le lac Supérieur, pour laquelle les dégâts seraient faibles à modérés. La carpe asiatique aurait des répercussions négligeables ou nulles sur la chasse récréative, l'utilisation des eaux, la navigation commerciale et les activités d'extraction de gaz naturel et de pétrole.

Au fil du temps, l'introduction de la carpe asiatique dans le bassin des Grands Lacs pourrait provoquer des changements dans les écosystèmes lacustres : la carpe asiatique pourrait devenir l'espèce dominante au détriment des espèces indigènes et de l'image publique de ces lacs à l'échelle régionale, nationale et internationale, sans compter le tort au bien-être des résidents vivant à proximité de cette ressource naturelle unique. L'introduction de la carpe asiatique pourrait avoir une incidence sur les prises de subsistance dans les Grands Lacs et réduire la valeur sociale, culturelle et spirituelle des lacs et des activités liées aux lacs. Il n'est toutefois pas possible d'évaluer quantitativement ces répercussions en raison du manque de renseignements pertinents.

Pendant les périodes prises en compte, certains facteurs de l'économie qui sont à l'œuvre pourraient engendrer des forces à même de contrer les répercussions de la présence de la carpe asiatique sur les communautés, les entreprises et les personnes de la zone d'étude. Par conséquent, les répercussions économiques nettes pourraient être contrebalancées à l'échelle régionale et nationale, tout en restant considérables pour les intervenants (p. ex., les communautés, les pêcheurs et les utilisateurs), si l'on tient compte de la (re)distribution du revenu et de l'emploi résultant du changement dans les activités au sein du bassin des Grands Lacs et aux alentours.

Les valeurs de référence générées par les activités dans le bassin des Grands Lacs et aux alentours ne devraient pas être comparées directement avec les valeurs fournies par les documents existants, en raison de la différence des méthodes utilisées dans les études. Ces dernières diffèrent relativement à la portée, aux procédures d'évaluation, aux périodes prises en compte et aux secteurs visés. Des écarts dans les estimations apparaissent également selon que l'on tienne compte ou non du Canada et des États-Unis et en raison des effets multiplicateurs secondaires (indirects et induits) lors de l'évaluation des valeurs de référence ainsi que des répercussions.

L'étude s'est heurtée à des obstacles liés au manque de données. Voici les principaux obstacles rencontrés lors de l'étude : i) le manque de renseignements propres aux Grands Lacs, par activité; ii) les valeurs prévues dans 20 ans et 50 ans ont été estimées à partir des valeurs par activité pour l'année la plus récente en partant du principe que les valeurs se maintiendraient pour la période prise en compte si tout le reste demeurait identique; iii) l'absence d'une échelle quantitative des conséquences écologiques permettant d'établir un lien direct entre les répercussions sur l'environnement et les répercussions socio-économiques, qui pourrait être appliquée pour évaluer quantitativement les répercussions socio-économiques avec plus d'exactitude; iv) le manque de renseignements adéquats pour effectuer une analyse différentielle montrant une estimation quantitative ou une série d'estimations des répercussions socio-économiques de la présence de la carpe asiatique.

Ces obstacles ont été partiellement surmontés en adoptant des hypothèses et en appliquant des approximations tirées des documents existants, tout en apportant les ajustements convenables selon les contraintes de temps existantes. Toutefois, pour remédier à ces obstacles, des recherches supplémentaires seraient nécessaires. Par exemple, pour évaluer correctement la ou les valeurs de référence, il serait possible d'entreprendre une étude approfondie de la zone d'étude afin d'obtenir les valeurs générées par activité et par lac (y compris la volonté de payer et les prises de subsistance). De même, pour ce qui est des prévisions, les méthodes d'évaluation utilisées, comme le modèle informatique d'équilibre général, peuvent atténuer les biais liés aux prévisions, car ces méthodes tentent de définir les paramètres importants d'une décision ou d'un ensemble de décisions, en partie, afin de rendre compte des changements relatifs au bien-être issus de la complémentarité et de la substituabilité des principaux biens.

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